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Quand nous parlerons de l'ouvrage des maçons, des forgerons ou des tailleurs, que nous examinerons scrupuleusement l'organi- sation financière de leurs sociétés, nous ne prétendrons faire cependant, ni un essai sur l'industrie, ni un cours de statistique : notre but sera d^étudier, sans parti pris, un sujet •• VI AVANT-PROPOS. qu'il importe de discuter à un point de vue exclusivement pratique. Nous trouvons un grand intérêt à suivre le développement des associations ouvrières, pai'ce qu'il faut, d'une part, envisager sans illusion les dangers qui peuvent naître d'un fait désormais nécessaire, et, de l'autre, parce que, malgré ces dangers, nous sommes convaincu que ce développe- ment peut être utile, non-seulement à ceux qui en attendent une légitime amélioration de leur sort, mais aussi à la société tout en- tière. Il nous semble que l'application nou- velle du principe fécond de l'association, non- seulement assurera à la société un profit matériel et un accroissement de la richesse publique, mais lui rendra, dans l'ordre mo- ral, des services plus importants encore. Elle contribuera à montrer tout ce qu'il y a de spécieux et de funeste dans la prétendue op- position d'intérêts entre le capital et le tra- vail. Nous ferons voir ces deux éléments de la prospérité publique en tout pays, tantôt AYANT- PROPOS. vu engagés dans une lutte contre nature, tantôt, au contraire, retrouvant toute leur puissance par une heureuse alliance. Les exemples que nous avons à donner prouveront, nous l'espérons, combien ces élé- ments sont solidaires, et peut-être alors notre travail ne paraîtra-t-il pas inutile au lecteur. Lorsqu'un navire est pris par les brouillards dans une mer semée de récifs, on jette la sonde à tout moment, et Ton interroge avec soin, comme des indices précieux de la route à suivre, les moindres objets que le plomb ramène du fond des eaux. Au milieu des incertitudes qui enveloppent l'avenir de la France, on ne saurait donner de trop fré- quents coups de sonde dans le sillage de nos voisins, qui naviguent entourés des mêmes périls. Pour que ces recherches ne soient pas inutiles, il faut tenir compte de tous les détails qui peuvent éclairer une question aussi grave, et qui nous touche tous également. Dans le feours de ce travail, inspiré par le viii AVANT-PROPOS. spectacle du jeu des institutions d'un pays libre, nous nous sommes efforcé d'user avec impartialité du droit appartenant à chacun d'apprécier des actes qui ont été l'objet d'une discussion publique entre les intéressés. Nous espérons avoir réussi à rendre la justice qui leur est due, tant à ces puissants industriels qui contribuent, par leur intelligence, aux véritables progrès de la civilisation, qu'à cette population ouvrière, probe et laborieuse, qui, par ses qualités solides, fait la force et l'hon- neur de toutes les grandes nations. 15 mars 1869. LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE (TRADES-UNIONS) CHAPITRE PREMIER LES GRIMES DE SHEFFIELD Tout le moode reconnaît aujourd'hui les avantages que la classe ouvrière peut retirer de l'association, personne ne lui conteste le droit d'en user; mais l'expérience seule lui apprendra à manier cet instrument à la fois si puissant et si délicat. Aussi chaque peuple a-t-il le plus grand intérêt à se rendre compte des efforts tentés par ses voisins dans cette voie, afin de discerner ce qu'il peut leur em- prunter et les écueils qu'il doit éviter. En France, les esprits, poussés par la lo- gique, ont essayé de préférence la forme d'as- 2 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES £N ANGLETERRE. sociation, la plus parfaite peut-être, mais en même temps la plus difficile à appliquer : la société coopérative de production. L'Alle- magne est déjà couverte comme d'un réseau par l'admirable institution des banques de crédit populaire, auxquelles M. Schulze- Delitscli a attaché son nom. Enfin, en Angle- terre, croissent et se développent les sociétés coopératives de consommation, si bien dé- crites par M. Jules Simon, qui associent le consommateur aux profits du marchand en détail, et rendent ainsi l'épargne possible à ^ouvrier, dont la vie quotidienne absorbait auparavant le salaire tout entier. Mais l'objet de cette étude n'est pas de montrer les avantages de ces diverses insti- tutions : elles sont déjà connues et appré- ciées. Nous nous proposons ici de parler d'une autre espèce d'associations ouvrières, très-puissantes en Angleterre, qui n^ont pas débuté sous d'aussi heureux auspices et n'ont pas conquis dans tous les rangs les mêmes sympathies. Ce sdnt les Trades^UnionSy ou ligues de métiers ! vastes coalitions d'où- I Les crimes de shkffIeld. â vriers, douées d'une organisation complète et permanente^ dont Tinfluence sur l'indus- trie britannique est devenue trop importante pour ne pas mériter aujourd'hui d'attirer notre attention. Formées au milieu de ces luttes funestes qu'on appelle les grèves, elles ont conservé le caractère de machines de guerre. Aussi comptent-elles des adversaires et des défen- seurs également passionnés. Ceux qui recon- naissent le plus leur puissance sont ceux aussi qui les redoutent le plus. On a voulu faire peser sur elles la responsabilité de quelques crimes isolés ; on les a condamnées sans appel pour avoir professé quelques erreurs écono- miques ; enfin on ne s^est pas demandé si ce cheval de bataille ne pourrait pas un jour s'atteler à la charrue, et rendre ainsi à la société de précieux services* Mais l'opinion publique en Angleterre ne confirme jatnais les jugements précipités: avant de se prononcer, elle veut s'éclairei" par une discussion sérieuse et approfondie* Des circonstances particulières viennent de ^ I 4 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. provoquer cette discussion et d'appeler Tat- tention de tous sur ce sujet. En effet, d'une part, la réforme par laquelle TAugleterre a élargi la base de sa représentation nationale, devant assurer peu à peu une grande influence aux classes ouvrières, donne déjà une impor- tance nouvelle à tout ce qui les touche. D'autre part, répondant à un vœu unanime, le gouvernement lui-même est intervenu pour favoriser le débat contradictoire ouvert sur les ligues de métiers. Il a nommé une Com- mission d'enquête, composée d'hommes appar- tenant aux opinions les plus diverses, dont les travaux, fidèlement publiés de mois en mois, ont jeté sur cette question un jour nouveau et seront la base principale de cette étude. L'origine de cette enquête remonte à deux faits, particuliers en apparence plutôt que d'une importance publique, mais qui devin- rent des événements considérables par leurs conséquences. Le premier eut pour théâtre la ville de Sheffîeld. C'est au centre de l'Angleterre, dans le voisinage de plusieurs houillères, au LES CRIMES DE SHEFFIELD. 5 fond d'une vallée encaissée et toujours enfu- mée, qu'est située Tactive et populeuse capi- tale de la fabi*ication de T acier. On y voit les plus puissants marteaux à vapeur de TAngle- terre et les immenses coupelles de Bessemer, cornues gigantesques où bouillonnent à la fois cinq à six tonnes de fer. On y fabrique des canons et des plaques de navires cui- rassés. Mais, à côté de ces industries mo- dernes, subsiste la vieille industrie de Shef- field, la coutellerie. Elle a perdu son antique monopole : quelques-unes de ses branches ont à soutenir maintenant une rude concur- rence, et parmi celles-ci aucune ne souffre plus que la fabrication des scies. Les ouvriers couteliers, peu nombreux, jaloux et exclu- sifs, ont formé, dans chaque spécialité, des associations de l'espèce appelée Trades- Unions y espérant obtenir par là l'élévation de leurs modiques salaires. Ils n'y ont pas réussi, et il en résulte de fréquentes querelles entre eux et leurs patrons. Un ouvrier nommé Fearnough s'était sé- paré de Tune de ces sociétés, l'Union des 6 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. repasseurs de scies, à laquelle il appartenait. Aux yeux de ses camarades, il avait déserté devant T ennemi. Le 8 octobre 1866, une violente explosion ébranla la modeste maison qu*il occupait aviec sa famille, y fit de grands dégâts, et les habitants n'échappèrent que par miracle. Une boîte de poudre, déposée avec une mèche allumée dans sa cave, y avait éclaté. L'auteur du crime demeura ignoré. L'opinion publique s'en émut d'autant plus, qu'un pareil attentat n'était pas isolé. Depuis quelques années, Sheffield avait vu plus de dix explosions analogues et plusieurs coute- liers victimes de meurtres sans que presque jamais la justice fût satisfaite. Ainsi, en 1859, un ouvrier nommé Linley avait été tué au milieu d'une salle pleine de monde par une balle silencieuse sortie sans doute d'un fusil à vent, et personne n'avait pu découvrir l'as- sassin. Ces attentats ayant tous été dirigés contre des personnes hosliles aux Trades- Unions, la voix publique avait fini par les attribuer à ces sociétés. Elles repoussèrent avec indignation une pareille supposition. LES GRIMES DE SHEFFIELD. 7 L'Union à laquelle Fearnough avait appar* tenu se distingua entre toutes par le zèle qu'elle déploya pour aider la justice à trouver Fauteur de l'explosion du 8 octobre. Son secrétaire, appelé Broadhead, se mit même à la tête d'une souscription destinée à augmenter la récompense promise au dé* nonciateur; mais tout fut vain : le mystère ne s'éclaircit point, les défiances s'accrurent, et Tesprit public demeura troublé. Une affaire d un tout autre genre vint, peu de temps après, occuper l'attention publique. Au lieu d'être exposées à des accusations plus ou moins vagues, les Unions se trou- vèrent, au contraire, cette fois être la partie plaignante. En effet, le trésorier de Tune de ces sociétés avait volé à la caisse quelques centaines de francs. Poursuivi devant le tri- bunal de Bradford, il avait été acquitté : les magistrats avaient jugé que, l'Union conte- nant dans ses statuts des prescriptions con- traires à la loi, ils ne pouvaient lui recon- naître le droit de posséder. Le 16 janvier 1867, la cour du Banc de la Reine confir- 8 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. mait en appel cette décision. Son arrêt fixait la jurisprudence : aussi Talai^me fut-elle grande parini les ligues, qui apprirent ainsi que leurs caisses, contenant parfois plusieurs millions, étaient à la merci d'un trésorier infidèle. Leur situation n'était pas tenable, qiioique, hâtons-nous de le dire à Thonneur des modestes employés dé ces grandes associa- tions, aucun d'eux n'ait, depuis Tarrêt, trahi son mandat : il leur fallait, ou se dissoudre, ou obtenir une législation protectrice de leurs intérêts. C'est alors qu'elles demandèrent à la Couronne de nommer une commission d'enquête qui pût préparer cette législation. Lorsque, dans un pays libre, l'opinion pu- blique s'empare d'une question, elle ne tolère aucun délai. Aussi la Commission était-elle formée dès le 1 2 février, et, le 1 8 mars, elle tenait à Londres sa première séance pu- blique. Cependant le souvenir des crimes de Sheffield s'était réveillé; on en citait d'autres commis à Manchester dans des cir- constances analogues; les adversaires des Unions prétendaient en rejeter la responsa- LES CRIMES DE SHEFFIELD, 9 bilité sur l'ensemble même de ces sociétés. Elles ne pouvaient rester sous le coup d'une pareille imputation. Pour leur donner les moyens de se justifier, le parlement autorisa le ministre de Fintérieur à nommer deux sous- commissions, chargées de rechercher l'ori- gine de$ attentats de Sheffield et de Man- chester, et les investit, pour atteindre plus sûrement ce but, de pouvoirs extraordinaires. Ces différentes commissions, conduisant l'enquête qui leur était confiée comme un débat contradictoire, ont par leur impartia- lité, leur patience et leurs lumières, rendu un grand service à l'Angleterre. Elles ont donné au public les moyens de discerner le bien et le mal, de revenir sur plus d'un préjugé, et ont offert aux intérêts qui se croyaient les plus opposés l'occasion de se confronter, de s'expliquer, et souvent de se rapprocher les uns des autres. Avant d'étudier l'histoire et l'organisation des Unions dans les séances delà Commission royale de Londres, il est nécessaire de réduire à ses justes proportions l'accusation qui pesait 1. 10 LES ASSOCIATIONS OllVRIÈRES EN ANGLETERRE. sur elles, et de suivre d'abord dans leur enquête les sous - commissaires de Sheffield et de Manchester. La première avait une tâche singuUère- ment difficile, car il lui fallait découvrir la vérité là où toutes les recherches de la police avaient échoué. Mais elle devait trouver un grand secours dans les pouvoirs extraordi- naires qu'elle avait reçus et qui Tassimilaient à une cour de justice. C'est un principe tuté- laire de la procédure criminelle en Angle- terre, que le témoin, obligé par serment à dire la vérité devant le tribunal, ne peut être, s'il s'accuse lui-même, poursuivi sur les aveux ainsi obtenus de lui. La Commission eut le droit d'accorder la même immunité aux témoins qu'elle appelait, et ce droit devint entre ses mains un instrument bien plus puissant qu'il ne peut l'être dans colles d'un tribunal ordinaire, puisque rien ne limitait le champ de ses recherches, et que, n'ayant pas de sentence à prononcer, pas d'accusé à con- damner, elle s'empressait d'envoyer sur le LÏS CRIMES DE SHKFFIELD. H banc des témoins tous ceux que lui dési- gnaient les vagues soupçons de Topinion publique. Si leur confession était sincère et complète, les commissaires devaient leur donner un certificat d'amnistié, Spécifiant les crimes ou délits dont ils seraient reconnus coupables. Les complices qu'ils dénonceraient n'auraient qu'à les imiter pour obtenir la même immunité. Mais le témoin qui commet- trait un seul parjure, qui dissimulerait la moindre vérité, serait exposé à toute la rigueur des tribunaux. La Commission, composée de trois légistes (MM. Overend, Barstow et Chance), ouvrit ses séances à Sheffield le 3 juin 1867. Deux avocats suivaient ses débats, représentant, l'un les patrons, associés pour l'aider dans ses recherches, l'autre les Unions qui avaient demandé la formation de ce tribunal. L'émotion était grande à Sheffield : on ne pouvait croire au succès. Mais, dès le début, l'enquête, conduite avec tact et jugement, sou- leva un coin du voile, et le double stimulant, (}u châtiment pour les récalcitrants, de l'in). 12 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. punité pour les crimes avoués, aida bientôt la Commission à le déchirer complètement. On eut alors, pendant vingt-cinq jours, le spec- tacle étrange de coupables racontant leurs méfaits et apportant un soin scrupuleux à n'omettre aucun détail. Parfois, après s'être accusés eux-mêmes, ils mettaient d'abord leur point d'honneur à ne pas trahir leurs com- plices; mais, compromis bientôt par d'autres dépositions, ils venaient reconnaître qu'ils n'avaient pas dit toute la vérité, et faire une confession complète pour mériter le précieux certificat. Le lien secret qui existait entre tous ces crimes se montrait enfin ; le rôle des cou- pables se dessinait : on voyait apparaître lin- spirateur, les exécuteurs, et les complices qu'ils avaient trouvés dans quelques sociétés, heureusement peu nombreuses. A mesure que l'indignation publique s'amassait sur leurs têtes, la vérité, en se faisant jour, dissipait aussi les vagues soupçons qui avaient pesé sur les ligues en général, et leur représentant pouvait, à la dernière séance, déclarer publiquement qu'elles s'applaudissaient d'avoir contribué à LES CRIMES DE SHEFFIELD. 13 provoquer cette enquête. Dans sa sécheresse même, le compte rendu de cette dernière séance a quelque chose de particulièrement saisissant. Les coupables, ou leurs manda- taires, se présentent l'un après l'autre devant la Commission pour recevoir leur certificat, et, si quelqu'un de leurs crimes n'y est pas inscrit, ils le rappellent en réclamant instamment son insertion. Ils sont libres désormais et protégés contre les poursuites de la justice humaine ; mais, inviolables comme Gain, ils emportent comme lui, empreinte sur le front, la marque de l'infamie. Tel est le dénoûment de ce drame étrange. Pour en suivre le fil, pour comprendre les mobiles de tant de crimes qui paraissaient jusque-là inexplicables, il faut connaître les circonstances au milieu desquelles ils se sont produits, se rendre compte des préjugés qui régnaient parmi les ouvriers de Sheffield, et des passions qui, s' emparant de quelques na- tures perverties, ont pu les pousser jusqu'au meurtre. Imbues de Tesprit de monopole ià LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. qu'elles semblaient avoir hérité des corpora- tions du moyen âge, la plupart des sociétés de couteliers ne se contentaient pas de soutenir les grèves, ce qui était le but avoué de leur institution. Elles prétendaient exercer sur leur industrie une influence absolue, imposer aux patrons toutes les volontés de la majorité de leurs membres, y asservir la minorité, et pour cela obliger tous les ouvriers à entrer dans leur sein. Quiconque s y refusait était consi- déré comme un ennemi, et sa libre concur- rence, ou même sa simple résistance aux or- dres impératifs de l'Union, prenaient, aux yeux des associés, le caractère d'un véritable délit. La plupart croyaient sincèrement qu'en ne leur donnant pas les moyens de le punir, la législation commettait contre eux une grave injustice. De là, à la réparer de leurs propres mains, il n'y avait qu'un pas. 11 fut souvent franchi. Pour punir et intimider les récalci- trants, on dérobait secrètement leurs outils (1 ) . Les ouvriers victimes de ces vols savaient très- (1) C'est ce que les ouvriers anglais ont appelé le rattening. Lies GRIMES DE SHEFFIELD. 15 bien quels en étaient les auteurs ; s'ils persis- taient, les persécutions continuaient ; s'ils se soumettaient à l'Union, son secrétaire leur rendait aussitôt les objets dérobés. L'immense majorité de ceux qui approuvaient ces procé- dés aurait reculé d'horreur à la pensée de les pousser jusqu'au crime; mais les plus violents et les moins scrupuleux parmi leurs chefs, une fois sortis des voies légales, ne devaient pas s'arrêter devant une pareille extrémité. Il s'en trouvait un parmi eux, destiné à une triste célébrité : c'était ce même Broadhead qui, au moment de la tentative d'assassinat contre M. Fearnough, avait élevé la voix plus haut que tous les autres dans le concert de l'émotion publique. Veut-on savoir mainte- nant pourquoi l'auteur en était demeuré in- connu? C'est que le coupable n'était autre que Broadhead lui-même. C'est lui qui avait désigné la victime et payé l'assassin chargé de la faire sauter. Mais ce crime n'était que le dernier incident de toute une série d'attentats systématiquement ordonnés par lui, et dont il déroule devant la Commis- ia LES ASSOCIATIONS OUVRIÈKES EN ANGLETERRE. sion TefFrayant tableau. En 1854, un ouvrier nommé Parker avait été blessé d'un coup de fusil : c'est Broadhead qui a payé et a posté l'assassin. C'est lui qui a fait tuer M, Linley: son principal agent, nommé Crookes, devait donner une leçon à celui-ci en le blessant avec un fusil à vent. Une première fois, la victime avait été atteinte, mais la blessure avait été jugée trop légère ; Crookes s'y reprend une seconde fois en 1859, mais alors vise trop bien et frappe mortellement. Broadhead adopte ensuite un autre système, et l'explosion de la maison Fearnough est la neuvième dans la liste de celles dont il s'est reconnu l'auteur. Crookes, presque toujours chargé de la besogne, choisit ses associés. Broadhead les paye, selon les circonstances, de 100 à 500 francs chaque fois. Le prix est prélevé sur les fonds de la société dont il est trésorier, car jamais une vengeance personnelle ne semble avoir inspiré ces giiet- apens : ce sont les intérêts de l'Union qu'il prétend servir en poursuivant les membres de la même industrie rebelles à ses ordres. LES GRIMES DE SHEFFIELD. 17 5000 francs ainsi déboursés sont inscrits sur les registres, sous des titres supposés, ou même en blanc, et aucun de ceux qui étaient char- gés de vérifier les comptes ne paraît avoir cherché à s'en expliquer l'emploi, preuve évi- dente de leur connivence. Mais cette conni- vence, loin de faire courir aucun risque aux assassins, les aidait à atteindre le but qu'ils se proposaient. Il fallait que le secret qui couvrait le coupable laissât cependant deviner les motifs du crime. C'était à quoi on avait parfaitement réussi. La main de l'Union était toujours reconnue, on pouvait se dire à l'oreille que le lendemain un antre récalcitrant irait grossir la liste des victimes, et l'Union régnait par la terreur et s'élevait au rang de ces fameux tribunaux de la Sainte-Vehme qui pronon- çaient des arrêts dont l'exécution seule de- meuraît enveloppée de mystère (1). (1) Quoique les révélations de la Commission aient ouvert les yeux à tous ceux qui avaient indirectement et involontai- rement encouragé ces crimes en approuvant les petites persé- cutions contre les non-Unionistes; quoiqu'elles aient inspiré une salutaire terreur k ceux qui seraient aujourd'hui disposés 18 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Broadhead d'ailleurs avait des émules dans d'autres sociétés, et la Commission a relevé, outre deux meurtres, une quinzaine de voies de fait et de tentatives d'explosion commises depuis dix ans à l'instigation des employés de diverses Unions ; et, si la complicité de ces so- ciétés n'a pas été établie, c'est qu'elles se sont en général empressées de détruire leurs livres, qui contenaient sans doute contre elles des preuves accusatrices (1 ). La Commission d'en- quête de Manchester siégea pendant quinze aies renouveler, quelques-unes de ces sociétés, les plus com- promises dans ces déplorables affaires, ont montré T esprit qui les animait eu bravant ouvertement l'opinion et Thonnêteté publiques. Ainsi F Union des fabricants de manches de scie a persisté à conserver, comme trésorier, un homme qui avait confessé lui-même avoir donné 7 livres, 10 shillings, pour payer en partie les assassins de M. Fearnough. On peut donc craindre que le système des meurtres de ce genre ne soit pas encore tout à fait abandonné. Mais si, par malheur, quelques crimes analogues venaient encore s'ajouter à tous ceux dont l'origine est aujourd'hui connue, l'opinion publique n'en serait pas émue comme auparavant, car elle saurait à qui les attribuer, et elle ne les ferait pas retomber sur ceux dont la Commission a prouvé l'innocence. (1) Toutes ces sociétés, sauf une, celle des briquetiers, sont formées parmi les couteliers. LES CRIMES DE SHEFFIELD. 19 • jours, du 4 au 21 septembre. Les crimes et délits dont elle eut à rechercher Torigine avaient presque tous pour cause des que- relles entre les ouvriers briquetiers et leurs patrons, et, pour intimider ceux de ces der- niers qui résistaient aux volontés des Unions, on s'était attaqué plutôt à leurs propriétés qu'à leurs personnes. Des chevaux avaient été égorgés, des vaches empoisonnées, des meules de foin incendiées, des briqueteries détruites, et c'était seulement dans les combats noc- turnes auxquels ces actes coupables avaient donné lieu, qu'un meurtre et de nombreux actes de violence avaient été commis. L'Union des briquetiers de Stockport fut seule con- vaincue d'avoir directement favorisé ce bri- gandage. Quelques autres s'accusèrent elles- mêmes en détruisant les preuves qui pou- vaient les compromettre. L'une d'entre elles, par exemple, refusait de livrer ses comptes : on finit par saisir cinq caisses où elle les renfermait ; on les porte triomphalement au siège de la Commission; on accorde vingt- quatre heures de délai au trésorier pour 20 LES ASSOCIATIONS OCVRIÈRES EN ANGLETERRE. venir les ouvrir; puis on les force : elles étaient vides ! Soit avant, soit après la saisie, une main habile avait soustrait tous les docu- ments qu'elles contenaient. Un nommé Kay était désigné par la voix publique comme le chef et Tentrepreneur à forfait de ces expé- ditions nocturnes, dont il se faisait, disait-on, un gagne-pain ; mais, ne voulant pas sans doute imiter les aveux cyniques de Broad- head, il disparut de Manchester, et confirma ainsi les révélations qui ne tardèrent pas à être faites par ses complices. Cependant, sauf ces exceptions, on ne put reprocher aux sociétés de briquetiers et de maçons du district de Manchester que d'avoir, par d'ab- surdes règlements sur l'industrie, encouragé chez les ouvriers une hostilité contre les patrons qui poussa plusieurs de leurs mem- bres à commettre les actes de violence que nous venons de mentionner. Persuadé qu'il faut, en abordant l'exa- men d'une institution comme celle qui nous occupe, avoir tout d'abord les yeux bien ou- I LES GRIMES DE SHEFFIELD. 21 verts sur les dangers qui peuvent en naître, nous nous sommes arrêté un moment sur ce triste sujet. Mais nous n'aurions pas entrepris une pareille étude si nous n'y avions trouvé l'occasion de montrer les vraies limites du mal, et de faire, une fois pour toutes, justice de bien des exagérations. En parlant des Trades-Unions, nous aurons à citer encore quelques actes isolés de violence, à blâmer encore bien des erreurs, bien des préjugés, bien des abus de la puissance de l'associa- tion ; mais nous croyons que les esprits impar- tiaux, insensibles à de fausses alarmes, ne verront dans ces excès aucun motif de con- damner sans retour une institution vigoureuse qui tâtonne et cherche encore sa voie. Aucun esprit de parti n'avait inspiré la composition de la Commission royale. Elle contenait tous les éléments nécessaires pour provoquer une discussion complète et appro- fondie, car ses membres, au nombre de dix, présidés par l'un des juges les plus respectés de l'Angleterre, Sir William Erle, apparte- 22 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. naient aux opinions les plus opposées. La Chambre des pairs était représentée par Lord Lichfield, désigné par ses efforts pour récon- cilier en 1865 les maîtres de forges et leurs ouvriers; celle des communes par quatre de ses membres : un seul d'entre eux, Sir Daniel Gooch, directeur du Great Western Railway, connu surtout par la part qu'il a prise à la pose du câble transatlantique , appartenait au parti ministériel; les trois autres étaient Lord Elcho, libéral modéré; M. Roebuck, Téloquent avocat membre in- dépendant du parti radical; enfin M. T. Hu- ghes, l'auteur populaire, qui professe des opinions démocratiques. A côté d'eux se trouvaient un avocat, M. Harrison, l'allié fidèle de ce dernier; Sir Edmund Head, ancien gouverneur général des deux Cana- das; M. Booth; M. Merivale, ancien membre du gouvernement des Indes; et un maître de forges, M. Mathews, qui représentait la grande propriété industrielle. Des diver- gences d'opinions apparurent dès les pre-^ mières séances, dans l'interrogatoire même LES CRIMES DE SHEFflELt). 23 des témoins. Chaque membre ayaut natu- rellement le droit de leur poser des ques- tions, ceux-ci se trouvaient toujours soumis, après leur premier examen, à ce que la pro- cédure anglaise appelle le contre-examen y de la part d'un commissaire désireux de scruter la valeur de leurs dépositions, ou de leur faire atténuer ce qu'elles pouvaient avoir de trop contraire à ses propres vues. Aussi est-il probable que la Commission, qui n'a pas encore terminé ses travaux, se partagera à la dernière heure, et ne pourra s'accorder pour signer un rapport unique; mais cela ne vaut-il pas mieux que d'avoir conduit l'en- quête d*un point de vue partial qui lui aurait fait perdre toute son efficacité? Dans cette longue procédure, qui a duré près de deux ans, la Commission a entendu des témoins de toutes les classes, de toutes les professions. Les maîtres et les ouvriers se sont assis devant elle sur le même banc ; les uns et les autres, d'ailleurs, se sont empressés de pré- venir son appel. Les représentants des Unions devaient être les premiers à venir lui exposer 24 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. leur situation et leurs vœux ; les mtutres, qui avaient eu à lutter contre eux dans les grèVfcs, ne pouvaient manquer de se présenter pour leur répondre. Des deux parts, on cherchait des auxiliaires dans le camp opposé. Les maî- tres hostiles aux Unions présentaient des ou- vriers qui se disaient victimes de ces sociétés. Les adversaires des patrons demandaient à ceux d'entre eux avec lesquels ils vivaient en bonne intelligence une déposition favorable. En obligeant les deux parties à ne pas se con- tenter de vagues déclamations, mais à préciser leurs griefs, à exposer leurs vues et à s'écouter réciproquement de sang-froid, la Commission a pu adoucir bien des passions ennemies, et elle a accompli ainsi une œuvre plus impor- tante, plus durable, que toutes les lois dont elle pourra préparer la rédaction. Malgré son zèle, elle ne pouvait embrasser, dans les dépo- sitions orales qu'elle recevait, tout ce sujet immense qui lui était soumis. Elle a du les borner à Tétude des types principaux qui se retrouvent dans toutes les Unions, qui ont servi partout de modèle à leur organisation. LES CRIMES DE SHEFFiELD. 25 et à rexamen approfondi des luttes qui ont troublé quelques-unes des plus grandes in- dustries de l'Angleterre. Parmi ces industries, elle en a choisi quatre : les bâtiments, la métallurgie du fer, l'exploitation de la houille et les constructions navales, et elle a com- plété son enquête par des recherches sur la solvabilité des Unions, sur les grèves des"^ tailleurs, des verriers et des typographes, et sur la formation des conseils d'arbitres. Enfin aux dix volumes in-folio déjà publiés, et qui contiennent, sous la forme de vingt mille questions et d'autant de réponses, le compte rendu de quarante-huit longues séances, elle a joint d'autres documents : les grands in- dustriels et les représentants des principales Unions ont rempli à sa demande un formu- laire comprenant les objets principaux de son travail, et Lord Stanley a rassemblé pour elle et publié une collection de dépêches de tous les représentants de l'Angleterre à l'étran- ger, donnant de précieux renseignements sur les associations ouvrières dans les différents pays où chacun d'eux était accrédité. 26 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. La Commission royale nous offre donc tous les éléments d'une étude sur les Trades- Unions en Angleterre. Nous naurons qu'à la suivre pas à pas, guidé^i par son impartialité dans ses patientes recherches. Cette tâche sera parfois un peu ardue, et d'avance nous devons réclamer l'indulgence du lecteur. L'ordre qui nous était imposé par les tra- vaux de la Commission nous amènera à faire successivement le tableau de bien des grèves : il pourra, nous le craignons, pa» raître parfois monotone; mais il est indispen- sable pour découvrir les différences pro- fondes qui, sous leur apparente uniformité, distinguent entre elles toutes ces luttes, et les diverses populations ouvrières qui les ont soutenues. CHAPITRE II l. — l'origine des trades-unions. La prétention de régler le prix des sa- laires en dépit des variations du marché, reproche adressé de nos jours aux Trades- Unions, est un legs des législateurs du moyen âge, et c'est au contraire pour ré- sister à cette tyrannie que se sont formées en Angleterre les premières associations ouvrières. Aussi nous faut-il, pour indiquer leur origine, remonter un instant jusqu'à l'époque de ces lois oppressives. La terrible peste de 1348 avait enlevé un <|uart de la population et plongé le reste dans une affreuse misère. Mais, comme le 28 LES ASSOCIATTONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. cours naturel des affaires humaines apporte d'ordinaire le remède à côté du mal, la rareté de la main-d'œuvre en augmenta bientôt le prix, et allait assurer aux survivants de l'épi- démie les moyens de se relever, lorsque le Parlement, alarmé, intervint. 11 voulut rame- ner ce prix à ce qu'il était avant les ravages de la maladie, en fixant un maximum, et crut ainsi avoir supprimé une des funestes conséquences de la peste. Les assemblées des siècles suivants ne songèrent longtemps qu'à renchérir sur son œuvre par des lois de plus en plus restrictives. En compensation de ce maximum qui frappait les artisans, il fallut soumettre à un autre maximum les matières premières et les objets de consommation, afin qu'ils pussent les acheter à un prix modéré. Puis il fallut aussi les protéger contre la con- currence en mettant toutes sortes d'obstacles à l'admission de ceux qui voulaient entrer dans leurs rangs : de là des règlements sévères sur l'apprentissage, cette dernière forme du ser- vage, dont nos sociétés modernes ont tant de peine à se défaire. Mais, si l'industrie an- L'ORIGINE DES TRADES-DNIONS. 29 glaise était ainsi soumise au funeste régime du maximum, en revanche elle échappait au monopole absolu des corporations exercé si longtemps chez nous par les maîtrises et les jurandes. Leurs privilèges étaient, pour la plupart, limités à telle ou telle ville, et en dehors du territoire des bourgs le travail jouissait d'une liberté relative. C'est même sans doute par T effet de cette différence qu'un grand nombre de vieilles cités an- glaises ont été frappées de stérilité, s'arrêtant dans leur développement, ou tombant même dans cette décrépitude qui les a fait appeler « bourgs pourris » , tandis que la vie et l'ac- tivité fécondaient de simples villages, qui, par suite de cette récente origine, ne fu- rent pas même représentés au Parlement avant 1832, et qui portent aujourd'hui les noms célèbres de Birmingham, de Manches- ter, de Newcastle, etc. L'industrie anglaise se développait donc malgré bien des en- traves, mais sa croissance ijiême devait lui faire sentir de plus en plus les gênes qui lui étaient imposées. Aussi des sociétés secrètes 2. 30 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈBES EN ANGLETERRE. ne tardèrent-elles pas à se former pour s'en aflfranchir et élever le taux des salaires, La loi les frappe avec rigueur : sous Edouard VI, on coupait une oreille à Thomme convaincu pour la troisième fois de sV être affilié. Lorsque le maximum tomba en désuétude, ces sociétés lui survécurent, et avec elles les lois qui les condamnaient. L'abolition des dernières restrictions imposées à la liberté du marché ne date que des premières années du siècle, et ce ne fut qu'en 1824 que les sociétés ouvrières cessèrent d'être poursui- vies, et que le délit de coalition, quia subsisté chez nous jusqu'en 1864, disparut des codes anglais. Cependant, grâce à la liberté politique et à la prospérité commerciale, ces so- ciétés purent, dans les années qui précédè- rent leur affranchissement, se multiplier et se fortifier au point d'exercer une sérieuse influence sur l'industrie. C'est l'époque des grandes violences. Obligées de conspirer pour préparer et diriger les grèves, elles sont naturellement intolérantes et ne savent L'ORIGINE DES TRÂDES-13NI0NS. 31 recourir qu'à la force; privés de l'usage d'un droit naturel, leurs membres se lient entre eux par des formules cabalistiques , des cérémonies bizarres et des serments coupables : les crimes se multiplient, et Broadhead a parmi eux plus d'un obscur prédécesseur. L'histoire des ouvriers de Not- tingham, entre autres, prouve combien la législation qui leur a permis de s'associer ouvertement, loin d'envenimer leur hostilité contre les patrons, a contribué à amener l'heureuse entente qui y a succédé. En 1811, l'industrie de la bonneterie de Nottingham souffrait cruellement. Les ou- vriers, mal payés, achetaient à des prix exorbitants l'usage des métiers appartenant aux patrons pour lesquels ils travaillaient à domicile. L'introduction des machines, qui menaçaient de réduire encore leurs salaires, en faisant concurrence à cette industrie ca- sanière, amena l'explosion. Comme presque toujours en pareil cas, c'était le moment où les maîtres, à peu près ruinés eux-mêmes, étaient le moins en mesure de faire des 32 LES ASSOCTATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. concessions à leurs ouvriers. Le résultat fut, non pas une grève, mais une véritable in- surrection. Réunis la nuit en conciliabules secrets, les ouvriers déclarèrent la guerre aux nouvelles machines, et formèrent des bandes armées pour les détruire. Toutes les manufactures furent attaquées, plusieurs pillées ou brûlées ; la contagion s'étendit aux comtés voisins, et bientôt les Luddites (nom emprunté par ces bandes à l'un de leurs chefs) exercèrent leurs ravages sur la plus grande échelle. Leur secret fut si bien gardé, qu'ils échappèrent d'abord aux re- cherches les plus actives. Pendant six ans, ils reparurent à certains intervalles, malgré l'exécution de la plupart de leurs chefs. Dix-huit d'entre eux furent pendus à York en 1813. Depuis lors jusqu'en 1817, on les traita avec la même rigueur, et la peine de mort fut décrétée contre quiconque serait convaincu d'avoir brisé un métier. Traqués enfin de toutes parts, les Luddites devin- rent de vulgaires pillards, et disparurent. Mais cette sévère répression n'avait pas re- L'ORIGINE DES TRADESUNIONS. 33 médié aux souffrances de la population de Nottingham, dont la moitié n'avait vécu en 1812 que de Tassistance publique. C'est alors seulement que se fondèrent dans cette ville de nombreuses associations ouvrières, qui devinrent des Unions lorsque la loi contre les coalitions fut rapportée. Cet acte de jus- tice ne pouvait cependant détruire en un jour une hostilité fondée sur de pareils souvenirs : elle subsista encore pendant qua- rante ans, au milieu de querelles sans cesse renouvelées sur la question des salaires. Enfin, il y a trois ou quatre ans, par une admirable transformation, l'ancien foyer du Luddisme est devenu la ville modèle où les ennemis d'autrefois font, par leur accord, apprécier à toute l'Angleterre les heureuses conséquences de la réconciliation. Pour ne pas multiplier les exemples, ajou- tons seulement que plusieurs des Unions ac- tuelles , comme celles des typographes de Londres et des mouleurs en fonte du Staf- fordshire, existaient dès les premières années 34 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. du siècle, les unes sous la forme d'associations- ayant un but licite, les autres comme sociétés pecrotes. II, ~ LA SITUATION LÉGALE DES TR A DES-UNIONS. Comme nous Tavons déjà dit, c'est en 1824 que le Parlement abolit toutes les lois con- traires aux coalitions ; mais les maîtres s'étant plaints que cette mesure permettait en même temps aux ouvriers de rompre impunément leurs contrats, elle fut modifiée sur ce point par un acte de Tannée suivante. Toutes les traces de l'ancienne inégalité qui avait pesé si longtemps sur les classes ouvrières ne furent d'ailleurs pas effacées de la législation. Ainsi, la loi du maître et du serviteur (M aster and Servant act)^ qui voulait que le premier fût toujours cru de préférence sur son affir- mation, n'a été abolie que l'année dernière; et la définition des limites dans lesquelles une coalition doit se maintenir pour ne pas tom- ber sous le coup du code pénal est encore très-vague. La jurisprudence elle-même n'a LA SITUATION LÉGALE DES TRADES-UNIONS. 35 pu jusqu'ici réussir à les tracer. En effet, la loi joint aux actes évidemment délictueux, tels que les violences et les menaces, « tout ce qui peut ohstrwr le commerce », et tout ce qu'elle appelle consptracy. Un exemple peut seul faire comprendre 1^ sens de ce mot, qui ne correspond pas exactement à celui de conspiration : le simple fait de dissuader un ouvrier du travail est un acte parfaitement légitime; mais, en 1867, les chefs de la grève des tailleurs s'étant concertés pour organiser des postes de sentinelles, qui se bornaient à prévenir les ouvriers que telle ou telle maison était frappée de grève, furent déclÉU^és cou- pables de conspiracy. Enfin, lorsque le patron viole le contrat qu'il a fait avec un ouvrier, celui-ci ne peut lui réclamer que des dom- mages-intérêts, tandis que, si les rôles sont renversés, le maître, outre l'action civile qui lui est toujours ouverte, peut poursuivre l'ouvrier au criminel et le faire condamner à trois mois de prison. En dernier lieu, comme nous l'avons déjà dit, la loi refuse de recon- naître et de protéger les fonds de toute 36 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. société destinée à soutenir les grèves. Cette dernière disposition est un de leurs princi- paux griefs ; en voici l'origine. Depuis la loi de 1824, la formation d'une union n'est plus un acte illégal; mais ces associations ne furent pas pour cela recon- nues comme personnes morales, ni investies, comme les sociétés en commandite, du droit de posséder. Cette distinction échappa à leurs fondateurs. Elles s'en émurent enfin, il y a quelques années, à propos d'une loi qui assu- rait aux sociétés de secours mutuels cette reconnaissance, pourvu qu'elles fussent en- registrées et approuvées par un officier pu- blic spécial. Les mêmes privilèges étaient accordés à toute autre société enregistrée de la même façon, si son but n'était pas contraire aux lois ; mais l'approbation devait lui être donnée par le ministre de l'intérieur. L'esprit d'association est trop indépendant en Angle- terre pour se soumettre volontiers à un con- trôle préalable, quelque impartiale que soit l'autorité qui doit Texercer. ,Les chefs des Trades-Unions étaient assurés d'obtenir la LA SITUATION LÉGALE DES TRADES-UNIONS. 37 sanction ministérielle pour leurs sociétés dans la Grande-Bretagne ; mais un certain nombre d'associations s'étendent à l'Irlande, et l'on craignait des refus du gouverne- ment de cette partie du Royaume-Uni. Deux membres de la Chambre des com- munes, Lord Goderich (aujourd'hui comte de Grey) et M. S. Estcourt, s'entendirent avec les représentants des principales associations ouvrières, et particulièrement avec M. Allan, secrétaire des Sociétés unies des mécaniciens, pour rédiger et introduire dans la loi un article donnant aux Unions le droit de se constituer légalement, et de se faire enregistrer dans la même forme que les sociétés de secours mu- tuels, pourvu toujours que leurs statuts ne continssent rien d'illégal. Les deux Chambres votèrent cet article après une discussion assez vive. Les privilèges de personnes morales n'étaient accordés que conditionnellement aux ligues de métiers ; mais des autorités con- sidérables parmi les jurisconsultes anglais, par exemple, sir A. Cockburn (aujourd'hui chief justice ou premier juge), et le baron à8 LÈS Associations ouvrières en Angleterre. Rolfe (depuis chancelier, sous le nom de Lord Cranworth), s'étaient prononcés, le premier dans une consultation, et le second dans un jugement, de manière à leur faire croire que le seul fait d'organiser des grèves ne pour- rait les faire tomber sous le coup de la clause résolutoire. Il leur semblait impossible que la même loi leur retirât d'un côté ce qu'elle leur accordait de l'autre, dans un article voté par deux assemblées, en toute connais- sance de cause. Elles comptaient donc y trou- ver une protection assurée. De là leur émo- tion, lorsqu'en 1867, après qu'elles avaient vécu plusieurs années dans cette croyance, survint l'arrêt de la Cour du Banc de la Reine que nous avons cité plus haut. Les motifs de cet arrêt en aggravaient encore l'importance. En effet, le droit coutumier d'Angleterre déclare nul et illégal tout engagement « con- traire au bien ptiblic » , et la jurisprudence des tribunaux a établi que toute combinaison de maîtres ou d'ouvriers ayant pour but d'in- fluer sur les conditions du travail était « une restriction du commerbe contraire au bien U SITUATION LÉGALK DES TUÂDKS-UNIONS. 39 public ». De là le refus d'accorder aux Unions les privilèges qu'elles croyaient avoir obtenus; et il se trouve que, si, depuis 1824, elles ont cessé d'être des combinai- sons criminelles , elles n'en demeurent pas moins pour cela frappées d'incapacité lé- gale (1). Ces restrictions, qui blessent sans entra- ver, ont contribué à entretenir chez les ouvriers l'ancien esprit d'hostilité contre les maîtres, que le temps et les perfectionne- ments de la législation peuvent seuls faire disparaître ; mais hâtons-ndus d'ajouter qu'elles Sont dès aujourd'hui amplement com* pensées par deux puissants correctifs : l'in-^ (1) En 1868^ lihe loi d*un caractère provisoire est Venilë améliorer cette situation » en définissant ce qui, dans les statuts des Unions, doit être regardé comme uhe restrictioii du com- merce et eti le limitant aux rêglehients qui imposent à Ifeui's mefai^ bres un cettaiti mode de travail, tel que le travail à la journée j oU l'obligation de quitter T ouvrage après uii certain nombre d'heures, tlette nouvelle loi, quoique insufiisante , est déjà pour les Unions une importante garantie, et a permis â Tune d'entre elles d'obtenir, le 19 décembre 1868, la condamnation d'un Caissier infidèle. 40 LES ASS0G1ATI0I4S OUVRIÈRES LN ANGLETERRE. dépendance de la magistrature et la force de l'opinion publique. II y a donc quarante-quatre ans que Tou- vrier anglais jouit de la liberté de se coaliser, (Je disposer de son travail comme le marchand de .sa marchandise , comme le producteur de seiSî produits. Aujourd'hui, l'armée des travjaiUeurs f enrôlés sous les bannières des Trades-Unions peut rivaliser avec celle des plus grands Etats du continent, car elle se compose de plus de huit cent mille volon- taires. Même parmi ses adversaires, personne ne se flatte de la dissoudre : il faudrait pour cela revenir violemment en arrière jusqu'aux lois qui consacraient le servage des classes ouvrières. Il faut donc compter avec une force aussi nombreuse et aussi bien orga- nisée, et l'intérêt de toutes les classes veut qu'on lui persuade de déposer les armes, en lui montrant qu'elle peut trouver un meil- leur emploi de sa puissance que dans les luttes stériles qu'elle a engagées jusqu'à présent. La France ne saurait demeurer indiffé- U SITUATION LÉGALE DES TRADES-UNIONS. M rente à ce spectacle, ni chercher simplement un avantage éphémère dans la perturbation industrielle que ces luttes peuvent causer chez nos voisins; car quelle est la nation assurée d'y échapper? L'Angleterre verra peut-être une brise favorable enfler ses voiles pendant que nous serons encore dans les régions où sévit la tempête. En effet, l'élé- vation des salaires est un objet que les clas- ses ouvrières poursuivent également dans tous les pays, quels que soient les moyens qu'elles emploient pour l'atteindre, et tant que leur travail est acheté comme une simple denrée, tant qu'il n'est pas associé aux fluc- tuations des profits industriels, il est naturel qu'elles ne songent qu'à en augmenter la valeur mercantile, sans s'inquiéter des effets ultérieurs de cette augmentation. Du moment que la législation est débarrassée des injustes entraves qui les empêchaient d'en disposer librement, la grève devient le premier in- strument qu'elles emploient pour défendre leurs intérêts : pour la soutenir, il faut for- mer une caisse de chômage, et de celle-ci i^ 42 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. rUnion, il n'y a que la différence du provi- soire à une institution régulière et perma- nente. c< Le malaise qui existe parmi les » classes ouvrières dans le monde entier, et » particulièrement là où elles sont le plus » éclairées, peut être attribué à deux causes, » dit dans sa déposition M. Hewitt, maître » de forges américain, qui, comme la plupart )> de ses compatriotes, n'est pas plus esclave » de la routine que disciple des théories ab^ » solues. — La première est l'introduction » générale des machines, qui ont énorme- ï) ment accru la production, sans que (aux » yeux des ouvriers du moins) les lois du » partage des bénéfices aient été modifiées » d'une façon correspondante.... — La se- » conde est l'affluence de l'or de Californie » et d'Australie, qui a troublé toutes les » valeurs relatives : la valeur du travail a » été troublée comme celle d'autres denrées. » Ce rapport se rétablirait sans les Trades- » Unions; mais les ouvriers croient qu'ils » obtiendront plus facilement ce rétablissé- » ment avec leur aide. » Ils savent que les U SITUATION LÉGALE DES TRADES- UNIONS. 43 relations internationales sont trop fréquentes, les échanges trop faciles, pour qu'ils puissent, sur ce point, conquérir jamais des avantages durables qui ne seraient pas, dans un pro*» chain avenir, partagés par les classes labo-^ rieuses des autres pays ; et lorsque les manu* facturiers anglais reprochent à leurs ouvriers de ruiner Tindustrie, de se ruiner eux-mêmes en exigeant un accroissement de salaire qui favorise la concurrence étrangère, ceux-ci répondent que les ouvriers du continent obtiendront bientôt à leur tour ce même ac- croissement, qu'ils les y aideront s'il le faut, et qu'ainsi la partie sera de nouveau égale, L'importance des Trades-Unions ne peut donc plus échapper à personne. Nous nous proposons de donner d'abord un aperçu de leurs caractères généraux, et d'indiquer ensuite, en adoptant le même ordre que la Commission, ce qui, dans chaque industrie, leur donne une physionomie particulière. C'est à ce propos que nous ferons voir leur rôle dans les querelles industrielles. Enfin, nous lia LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. chercherons, par quelques exemples récents, à découvrir de quelle manière elles peuvent être, soit désarmées, soit remplacées, soit plutôt encore employées à des œuvres fé- condes pour la société entière. CHAPITRE m L'ORGANISATION DES TRADES -UNIONS La Trade-Union est avant tout une caisse permanente de chômage. Après avoir géné- ralement payé une entrée, parfois assez forte, les membres versent chaque semaine une souscription, variant de un penny jusqu'à un et même, dans certains cas, 2 shillings (5 fr. 45 c, 65 fr. et 130 fr. par an). Il se forme ainsi un fonds de réserve, qui grossit rapidement dans les années prospères, et qui est destiné à soutenir les membres de la société lorsqu'ils chôment, soit faute d'ou- vrage, soit par suite d'une grève. La sous- cription est égale pour tous les membres (1), (1) Excepté dans deux ou trois sociétés qui ont deux tarifs, ot dans la société des typographes de Londres, qui seule gradue les souscriptions d'après le salaire de chacun. 3. 4G LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. et cette égalité est une des bases de Tinstitu- tion, car elle implique un égal soutien en cas de chômage : en temps de grève, il ne s'agit pas pour Tourrier de gagner plus ou moins, il faut que T Union rempêche de mourir de faim, et pour cela sa plus ou moins grande habileté ne fait aucune différence. Le nombre de bouches qu'il a à nourrir, s'il est père de famille, peut seul faire augmenter l'indemnité que l'Union lui assure. Cette indemnité varie naturellement beau- coup selon les industries et les ressources de chaque société. Plus d'une, voyant sa caisse se vider au milieu d'une grève prolongée, a dû diminuer graduellement les distributions qu'elle faisait à ses membres, jusqu'au jour où 'ses dernières ressources se trouvèrent épuisées. De là, pour les chefs des diverses Unions, le devoir de ne jamais se lancer dans une lutte contre les maîtres sans en avoir mûrement pesé les chances. La société est administrée par un conseil de surveillance, ou conseil exécutif, élu chaque année par le votp secret de tous les L'ORGANISATION DES TRADES-UNÏONS. 47 membres, et qui compte dans son sein un président, un caissier et un secrétaire. Le gouvernement de la société, les relations avec les patrons, les décisions relatives aux grèves, lallocation des indemnités, enfin l'admission et la radiation des membres, appartiennent exclusivement à ce conseil. A l'assemblée gé- nérale sont réservées les grandes affaires finan- cières, telles que l'imposition d'une contribu- tion extraordinaire sur tous les membres, si, une partie d'entre eux étant en grève, les ressources normales de la société ne suf- fisent pas à les soutenir. Mais les Unions les plus puissantes, comme les mécaniciens unis, les charpentiers et les menuisiers unis, les maçons, les deux grandes sociétés des ouvriers en fer du Staffordshire et du nord de l'Angleterre, celle des mou- leurs en fonte, des filateurs du Lancashire, l'Association nationale des mineurs, qui compte 35000 membres, et bien d'autres encore, ont une organisation plus compliquée, et se subdivisent elles-mêmes en un grand iional>pe 4^ l^FWches. Cbaaue branche, ovi 48 LES ASSOCIATIONS 013VRIÈRES EN ANGLETERRE. loge, se compose des ouvriers habitant un même district, élit son comité, a sa caisse spéciale, qu'elle administre, mais dont elle doit rendre un compte annuel au conseil central. Celui-ci est formé des délégués élus pour six mois par les diverses branches, proportion- nellement au nombre de leurs membres, et de deux employés, le secrétaire et le tréso- rier, nommés directement par le suffrage de tous les membres (1). Ce sont les loges qui admettent dans rUnion les candidats présentés par deux membres, et qui décident, en premier ressort, des exclusions, des secours et des grèves locales. Mais on peut toujours en appeler à Tautorité centrale, et la loge qui se mettrait en grève avant d'avoir obtenu la sanction de cette autorité ne serait pas soutenue par la société. Enfin, le vote des levées et Tappel d'une loge contre la décision du conseil appartiennent à l'assemblée générale. Les (1) Parfois, sans autre élection, c'est le comité de chaque loge qui est alternativement investi du pouvoir exécutif. L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 49 mécaniciens unis comptent 308 branches, dont 1 1 en Amérique et quelques-unes parmi les ouvriers anglais établis en France et en Australie ; les charpentiers et les menuisiers unis en ont 190, les maçons 278, et une autre société de charpentiers 150. Dans quelques- unes de ces sociétés, les deux premières, par exemple, la réserve amassée par chaque branche est, à la fin de l'année, portée à une masse commune, qui est à son tour partagée entre toutes, proportionnellement à leurs membres, de manière à répartir également les dépenses sur la société entière. D'autres, au contraire, laissent à chaque branche une complète indépendance financière, sauf à la faire secourir par les autres si cela est néces- saire. Le membre d'une branche qui change de domicile se trouve, au bout d'un an, affilié de droit à la branche établie près de sa nou- velle résidence ; une simple carte fournie par la branche qu'il quitte le fait recevoir dans l'autre (1). (1) Une couleur spéciale est réservée à ceux qui ont été renvoyés par leur patron pour cause d'ivrognerie ou de 50 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Les radiations, qui sont très-nombreuses, et qui, chez les mécaniciens unis par exemple, s'élèvent au tiers des admissions, sont presque toujours le résultat d'une retraite volontaire signifiée par une cessation de payement. L'ouvrier change de résidence et ne se soucie pas toujours de se faire affilier ailleurs à une autre société ; souvent même il néglige de se faire recevoir par une nouvelle loge de la même société. Bien des fois, après une grève qui a épuisé ses ressources, après avoir long- temps vécu des secours de la société, il ne veut pas ou ne peut pas recommencer à payer sa cotisation, et se retire. Il arrive aussi que la société ou la loge prononce l'exclusion d'un membre qui s'est rendu indigne ou qui a violé les règlements. Un ouvrier qui continue- rait à travailler pour un patron contre lequel l'Union aurait décidé de se mettre en grève mauvaise conduite. Ainsi la carte rouge, tout en les faisant admettre en vertu d'un droit qu'ils n*ont pas perdu, est une mauvaise note auprès de leurs futurs camarades ; la carte bleue est réservée aux membres adipis depuis moii)s d'un an ; la noire est la meilleure, L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. .^1 serait naturellement exclu, s'il ne prévenait cette sentence par une prompte retraite (1). Quoique la caisse de chômage joue toujours le rôle principal dans le budget des Unions, un petit nombre seulement d'entre elles, appelées par excellence « Trade Soctelies » , limitent exclusivement l'emploi de leurs fonds au soutien des grèves. Ces sociétés sont géné- ralement peu importantes. Les autres offrent en outre à leurs membres certains avantages empruntés aux sociétés de secours mutuels, tels qu'une indemnité hebdomadaire en cas d'accident et presque toujours aussi en cas de maladie, des frais d'enterrement, montant à 200 ou 300 francs, et souvent la moitié de la (1) Ce n'est que pour mémoire que nous mentionnerons une société qui s'intitule l'Association des ouvriers de Londres, et qui, sous la direction de M. Potter, aspire au rôle de repré- sentant suprême des Unions formées dans les différents métiers. Elle se compose des délégués nommés par quelques-unes de celles-ci. Mais elle paraît avoir peu d'influence, si l'on en juge d'après la manière dont les principaux chefs du mouve- ment unioniste en ont parlé devant la Commission. Ils lui ont particulièrement reproché d'avoir encouragé des grèves par des promesses qu'elle n'a pas pu et qu'elle ne pouvait pas tenir, 52 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. même somme pour les funérailles de leurs femmes. Quelques-unes les assurent contre la perte de leurs outils, et il y en a trois qui garantissent une retraite aux vieillards et aux infirmes. Cette combinaison est vivement attaquée par les adversaires des Unions, taudis que leurs défenseurs la regardent comme avan- tageuse et même nécessaire à leur existence. Aussi devons-nous nous arrêter un moment aux discussions qui ont eu lieu sur ce sujet devant la Commission. On adresse aux sociétés ainsi formées, dites « Unions mixtes y>, deux reproches principaux: 1** d'attirer par l'ap- pât des bénéfices qu'elles leur promettent bon nombre d'ouvriers disposés à rester étrangers à la guerre des grèves, et de les y entraîner ensuite, malgré eux, par la crainte de perdre tous les droits que leur assurent leurs sous- criptions accumulées ; 2** d'avoir établi leurs budgets de telle sorte qu'à la longue elles ne pourront, en aucun cas, faire honneur aux engagements qu'elles ont pris envex^s leux^s membres. L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 53 Au premier grief les chefs des Unions répondent que les avantages offerts par le fonds de secours attirent bien peu d'ouvriers, puisque, dans toutes les sociétés où Ton peut à son choix s'abonùer à ce fonds ou limiter ses souscriptions à la caisse de chômage., les abonnements sont fort peu nombreux. Mais, en revanche, elles offrent au public en général, aux maîtres eux-mêmes, et surtout aux ou- vriers, qui sont les premiers à souffrir des grèves, bien plus de garanties d'une conduite prudente que les pures « Trade Societies^^. Celles-ci, qui comptaient dans leurs rangs toutes les associations de couteliers de Shef- fîeld, se sont toujours distinguées par leur intolérance et leurs procédés violents. Une fois maîtresses d'un fonds commun destiné exclusivement aux grèves, leur tendance na- turelle est de lui chercher de l'emploi à tort ouàraison. Dans les sociétés mixtes, au con- traire, toute grève entame les ressources de la caisse de secours, et l'ouvrier, qui sait que chaque jour de chômage lui fait perdre tant pour cent des i^vantages futurs sur lesquels b^ LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. il compte, sera bien moins disposé à quitter le travail que s'il devait être entretenu dans l'oisiveté par un fonds spécial dont, si ce n'est lui, un autre profiterait. Les Unions mixtes n'enrôlent donc par aucune séduction les ou- vriers disposés à ne pas prendre part aux grèves, mais elles offrent à la partie économe et sage de la classe ouvrière, avec les moyens de soutenir les luttes inévitables, un puissant encouragement à en restreindre le nombre et une véritable prime en faveur de la modé- ration. Le second reproche nous amène à examiner l'organisation financière de ces sociétés. Leur avenir en dépend, car elles ne sont qu'un leurre dangereux si elles ne parviennent pas à constituer entre les mains des ouvriers une force capable de balancer celle des capitaux possédés parles maîtres. Une longue et vive polémique a été engagée sur ce sujet, devant la Commission, entre M. Applegarth, secré- taire des Sociétés unies des charpentiers et des menuisiers, et M. Tiicker, contrôleur d'une grande Société d'assurances sur la vie, L'ORGANISATION DES TKADES-U NIONS. 55 appelé comme expert par les commissaires. Celui-ci, après avoir examiné tous les comptes de la grande Union de M. Applegarth, elles avoir soumis aux règles admises pour le cal- cul des assurances sur la vie, des tontines et des secours mutuels, a prononcé contre elle, au nom de la science des chiffres, un arrêt de mort, et déclaré que toutes les sociétés orga- nisées de la même manière marchaient à une banqueroute inévitable, et d'autant plus irré- parable qu'elle aurait été différée plus long- temps. Prenons donc cette société comme exemple, pour montrer le mécanisme et les ressources de ces grandes associations. Elle lève sur chacun de ses membres d'a- bord une entrée de 5 shillings (6 fr. 25c.), puis 1 shilling par semaine , et en outre 3** (31 cent.) par trimestre; ce qui porte la contribution annuelle à 2 livres sterl. 13'^ (66 fr. 25 c). Les sommes ainsi recueillies entrent dans un fonds commun pour subvenir à toutes les dépenses, qui peuvent se diviser en trois chapitres : I. les secours mutuels; — 56 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. II. les affaires du métier (Trade-purposes) ; — ni. les frais généraux. I. Les secours mutuels (benefits) se décom- posent ainsi : 1** Secours en cas de maladie, 12 shillings (15 fr.) par semaine pendant vingt-six semaines, et ensuite 6 shillings (7 fr. 50 c.) par semaine aussi longtemps qu'ils sont nécessaires; — 2*" secours aux vieillards [super annuaiion)^ 5 shillings (6 fr. 25 c.) par semaine à ceux qui sont membres depuis plus de douze ans, 7 shillings (8 fr. 75 c.) à ceux qui le sont depuis plus de dix-huit ans, et 8 shillings (10 fr.) à ceux qui le sont depuis plus de vingt-cinq ans; — 3° frais d'enterrement d'un membre, 3 livres sterl. 10''' (87 fr. 50 c.) s'il a moins de six mois d'affiliation, et, s'il en a plus, 12 livres sterl. (300 fr.). II. Les dépenses relatives aux affaires du métier sont : 1° Le soutien des grèves approu- vées par la société ; chaque membre chômant reçoit 10 shillings (12 fr. 50 c.) pendant les douze premières semaines, et 6 shillings (7 fr, 50 c.) pendant les douze suivantes; '— L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 57 2° le soutien des membres sans ouvrage, fixé à 15 schillings (18 fr. 75 c.) par semaine, lorsque leur renvoi n'a pas été motivé par leur mauvaise conduite; — 3"* Tassurance contre la perte de leurs outils, complète, s'ils ont plus de six mois d'affiliation, sinon limitée à la somme de 5 livres sterling (125 fr.); — 4° une prime d'émigration de 6 livres sterl. (150 fr.), ou supérieure, si les ressources de la Société le permettent ; — 5° une in- demnité en cas d'accident (1); — 6M'assis- tance accordée à d'autres sociétés pour les aider à soutenir des grèves. III. Les frais généraux, qui atteignent une proportion considérable, comprennent le salaire fixe des secrétaires, l'indemnité et les jetons de présence des délégués et des membres du conseil, la location des bureaux et salles de réunion, et surtout l'impression de nombreux documents. Ces dépenses se sont élevées en 1865, (1) Les comptes de la société font figurer celte dépense au second chapitre, quoiqu'elle semble devoir plutôt appartenir au premier. 58 LES ASSOCIATIONS OtJVRIÈHES EN ANGLETERRE. pour les trois chapitres, à 1635 livres sterl., 2790 livr. sterl., et 2307 livr. sterl/, formant un total de 6742 livr. sterl. (168 550 fr.) en- viron (1). Les recettes ont été de 10 488 livr. sterl. (262 200 fr.), laissant un excédant de 3746 livres sterl. (83 650 fr.), qui est versé à un fonds de réserve destiné à faire face dans Tavenir à T accroissement des charges du premier chapitre (2). Un peu plus de la moitié des revenus bruts est donc consacré aux charges pré- sentes des secours mutuels, ou mis de côté pour y subvenir plus tard. (1) En négligeant les fractions i (2) Pour montrer l'importance relative de cfes diverses dépenses, le secrétaire de l'Union a calculé le rapport de cha- cune avec la somme totale du budget, en l'exprimant par des chiffres où 100 représente cfette somme; Ainsi, la part de Fexcédant en réserve dans le hudgfet est de : 35,80 jp. 100 I Du premiet" cllapitte 15,59 — Du second chapitre; . .' 26;6i — Dti troisième chapitre . ^ ...... ; 22 » — 1 100 » Et l'eicédant eh réserve j i*éunî aux secours mutuels actuels, Jioiir exprimer l'ensemble des solnmës affectées aux secours I présents et futurs, est de 51, 39 pour 100, c'est-à-dire un peu plus de la moitié des dépenses. L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 5Ô C'est sur ce chifiFre que se fonde M. Tucker pour conclure à Tinsolvabilité de la société. S'appuyant sur les tables dressées pour les annuités et les assurances sur la vie, il af- firme qucj si la moyenne des membres était admise à Tâge de trente ans, la contribution entière de 1 shilling (1 fr. 25 c.) par semaine suffirait à peine à maintenir le premier cha- pitre en équilibre ; et que si cet âge moyen était quarante-cinq anS, elle devrait être double , tandis qu en réalité elle n'est que de 6*^ (62 cent.) par semaine, puisque la moitié seulement des revenus est affectée au premier chapitre* Hien n^est plus injuste, dit-il, que de faire payer à tous les membres, sans distinction d'âge, la même cotisation : le jeune homme, qui a probablement 1 rente années de santé devaiit lui avant de recourir aux secours de la société, paiera ainsi cfes secours dix fois plus cher que Thomme reÇu sur le déclin de l'âge, que la maladie frappe plus volontiers j que la vieillesse étreindra bientôt. Le danger qui menace les Unions mixtes ne peut appa- raître qu'avec le temps. Formées d'abord 60 LES ASSOCIATIONS OUVRIËKËS EN ANGLETERRE. d'hommes sains et vigoureux, leurs pre- mières dépenses sont faibles ; les recettes donnent des excédants magnifiques; ceux qui ont la bonne chance, si Ton pouvait parler ainsi, d'être malades à cette première époque sont libéralement secourus. Mais la génération des fondateurs vieillit : les uns meurent, et il faut payer leur enterrement ; les autres sont malades ou infirmes, il faut les soutenir. Ils ne contribuent plus aux recettes, la réserve s'épuise, et la génération qui leur succède se voit obligée de supporter une partie de ces charges. Tant que le nombre des membres va en augmentant, Taccroissement des re- cettes qu'il assure couvre celui des dépenses ; mais le vice radical se montre aussitôt que la société a atteint ses limites normales. Les cotisations régulières ne suffisent plus alors, et il faut des levées extraordinaires pour sub- venir aux besoins de ceux qui ont trop peu payé dans leur jeunesse. Devant ces nou- veaux impôts, les membres actifs se retire- ront, pour entrer dans une société plus nou- velle et plus prospère en apparence, mais L'ORGANISATION DES TRADES-DNIONS. 01 qui, comme la précédente, terminera infail- liblement sa carrière devant la « Cour de banqueroute ». Ces sombres pronostics ne sont pas restés sans réfutation. Parmi les défenseurs des Unions, M. Applegarth prend le premier la parole pour montrer les sources de revenus négligées par M. Tucker. Le produit des amendes imposées aux membres eu retard dans leurs payements, et qui, en 1866, ont rapporté 400 livres sterl. (10000 fr.); — la privation de tout secours tant qu'ils ne se sont pas mis en règle, représentant une écono- mie de 250 livres sterl. (62S0 fr.); — enfin, et surtout, leur exclusion, lorsque ce retard dépasse une certaine limite, exclusion pro- noncée dans le courant de la même année contre plus d'un millier de membres, et qui, tant par les secours qu'elle économise sur le capital des cotisations déjà payées, que par les entrées qu'un certain nombre de membres admis une seconde et même une troisième fois ont eu à payer de nouveau, a assuré à la société un bénéfice de 2000 livres sterl. 62 LES ASSOCIATIONS OUVIUÊRES EN ANGLETERRE. (50 000 fr.). D'autre part, le contrôle sani- taire exercé par les ouvriers les uns sur les autres est bien plus efficace que dans une société de secours mutuels. L'Union, qui n'est pas une société de bienfaisance, mais une association de combattants, n'admet dans ses rangs que des hommes forts et valides ; les faux prétextes à secours ne peuvent se sou- tenir en présence des camarades d'atelier : aussi la moyenne des maladies y est-elle très- faible. Enfin les dépenses de chaque chapitre ont déjà atteint leurs proportions normales, sauf celles de la caisse de retraite pour les vieillards. Celle-là, M. Applegarth lui-même le re- connaît, peut s'accroître encore d une ma^ nière compromettante pour l' avenir ^i silWne prévient cette difficulté par une élévation de cotisations ou une réduction de la pension; Mais hâtons-nous d'ajouter que trois Unions seulement, parmi toutes celles dont la Com- mission s'est occupée, promettent cette retraité aux vieillards : toutes les autres échappent par conséquent aux dangers signalés par Texperti L'ORGANISATION DES TRADES-13N10NS. 63 * On comprend que ses attaques n'en aient pas moins causé une grande émotion parmi les défenseurs des Unions. Aussi, malgré l'aridité du sujet, la discussion s'anime-t-elle de plus en plus. Au secrétaire des charpentiers unis a suc- cédé celui des mécaniciens unis. M. AUan représente Tune des plus puissantes sociétés de TAngleterre, car elle compte plus de trente mille membres, et en 1865 elle a fait 86 885 livres sterl. (2 172 125 fr.) de re- cettes, 49 172 livres sterl. (1 229 300 fr.) de dépenses, tandis que sa réserve s'élevait à 140 000 livres sterl. (3500000 fr.). Il in- voque seize années d'expérience (1), durant lesquelles la prospérité non interrompue de l'association lui a permis d'augmenter gra* duellement le taux de ses secours, tout en ne (1) Cette expérience remonte même bien plus haut, car la Société unie, dans sa forme actuelle, représente plusieurs asso- ciations beaucoup plus anciennes, dont elle a accepté toutes les charges. C'est pour cela que nous lui voyons payer des pen- sions de vieillesse dès le jour de sa formation, bien que, par ses règlements, il faille, pour y avoir droit, être membre depuis dix-huit ans. 64 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. prélevant, en 1866, sur la contribution an- nuelle de 2 livres sterl. 1 2''' (65 fr.), payée par chaque membre, que 8'*' 3'^, (10 fr. 31 c.) pour les malades, 3'** 2"^, (3 fr. 95 c.) pour les vieillards, 3*'' 2' '- (4 fr. 02 c.) pour les frais d'enterrement, et 1 1"^ i (1 fr. 20 c.) pour les accidents, c'est-à-dire 15'^ 2*^ ^ (19 fr.) pour toutes les dépenses du premier chapitre. Il fait tomber le reproche d'injustice adressé par M. Tucker au système de l'uniformité des coti- sations, en montrant que cette égalité est com- pensée par l'inégalité de la taxe d'entrée, variant selon Tâge du membre et de la pension elle-même, dont le chiffre dépend du nombre d'années durant lesquelles le pensionnaire a payé sa contribution. Il affirme enfin, d'une part, que les nombreuses radiations contri- buent à maintenir à un chiffre peu élevé l'âge moyen des membres, qui n'a pas varié depuis dix ans, et, d'autre part, que la moyenne de maladies etd'infirmités adoptée par M. Tucker, et sur laquelle il se fonde pour déclarer la société insolvable si elle n'a pas 1 7 millions pn caisse, est singulièrement exagérée. L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 65 Ces assertions ont été, dans le courant de rënquête, confirmées par d'autres repré- sentants des Unions. Nous ne citerons que M. Harnott, secrétaire d'une société de ma- çons, qui se soutient depuis trente-trois ans, et comptait, en 1866, 17 762 membres (1). Enfin une autorité d'autant plus grande qu'elle est parfaitement impartiale, est venue réduire à leur juste valeur les fâcheuses pré- visions de M. Tucker. Dans un rapport remis à la Commission trois mois après la clôture de la discussion sur ce sujet, M. Fin- laison, employé supérieur de l'administration de la Dette publique, et chargé par le gou- vernement de nombreux travaux de statis- tique, a discuté et ramené à des chiffres pré- cis les arguments qui avaient été avancés de part et d'autre. Comme cette question est d'une grande importance dans tous les pays, nous donnons en note les calculs qu'il a faits sur les budgets des deux sociétés modèles (1 ) Elle offre cette particularité que ceux qui ne veulent souscrire qu'à la caisse de chômage payent une cotisation moindre, et n'ont pas droit aux secours du second chapitre. à. 66 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. des mécaniciens unis et des charpentiers unis. On y verra qu'après avoir pesé et formulé toutes les circonstances favorables aux Unions, il déclare qu'en supprimant la dépense des grèves, il suffirait d'élever de |sb ^ |sh ga ^1 fj. 25 c. à 1 fr. 87 c.) leurs cotisa- tions hebdomadaires pour qu'elles offrissent toutes les garanties nécessaires de solidité. Et si le lecteur suit jusqu'au bout le calcul que nous lui offrons, il reconnaîtra que, sans renoncer à ces dépenses qui sont leur objet principal, les Unions peuvent, par un léger accroissement du chiffre ainsi fixé pour les cotisations (3*^ {, ou 32 centimes), et une réduction peu considérable (soit un hui- tième) des charges du premier chapitre, y faire face comme par lé passé, sans alarmer les experts les plus scrupuleux (1). D'ailleurs les défenseurs des Unions s'élè- vent au-dessus de ces calculs, et se placent sur un autre terrain. L'Union n'est pas une assurance mutuelle, aux règlements inva- (I) On trouvera, sous forme d'appendice, à la fin du volume l'analyse des calculs 4e M. Finlaison, L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 67 riables, se bornant à toucher, pour les ré- partir ensuite, les contributions de personnes absolument étrangères les unes aux autres : c'est, il ne faut pas l'oublier, le fonds com- mun d'une association de personnes unies par les mêmes intérêts, et qui s'en réservent toujours la libre disposition, sans jamais s'en- gager irrévocablement à l'employer de telle ou telle manière. Son premier usage est de faire face aux grèves et aux chômages, et si, grâce à de plus fortes souscriptions, ce fonds subvient aussi. aux besoins que la maladie, les accidents, la vieillesse ou la mort imposent à ses membres, la mesure dans laquelle il le fait est entièrement subor- donnée à ses ressources du moment. Les mé- caniciens unis ont ainsi graduellement aug- menté le taux des secours qu'ils accordent ; mais qu'une grève absorbe une grande partie de leur réserve, et ils le réduiront de même, sans que personne ait à s'en plaindre. Ainsi ramenés à la véritable place qu'ils ont dans l'Union, ces secours sont un ressort élastique et secondaire, qui accroît la puissance de l'asso- 68 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ciation et modère ses allures, sans les entraver ni la détourner de son principal objet. Tel est le rôle assigné par les ouvriers eux- mêmes à ces vastes sociétés dont nous venons de donner un aperçu, et qu'ils sou- tiennent par leurs contributions avec tant d'ensemble et de persévérance. Voilà ce qu'ils demandent au principe de Tassociation en échange de tant de sacrifices. La grandeur de ces sacrifices, révélée par les chiffres que nous venons de citer, est une preuve élo- quente de la résolution et de Tesprit d'entre- prise de ceux qui les acceptent. De pareilles associations ne sont pas, en efl'et, on Ta bien vu, le fait de quelques hommes d'élite, mais bien d'une population entière, qui met chaque semaine de côté une partie de son salaire pour contribuer à l'œuvre commune. On verra plus tard avec quelle énergie les ou- vriers supportent les souffrances les plus cruelles, lorsque, pour une cause plus ou moins juste, ils commencent contre les pa- trons la guerre des grèves; alors l'ardeur du combat les soutient. Mais il faut plus de L'ORGANISATION DES TRADES-UNIONS. 69 volonté chez l'ouvrier qui gagne tranquil- lement sa vie pour prélever sur ses faibles moyens d'existence une somme relativement considérable, et la porter à un fonds auquel il n'aura peut-être jamais recours, et qui ne se recommande à lui qu'en faisant appel à son esprit de corps. Chaque shilling qui entre dans cette caisse, où s'accumulent annuellement des millions, représente quelques privations imposées pen- dant une semaine à une famille d'ouvriers. Ces familles sont nombreuses, en effet; les loyers sont chers ; la viande, le pain, le char- bon, le sont aussi. Le mécanicien ou le me- nuisier qui doit, avec son salaire, faire vivre sa femme et quatre ou cinq enfants peut-être, gagne de 26 à 36 shillings par semaine. Mais en faisant son budget annuel, il faut, pour tenir compte des interruptions forcées, le réduire d'au moins un quart. Aussi peut-on calculer qu'il ne saurait s'élever au-dessus de 47 à 70 livres sterling, selon le taux des salaires (H 75 à 1750 fr.) : ce dernier chiffre est même rarement atteint, car les ouvriers 70 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. des forges, par exemple, dont le labeur est si rude, ne gagnent dans les bonnes années que 52 livres sterL (1300 fr.), moyenne assez exacte du revenu annuel de l'artisan anglais. C'est sur ces 1300 francs qu'il en prélève 6S, c'est-à-dire presque Féquivalent de deux semaines de travail, au profit de l'Union, Les avantages qu'elle peut lui offrir sont cependant éloignés et incertains : il ne lui en porte pas moins régulièrement sa souscrip- tion, s'imposant volontiers ce sacrifice, afin d'obtenir, sinon pour lui-même, du moins pour ses enfants, la situation meilleure que leur assurera dans l'avenir l'appui d'une forte association, et cet accroissement de salaires par lequel l'Union rend parfois avec usure l'argent qui lui a été confié- Lorsque ce capital, péniblement accumulé, ne sera plus en grande partie absorbé par les dépenses improductives des grèves, il devien- dra entre les mains de l'ouvrier un nouvel élément de prospérité. CHAPITRE IV L'INDUSTRIE DES BATIMEMS Nous avons indiqué l'organisation des Unions. Voyons-les maintenant à Tœuvre dans les principales industries étudiées par la Commission, en suivant Tordre qu'elle-même a adopté. Elle a choisi d'abord T industrie des bâti- ments, la première, en Angleterre, après l'agriculture, par le nombre de personnes qu'elle emploie. Ce nombre s'élève à près de neuf cent mille. Elle a ioterrogé vingt-six témoins, dont dix maîtres et seize ouvriers, et le journal des séances qu'elle a consacrées à leurs dépositions n'occupe pas moins de quatre volumes in-folio. 72 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Par suite de la situation particulière de cette industrie, les deux classes y sont plus profondément divisées que dans toute autre. En effet, d'une part, elle ne craint pas la con- currence étrangère, ni même celle de district à district, toutes les grandes cités anglaises étant bâties de briques qui se font à leurs portes. D'autre part, les entreprises de cbemins de fer lui ont donné, il y a quelques années, une im- pulsion prodigieuse, et, par Tappât de béné- fices temporaires, y ont attiré un excès de capital. Dans ces conditions, la double con- currence, d'une part entre les particuliers, pressés de faire construire et limités dans leur rparché, et d'autre part entre les entrepre- neurs, stimulés par la rivalité de capitaux sans cesse renouvelés, a, loin de se balancer, amené un renchérissement, d'abord du prix des constructions, puis de celui de la main- d'œuvre. Les ouvriers, très-recherchés, pou- vant seuls se déplacer, ont éaisi cette occasion pouj' obtenir un accroissement de salaires. Mais il leur a fallu pour cela engager des luttes très-vives, et plus d'un désastre est L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 73 venu interrompre le cours de leurs succès. Pour soutenir ces luttes, il s'est formé dans chacune des professions attachées à F industrie des bâtiments : charpentiers et menuisiers, peintres en bâtiments, briquetiers, tailleurs de pierre, plâtriers, maçons de briques, ma- çons de pierre [hricklayers et stone-masons, professions entièrement distinctes), et journa- liers, un grand nombre d'Unions, les unes ayant des branches dans toute T Angleterre, les autres, au contraire, tout à fait locales et parfois même se faisant la guerre entre elles de ville à ville. Il est difficile de con- naître exactement le nombre 4;otal de leurs adhérents : un maître l'estime à 10 et demi pour 100 seulement du chiflFre des ouvriers employés dans cette industrie, ce qui le por- terait à 90 000 ; mais cette assertion est for- tement contestée, et il est probable que les unionistes comprennent plus du tiers des artisans adultes et valides. L'élévation du taux des salaires, premier objet de toutes ces sociétés, peut être obtenue de deux manières : soit directement par n LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. raccroissçment de ce que le patron paye à l'ouvrier pour une journée de travail ou pour une tâche donnée^ soit indirectement par la diminution du nombre d'heures de travail, sans réduction correspondante du prix de la journée. Sous toutes les formes et dans toutes les industries, nous trouverons toujours les Unions poursuivant ce double but. Mais les coutumes et les règles qu'elles cherchent à faire prévaloir, comme devant plus facilement leur procurer ces avantages, diffèrent souvent et sont parfois même fondées sur des prin- cipes opposés. Ainsi, le travail à la tâche, le plus équitable en théorie, le plus conforme à la liberté individuelle, n'est, dans, l'industrie des bâtiments, accepté que par les peintres et les briquetiers : toutes les autres professions, accusant les patrons, qui visent avant tout au bon marché, de s'en servir pour exciter entre eux une concurrence qui aboutit à l'abaisse- ment de leurs salaires ou à la prolongation de leur journée de travail, le repoussent éner- giquement, et il faut croire que, dans cette in- dustrie, il est en effet d'une application diffî^ L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 75 cile et dangereuse, puisque les principaux entrepreneurs s'accordent sur ce point avec leurs ouvriers et préfèrent les payer à la journée. Mais, si ce dernier mode de salaire est généralement accepté de part et d'autre, la manière de l'appliquer n'en est pas moins une cause fréquente de dissensions. Les ouvriers prétendent le soumettre à divers règlements que les patrons refusent de recon- naître. Us accusent surtout ceux-ci d'enga- ger quelques travailleurs, en leur assurant indirectement toutes sortes d'avantages, afin d'obtenir qu'ils fassent plus promptement leur ouvrage et que leur exemple soit un stimulant pour les autres. Ces ouvriers, connus sous le nom de chevaux à sonnettes [bell horses)y sont particulièrement en butte à l'animadversion de leurs camarades. Quelques Unions, surtout celle des maçons de briques [bricklayers)^ ne se contentent pas de combattre le système de la tâche : elles prétendent limiter le travail de chacun, afin d'arriver à une égalisation complète des salaires* Eu effet, le payement à la jour* 76 LÈS ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. née n'empêche pas les ouvriers recher- chés pour leur adresse et leur activité d'être mieux rétribués que les autres, et c'est ce juste avantage qu'elles veulent leur en- lever par l'obligation inique de ne produire par jour qu'une moyenne de travail déter- minée. D'autres Unipns, quoique moins despoti- ques, fixent cependant pour tous leurs mem- bres un minimum de salaires. Elles affirment que, sans cela, les maîtres profitent de la misère d'un ouvrier pour lui imposer une paye réduite et abaissent ensuite, dès que l'occasion s'en présente, le taux de tous les salaires à ce même niveau. Les maîtres, au contraire, répondent que cette limite est un véritable maximum, et que, pour compenser ce que les mauvais ouvriers reçoivent en sus de la juste rétribution de leur travail, ils sont obligés de refuser aux bons ouvriers les avan- tages qu'en d'autres circonstances ils leur auraient assurés comme encouragement. Dans cette question, il est facile de le voir, l'amour-propre des deux parties joue un plus L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 77 grand rôle que leurs intérêts matériels ; car la moyenne du travail est tellement uniforme qu'elle ne peut être dépassée que par quel- ques ouvriers exceptionnels, qui, en tout état de cause, sont toujours sûrs de trouver à se placer avantageusement. C'est toujours en vue de l'accroissement des salaires que les ouvriers unionistes atta- chent une importance particulière à ce qu'ils appellent la protection du métier (protection of tradejj expression qui a d'autant plus de succès, qu'elle est plus vague et que chacun Tinterprète à sa façon. Mêlant des idées de monopole, dignes d'une autre époque, à des notions justes et équitables, ils réclament, comme des privilèges du métier, le droit de limiter le nombre des apprentis, et d'interdire l'exercice de leur profession à tous ceux qui n'ont pas passé par un apprentissage régulier, et, à défaut d'une sanction légale, ils deman- dent aux Unions d'intervenir pour leur as- surer le maintien de ces droits prétendus. Dans la plupart des professions de l'in- dustrie des bâtiments^ le novice doit encore 78 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. aujourd'hui signer avec un patron un contrat d'apprentissage (tdenture)^ par lequel il s'en- gage à le servir, pour des salaires réduits, durant cinq ou sept ans. Lorsqu'il est devenu aussi expérimenté qu'un artisan, il ne fait, en travaillant ainsi à prix réduit, que payer à sa façon l'instruction qu'il a reçue et qui lui tiendra lieu de capital ; mais les ouvriers avec lesquels il a été à l'œuvre disent alors, non sans raison, qu'ayant employé une partie de leur temps à lui donner des leçons, c'est à eux et non au patron que le prix devrait en être payé. « Et si elles doivent être » gratuites, ajoutent-ils, nous avons bien au » moins le droit de les refuser, ou de limiter » le nombre de nos élèves au chiffre qui nous » convient. » Quand l'apprenti est devenu artisan à son tour, il considère comme une véritable propriété l'instruction qu'il a ache- tée par tant d'années d'un travail si mal ré- munéré ; il regarde comme un intrus et un concurrent de mauvais aloi tout ouvrier qui n'a pas passé par la même épreuve, et même celui qui, ayant été apprenti dans une autre L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 79 profession, voudrait ensuite passer dans la sienne, ou empiéter, ne fût-ce que pour une chose insignifiante, sur ce qu'il considère comme sa spécialité. « Nous ne demandons » pas, dit-il, que la loi intervienne pour » étendre à cette propriété la même protec- » tion qu'aux privilèges des avocats, des mé- » decins et des autres professions dites libé- » raies : nous cherchons à nous l'assurer par » la formation des Unions. » Et ce système qui, poussé à l'extrême, serait sans doute funeste à l'industrie, a du moins l'avantage de n'employer aucune restriction légale pour arriver à ses fins. Il ne faut voir dans les règlements protec- tionnistes de quelques Unions que les erreurs d'une puissance encore bien inexpérimentée, obéissant à des préjugés plus anciens qu'elle. Ces exemples sont heureusement peu nom- breux. On en trouve surtout parmi les bri- quetiers, qui se sont trop souvent distingués par leur intolérance et leurs violences, sans parler des deux meurtres dont ils se sont rendus coupables à Manchester. Ils vont, la 80 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. nuit, chez les patrons qui leur déplaisent, fouler aux pieds les briques non cuites, ou, pour employer leur langage, promener le cheval aveugle; et, lorsqu'ils en veulent à quelqu'un de leurs camarades, ils sèment des milliers d'aiguilles dans la terre que cet ouvrier doit pétrir. Il n'est pas étonnant qu'ils aient été hostiles à l'introduction des machines, quand ils les croyaient destinées à diminuer leurs salaires. Mais cette hostilité, bien aveugle alors, ne s'est pas apaisée lors même que les patrons leur ont offert une part des bénéfices nouveaux que ces perfec- tionnements devaient réaliser. Ils n'ont voulu voir dans les machines que des bras artifi- ciels qui leur faisaient concurrence et de- vaient priver de travail quelques-uns d'entre eux ; et, oubliant que la production à meil- leur marché leur assurerait, bien plus facile- ment de l'emploi à tous, par l'accroissement de la consommation, ils n'ont songé qu'à obliger les patrons, au détriment même de leurs salaires individuels, à répartir une tâche donnée sur le plus grand nombre pos- L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 81 sible d'entre eux. Puis ils ont prétendu appli- quer le système prohibitif au territoire même, qu'ils ont divisé en une intinité de districts. Chaque district doit vivre par lui-même : les maîtres briquetiers qui Thabitent doivent employer exclusivement des hommes du dis- trict, ne cuire que de la glaise du district, et ne vendre de briques que dans le district, sous peine d'être mis à Tindex. Les ouvriers enfin, s'appuyant sur la force de leurs associations, cherchent à obtenir des maîtres, d'une part, la garantie d'un avis préalable donné une ou plusieurs semaines avant qu'on leur signifie leur congé, et, d'autre part, la réduction des heures de travail. Comme nous l'avons dit, cette réduction, si le prix de la journée reste le même, n'est qu'un accroissement déguisé des salaires; mais, si ce prix est proportionnellement diminué, si, par exemple, il est fixé à tant par heure, ce n'est plus qu'une question d'hygiène physique ou morale : question fort importante, car il est certain que, dans un grand nombre de mé- tiers, un travail journalier de douze ou même 5. 82 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. de dix heures est un excès nuisible : il y a certaines mines où le maximum a dû être fixé à six ou sept heures, et le Parlement a été obligé d'intervenir pour imposer une limite aux journées des fabriques. Pourvu qu'elle n'appauvrisse pas les sources mêmes du travail qui fait vivre l'ouvrier, cette réduction est encore plus importante au point de vue de son instruction et de sa vie intel- lectuelle. D'ailleurs, si l'abandon du système des longues journées a été un bienfait public, les Unions n'ont jamais prétendu les inter- dire complètement, mais obtenir seulement que toute prolongation de travail, regardée comme exceptionnelle et payée plus cher, pût être refusée par l'ouvrier sans qu'il man- quât à son contrat. Pour appuyer leurs demandes, les Unions n'ont jusqu'à présent d'autre recours que les grèves: aussi le nombre en est-il incalculable dans l'histoire de l'industrie des bâtiments depuis quarante ans. Mais, comme cette in- dustrie est essentiellement locale, les luttes qui la troublent le sont généralement aussi L INDUSTRIE DES BATIMENTS. 83 et prennent rarement des proportions con- sidérables. La fin désastreuse de Tune des premières et des plus grandes à la fois porta aux Unions un coup dont elles furent longtemps à se relever. C'est en 1833, huit ans après la révocation des lois contre les coalitions, que les Unions commencèrent à faire sentir leur pouvoir à Liverpool, et, comme il était facile de le prévoir, après avoir usé de ce pouvoir nouveau pour améliorer sérieuse^ ment la situation des ouvriers, elles ne tar- dèrent pas à en abuser. Non contents de leur résister, les maîtres déclarèrent la guerre à leur existence même, et, pour les combattre, formèrent à leur tour une véritable coalition, s'engageant entre eux à imposer à tout ou-^ vrier, avant de l'employer, une renonciation solennelle à l'Union. C'était fermer la porte à tout compromis et atteindre l'ouvrier anglais au point le plus sensible, dans son besoin d'indépendance : aussi cette condition fut-elle unanimement repoussée. Les maîtres répon- dirent en fermant leurs ateliers, contrç- 84 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. grève désignée en Angleterre sous le nom de « lock ont » . Les ouvriers persistant dans leur résistance, toutes les affaires cessèrent, et à la prospérité commune succéda bientôt la ruine pour les uns et une affreuse misère pour les autres. La consommation de bri- ques, dans la seule ville de Liverpool, tomba subitement d'un million à vingt mille par semaine. Les entrepreneurs ayant fait venir des ouvriers d'autres parties de l'Angleterre, les Unions postèrent des sentinelles autour de leurs ateliers pour exhorter les nouveaux venus à n'y pas entrer, les reconduire au chemin de fer et leur payer leur retour chez eux. Elles empêchèrent ainsi les maîtres de continuer leurs travaux; mais elles ne pu- rent obtenir pour leurs membres la faculté de reprendre l'ouvrage sans signer l'acte de renonciation qui était l'origine de la que- relle. L'appui qu'elles avaient cherché hors du Lancashire leur manqua bientôt. Les délégués de toutes les associations de l'indus- trie, qui représentaient plus de trente mille personnes et s' étaient, pour soutenir leur cause, L'INDUSTRIE DES BÂTIMENTS. 85 réunis à Manchester, se séparèrent après avoir coûté fort cher et fait très-peu de chose. Toutefois, tant qu'elles eurent un penny en réserve, elles ne se tinrent pas pour battues. Enfin, après plus de six mois de cruelles priva- lions, il fallut céder. La perte de leurs salaires durant ce temps équivalait pour les ouvriers à plus de 72 000 livres sterl. (1 800 000 fr.), et ils avaient [dépensé en outre près de 18 000 livres sterl. (450 000 fr.) par Finter- médiaire des Unions. Celles-ci furent abandon- nées pour le moment ; mais elles ne pouvaient manquer de se reformeràlapremière occasion. C'est à Londres que nous allons d'abord les retrouver. Depuis 1847, les ouvriers de la capitale poursuivaient simultanément l'ac- croissement direct des salaires et la réduction des heures de travail ; mais, leurs demandes ayant toujours été satisfaites, l'influence des Unions n'avait pu se révéler. Les journées de travail avaient été successivement élevées de 5^\ (6 fr. 25 c.) à 5«\ 6^ (6 fr. 87 c), puis à 6'\ (7 fr. 50) ; en outre', il avait été convenu que le samedi, quoique payé inté- 86 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. gralement, se terminerait, d'abord à quatre heures, puis à une heure de Faprès-midi. Mais les ouvriers avaient vainement jus- qu'alors sollicité que la journée ordinaire fût réduite de dix à neuf heures. Enfin, en 1859, les différentes Unions, coalisées sous la direction de V Association des ouvriers de Lon- dres et de son secrétaire M. Potter, résolurent d'obtenir cette nouvelle concession, et elles ne cachèrent pas leur intention, une fois ce point gagné, de se remettre à Tœuvre jusqu'à ce que la journée fiit limitée à huit heures de travail, sans aucune réduction correspondante des salaires (1). Un grand nombre de leurs (f) Cette limite a été adoptée en Australie, où la main- d'œuvre fait la loi par sa rareté. Elle est aussi fort usitée aux États-Unis, où elle a été l'objet de vives discussions. Plusieurs Etats, celui de New-York entre autres, ont reconnu les huit heures de travail comme la journée légale, celle qui est sous- entendue dans les contrats où le contraire n'est pas spécifié, et enfin elle a été récemment introduite dans les arsenaux fédéraux. Mais les ouvriers n'y ont pas trouvé le profit qu'ils en attendaient; car, par utie réaction inévitable du marché, les patrons ont réduit proportionnellement le prix des journées ainsi raccourcies, et le gouvernement fédéral ne s'est pas fait faute de leur en donner l'exemple. L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 87 membres étaient alors sans emploi, et elles comptaient qu'en réduisant la journée de dix à neuf heures, il faudrait dix ouvriers au lieu de neuf pour faire le même travail, et que par conséquent les bras inoccupés trouve- raient plus facilement de Touvrage. Ce calcul eût été juste s'ils avaient consenti à partager entre dix la rémunération touchée auparavant par les neuf. Mais pour pouvoir mettre, ainsi que les Unions le voulaient, le salaire du dixième ouvrier à la charge du patron, il aurait fallu que Tétat des affaires leur permît de se montrer exigeantes, et que l'intérêt des entrepreneurs fût de supporter de nouveaux sacrifices plutôt que d'affronter une grève. Elles auraient dû comprendre que ce manque d'ouvrage, auquel elles voulaient remédier, était la conséquence d'une stagnation des affaires qui devait rendre impossible le succès de leurs demandes. Dans ces circonstances, le public n'étant pas disposé à élever ses offres, les maîtres devaient préférer un chômage complet à un accroissement de charges. J-.es ouvriers concentrèrent toutes leurs 88 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. forces contre la grande maison de MM. Trol- lope ; et ceux qu'elle employait, réclamant la journée de neuf heures, se mirent en grève, tandis que leurs camarades, continuant par- tout ailleurs à travailler pendant dix heures, les soutenaient de leurs souscriptions. Ils espéraient en avoir ainsi raison, et amener, après elle, les autres à composition. La lutte avait commencé le 23 juillet 1859, après d'assez longues négociations entre M. Potter et quelques patrons, représentant une société formée d'environ soixante-dix maisons de Londres, qui, fondée depuis vingt- cinq ans, ne s'était cependant jamais encore mêlée de questions de salaires. Décidées à résister, ces maisons (MM. Trollope étaient du nombre), avaient, dès le mois d'avril, convoqué tous les entrepreneurs de Londres pour demander leur appui. De cette assemblée sortit une puissante coalition qui ne tarda pas à agir sous le nom d'Association centrale des maîtres constructeurs. MM. Trollope n'ayant pu en quinze jours remplacer les ouvriers qui les avaient quittés, elle prononça un lock out L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 89 (grève des patrons), et tous les maîtres con- structeurs congédièrent leurs ouvriers, dont le nombre total s'élevait à 7856. Non-seule- ment ils annoncèrent que cette mesure sévère serait maintenue tant que durerait la grève chez MM. Trollope, mais, comme à Manches- ter, ils décidèrent que désormais ils n'em- ploieraient que des ouvriers étrangers à toute Union. Une déclaration contenant une renon- ciation formelle à ces sociétés fut affichée dans leurs ateliers et dut être acceptée par tous ceux qui venaient y chercher de l'ou- vrage. Au bout de quelque temps, MM. Trol- lope ayant pu enfin engager quatre cents anciens ou nouveaux ouvriers, les autres maîtres levèrent l'interdit ; mais ils continuè- rent à exiger la renonciation à l'Union. Malgré leur détresse, les travailleurs en grève refusèrent de se soumettre à cette condition, et la grève se prolongea jusqu'à ce qu'enfin on se fît des concessions tacites qui y mirent un terme. Les ouvriers, abandonnant la ré- duction d'une heure qu'ils réclamaient, re- tournèrent en masse chez MM, Trollope, et les 90 LES ASSOCIATIONS 0(3VKIÈRKS EN ANGLETERRE. maîtres, arrachant les affiches de leurs ate- liers, n'exigèrent plus aucun engagement con- traire aux Unions. Les résultats de cette lutte étaient donc nuls de part et d'autre : les ou- vriers n'avaient pas obtenu la journée de neuf heures, et les maîtres n'avaient pu dissoudre les Unions ; heureusement du moins, malgré les passions qu'elle soulevait, elle n'avait été l'occasion d'aucune violence. Formés par la pratique du droit d'association et de coalition, plus instruits que leurs camarades de la pro- vince et désireux de leur donner l'exemple en tout, les ouvriers de la capitale avaient fait preuve d'une modération à laquelle leurs ad- versaires eux-mêmes rendirent hommage. La partie n'était que remise : les ouvriers serrèrent leurs rangs, tandis que les maîtres furent bientôt divisés par la concurrence. Aussi, dès 1861, la question des neuf heures était-elle déjà de nouveau sur le tapis. Mais cette fois la conduite des maîtres fut plus sage et plus habile ; loin de résister directement aux demandes qui leur étaient faites, ils proposè- rent aux ouvriers une légère augmentation de L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 91 salaires et la substitution du payement par heure au payement à la journée. Cette pro- position équitable, qui séparait deux questions confondues auparavant, celle de la longueur des journées et celle des salaires, fut acceptée et a obtenu l'approbation des deux parties^ Depuis lors, la rémunération de la journée dépend du nombre d'heures dont elle se jcompose, et le prix de Theure, fixé, en 1861, à 7*^ (0 fr. 73 c.) s'est, sans lutte, élevé suc- cessivement à 7**^ (Ofr. 78 c.) en 1865, et h S' (Ofr. 84 c.) en 1866. L'exemple de la ville de Londres ne fut pas suivi partout. La- grève qui avait précédé cette transaction pouvait se justifier au moins par l'objet important que se proposaient ses au- teurs ; mais celle qui éclata à Manchester, en avril 1 864, montra que souvent, plus la cause de ces luttes est futile, plus elles sont désas- treuses dans leurs effets; car, l'amour-propre étant alors en jeu à la place de l'intérêt, l'ob- stination y tient lieu de raison. L'adminis- tration municipale de Manchester faisait con- struire les Assises, grand et bel édifice qui 92 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. relève un peu la monotonie de cette cité en- fumée. Un conducteur des travaux (en anglais, foreman\ nommé M. Kettle, déjà mal vu des ouvriers comme étranger à la ville, plaça à la tête des journaliers un nouveau venu qu'il avait amené avec lui. L'usage eût voulu que ce nouveau venu prît rang le dernier, les pre- miers ou plus anciens ayant l'avantage de pouvoir seuls régulièrement être employés. Les journaliers protestèrent, et le comité de leur Union ayant réclamé en vain auprès de M. Kettle, ils demandèrent son renvoi à l'en- trepreneur, puis à l'architecte, et, essuyant un refus, se mirent en grève. Le travail des hricklayers ayant été interrompu par cette dispute, ceux-ci prétendirent que M. Kettle en était l'auteur, réclamèrent 25 livres sterl. (625 fr.) d'indemnité, et, ne les ayant pas ob- tenues, se mirent en grève à leur tour. La lutte s'engage alors avec une passion qui se réveille devant la Commission, lorsqu'un acteur prin- cipal, tel que M. Kettle, vient lui en faire le récit. Des ouvriers sont mandés de Londres pour prendre la place de ceux qui refusaient L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 93 l'ouvrage, mais la Société des bricklayers de la capitale intervient pour les en empêcher en payant leurs frais de retour. M. Kettle cherche des travailleurs dans toutes les par- ties de l'Angleterre : il rencontre toujours l'Union de Manchester décidée à les lui enle- ver à tout prix. Elle place des sentinelles, elle supplie, elle menace les nouveaux venus. C'est en vain que M. Kettle les établit dans les constructions inachevées, les y loge et les y nourrit : la police qui les entoure ne les dé- fend pas de la séduction, et bien peu résistent à l'offre de 5 livres sterling (125 fr.), ou même de 7 livres sterl. 10 shill. (187 fr. 50 c), par laquelle leurs camarades achètent leur départ. L'entrepreneur qui a voulu garder M. Kettle est mis en interdit dans tous ses travaux. Enfin, lorsque, malgré tous leurs efforts, les bricklayers voient que la maçon- nerie va être terminée, ils payent les menui- siers pour se mettre en grève à leur tour; mais en vain : les Assises s'achèvent sans eux et malgré eux. Dans cette lutte malheureuse pour elle, l'Union des bricklayers de Man- n LES ASSOCIATIONS OtVRIÊRES EN ANGLETERRE. chester avait dépensé la somme de 920 livres sterl. (23000fr.), que son comité particulier, investi cette année -là du pouvoir exécutif dans la société, dont il n'était qu'une branche, puisa dans la caisse générale. Ses ennemis lui reprochèrent vivement cette violation des statuts ; mais elle fut régularisée plus tard par le vote général, auquel il aurait fallu re- courir avant de disposer des fonds communs. On voit jusqu'où peuvent mener, de part et d'autre, les querelles entamées sur une simple question personnelle. Une fois la grève engagée, l'unanimité des ouvriers est la première condition du succès. Si les uns travaillent pour un patron que les autres veulent mettre en interdit, les privations que ces derniers s'imposent sont parfaitement inutiles. De là pour eux la nécessité d'obte- nir non-seulement le concours de toute l'ar- mée disciplinée des unionistes, mais aussi la connivence de leurs camarades non-unio- nistes, de ceux qui sont en dehors de l'asso- ciation. Comme nous l'avons vu, ils payent souvent cette connivence des prix exorbi- L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 95 tants. S'ils ne peuvent Tobteuir, ils en arrivent bien vite à se disputer avec eux. C'est ce sujet qui revient le plus souvent dans les interro- gatoires de la Commission. Tous les maîtres, tous les ouvriers ont leur mot à dire, leur histoire à raconter, soit pour accuser les Unions, soit pour les disculper. Parmi les premiers, M. Mault, secrétaire d'une associa- tion de patrons de Birmingham, attaque les Unions dans un plaidoyer plein de verve et de talent. 11 cite contre elles un certain nom- bre d'exemples fâcheux et même d'actes^cou- pables ; mais il nous semble qu'il conclut par- fois trop facilement du particulier au géné- ral, et qu'il rend les Unions responsables de bien des opinions qui sont professées, de bien des actes qui ont eu lieu là où ces sociétés n'ont jamais existé* Les principaux chefs d'accusation contre elles sont, d'une part, de rendre les grèves plus fréquentes et plus longues, et, d'autre part, d'exercer une triple tyrannie sur les non-unionistes, sur les unionistes eux-mêmes^ et sur les patrons ^ 96 L£S ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Répondant au premier point, les défenseurs désunions n'ont pas de peine à démontrer que, dans bien des districts où il n'y a jamais eu de sociétés de ce genre, les grèves ne sont pas moins nombreuses que là où on leur reproche de les avoir fomentées. Ils affirment que, si parfois elles en prolongent la durée, en revan- che elles en préviennent souvent l'explosion. M. Williams, secrétaire d'une grande société de plâtriers {National Association of plas-- terers)j cite l'exemple d'une grève à Aberys- twith (pays de Galles), où les plâtriers em- ployés à la construction de deux hôtels, profitant de l'urgence du travail, exigèrent subitement une élévation de salaire et une réduction de la longueur de la journée. 'L'entrepreneur fit appel à M. Williams, et rUnion, jugeant que les ouvriers avaient tort, non-seulement refusa de les soutenir, mais lui en fournit d'autres pour remplacer les déserteurs. M. Williams apporte à la Commission une lettre où l'entrepreneur reconnaissant déclare que les conseils des Unions rendent les plus grands services L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 97 à Tindustrie. Un patron de Scarborough, à court de travailleurs, s'adresse aussi à lui, et nous voyons alors T Union prendre auprès des maîtres le rôle de pourvoyeuse d'ouvriers. D'autres exemples encore prouvent que le conseil exécutif des grandes Unions est sou- vent intervenu pour faire cessw les grèves de leurs branches locales. Accusés d'être une minorité despotique, qui, par la force de son organisation, asser- vit à ses volontés une majorité indifférente à ses vues et étrangère à ses intérêts, les unionistes répondent : « Que leur nombre est » d'abord beaucoup plus considérable qu'on » ne le croit, et que, dans plusieurs professions, » ils forment non une minorité, mais une im- >:> mense majorité ; que d'ailleurs ils comp- » tent parmi eux ce qu'il y a de plus actif et » de plus laborieux dans chaque métier, et » qu'enfin il ne faut pas croire à cette pré- » tendue hostilité ou même indifférence des » non -unionistes vis-à-vis des unionistes. » Quoique étrangers à l'association, ils n'en » ont pas moins les mêmes aspirations et 98 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. » les mêmes besoins que leurs camarades, » et, quoiqu'ils ne contribuent pas de leur » bourse à soutenir TUnion, ils n'en sou- » haitent pas moins le succès de ses entre- » prises; car ils savent bien qu'ils en profite- » ront par contre-coup, et, dans les questions » de salaires, ils font presque tous cause com- » mune avec elle. Si l'on ne tolère pas leur » présence dans les ateliers où les unionistes » sont en grande majorité, c'est que la société » ayant pour effet d'élever les salaires de » tous les ouvriers qui y travaillent, il n'est » pas juste que quelques-uns profitent de » ses efforts sans prendre une part de ses » charges. D'ailleurs, sauf les tristes exemples » de Manchester et de Sheffield, également » réprouvés par tous les honnêtes gens, cette » prétention n'est soutenue que par des » moyens parfaitement légaux . Si les patrons » sont libres de choisir leurs ouvriers, si » ceux-ci sont libres de rester étrangers à no- » tre association^ nous autres unionistes, nous » sommes bien libres aussi de laisser le» » uns et les autres en tête-à4ête^ quand il L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 99 » arrivé que la situation d'un atelier ne nous » convient pas. » Mais leurs adversaires montrent alors com- ment ces exigences et ces exclusions , en s'âppuyant sur Texercice d'un droit incon- testable , arrivent à justifier parfois le vieil adage : « Summum jus y summa injuria.» Ainsi quelques patrons (M. Howroyd, à Bradford, M. Dixon à Blackpool) ont vu leurs travaux désertés parce qu'ils employaient leurs pro- pres fils, et que ceux-ci n'étaient pas entrés dans l'Union, ou parce qu'ils portaient à un chiffre trop élevé le nombre des apprentis de l'atelier. 11 y a enfin une certaine catégorie d'ouvriers, souvent mentionnés dans la Com- mission, avec lesquels l'Union est en guerre ouverte. Ce sont les « moutons noirs » (black sheep) qui profitent des grèves pour s'assurer temporairement des salaires élevés, sauf à aller en chercher ailleurs, lorsque les portes de l'atelier se rouvrent pour leurs camarades vainqueurs ou vaincus. Dans certaines pro- fessions et certains districts, parmi les bri- quetiers du Lancashire, par exemple, il n'y 100 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. a pas d'avanies auxquelles ils ne soient ex- posés. Quelques Unions dressent contre eux une véritable liste de proscription, appelée la c< Liste noire ». L'interdit est prononcé contre quiconque y figure : défense est faite aux unionistes de travailler avec lui (1). On trouve sur cette liste, à côté des ouvriers qui ont refusé de s'associer à une grève, ceux qui se sont querellés avec l'Union pour tout autre motif, ceux qui ont violé un de ses règlements, et même parfois ceux qui, par leurs simples dépositions en justice, ont fait condamner quelque camarade accusé d'avoir poussé au delà des limites légales son zèle pour l'Union. Une société de maçons a, dit-on, une liste noire de plus de 2500 noms, sur laquelle quelques-uns sont inscrits depuis 1841. Les (1) Parfois, lorsque, pour un motif ou un autre, les unio- nistes craignent de recourir à cette extrémité, l'interdit con- siste à ne pas adresser la parole à l'ouTrier désigné à leur animadversion. C'est ce qu'ils appellent « envoyer à Coventry ». On a TU des individus travailler ainsi pendant des semaines, au milieu d'une troupe nombreuse de camarades, sans pouvoir obtenir d'eux un mot de réponse à leurs questions les plus pressantes. j L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 101 passions éveillées par de longues et pénibles luttes peuvent expliquer de pareils procé- dés; mais elles ne sauraient les justifier: aussi, après avoir allégué que les hommes ainsi mis en interdit ne méritent générale- ment par eux-mêmes aucun intérêt, les prin- cipaux défenseurs des Unions cherchent-ils seulement à prouver que ces exemples ne sont pas fréquents, et que plus d'une fois la provocation est venue de la part des maî- tres. D'après eux, si telle est la conduite de certaines Unions locales, les grandes sociétés sont loin de l'approuver, et elles tendent à faire prévaloir un esprit moins intolérant. L'oppression exercée par les Unions sur leurs propres membres est un autre grief qu'on leur adresse fréquemment. On en donne comme preuve les amendes qu'elles leur infligent s'ils violent les règlements, ou même de simples usages que le bon sens con- damne, quoique la tradition les consacre. Tel est celui qui interdit aux ouvriers de porter plus d'un certain nombre de briques à la fois. Mais il a été démontré devant la 6, iOS LES ASSOGUTIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Commission que, si quelques sociétés sanc- tionnent d'aussi inexcusables prétentions, beaucoup d'autres Unions, au contraire, n'emploient l'arme redoutable de l'amende que pour améliorer moralement l'ouvrier, en frappant les ivrognes et les mauvais sujets. Enfin, l'on accuse les Unions d'être aussi tyranniques envers les maîtres qu'envers les ouvriers, et l'on a cité, entre autres exem- ples, celui des briquetiers de Manchester, qui ne tolèrent pas l'emploi des machines, et qui ont obtenu des maçons la promesse de se mettre en grève toutes les fois qu'un entre- preneur voudrait employer des briques faites autrement qu'à la main : même engs^ement a été pris vis-à-vis des tailleurs de pierre, qui craignaient la concurrence de certaines machines. Il est très-vrai que les Unions ont souvent employé leur influence à entraver la liberté d'action des maîtres, lorsque, à tort ou à raison, elles croyaient servir ainsi les intérêts des ouvriers. Mais comment des hommes souvent aigris par la souffrance ou la lutte n'abuseraient-ils point parfois d'une L'INDUSTRIE DES BÂTIMENTS. 103 puissance nouvelle formée de leurs mains? Et parce que Tarbre a besoin d'être élagué^ faut-il le condamner à être coupé, et pré- tendre qu'il ne peut porter que des fruits amers ? Quelle est donc l'institution humaine dont l'origine est pure d'actes arbitraires? Heureuses et rares celles qui, à aucune épo- que de leur existence, n'ont brigué la pro- tection de lois iniques et oppressives 1 Dans ces luttes, d'ailleurs, les ouvriers n'ont pas été les seuls à dépasser parfois la mesure. Certaines associations de maîtres ont emprunté aux Unions ce qu'on leur reproche le plus. 11 y en a qui, elles aussi, ont publié leurs Listes noiresy interdisant à tous leurs membres de donner de l'ouvrage au simple ouvrier qu'elles proscrivaient, en y plaçant son nom. Ainsi désignés, les chefs des grèves, de nombreux témoignages le prouvent, ont été en vain frapper de porte en porte, rejetés partout comme des ennemis dangereux (1). (1) La plupart des maîtres ne considèrent cependant ces mesures si rigoureuses que comme des représailles, et quel- ques-uns d'entre eux, les condamnant sévèrement, ont toujours refusé de s'y associer. 104 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Parfois aussi, ces coalitions de maîtres ont exercé sur le taux des salaires une action aussi opposée à la liberté des contrats que les règlements les plus protectionnistes des sociétés ouvrières , lorsque , par exemple , elles ont imposé à tous leurs membres l'obli- gation de ne pas élever ce taux, en faveur des ouvriers qu'ils emploient, sans l'autori- sation des associés. Au milieu des accusations réciproques que cette question a fait naître, il est curieux de remarquer que le rôle naturel des deux parties semble être interverti lorsqu'elles dis- cutent l'élévation des salaires. Cette élévation est le but avoué des Unions ; mais au lieu de la leur reprocher, les maîtres veulent prouver qu'elles n'y ont pas contribué, et que le cours ordinaire des affaires aurait, sans leur coû- teuse intervention, assuré les mêmes avan- tages aux ouvriers. Ceux-ci soutiennent, au contraire, que, sans les efforts de leurs asso- ciations, le prix de la main-d'œuvre serait moins élevé qu'il ne Test aujourd'hui, et qu'elles sont par conséquent responsables de L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. i05 raugmentation de frais imposée aux entre- preneurs. Certains exemples confirment sans doute la première assertion. Nous en citerons un emprunté aux dépositions d'un homme impartial et expérimenté, M. Rupert Kettle. Une grève eut lieu à Wolverhampton, au moment où le gouvernement faisait construire à Portsmouth de vastes fortifications. L'Union envoya à Portsmouth les ouvriers qui chô- maient à Wolverhampton, et ils y trouvèrent facilement du travail. Mais, par leur concur- rence, ils empêchèrent les salaires de monter à Portsmouth, tandis que les patrons qu'ils avaient quittés, ruinés par Tinterruption ab- solue des travaux qu'ils avaient pris à forfait, ne purent faire aucune concession pour met- tre fin à la grève, et trouvèrent moins oné- reux de la supporter que de se soumettre aux exigences de leurs ouvriers. Sans l'in- tervention de l'Union, au contraire, il se serait établi une concurrence naturelle entre le gouvernement, pressé d'achever ses forts, et les maîtres, non-seulement de Wolver- hampton, mais de toutes les grandes villes 106 %ES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. d'Angleterre, qui auraient craint de perdre leurs ouvriers et de manquer à leurs contrats. Cette concurrence aurait infailliblement fait enchérir le prix de la main-d'œuvre. Mais il ne faudrait pas déduire de ce fait des conclusions générales. Les Unions sont un instrument à deux tranchants, qui semble d'abord d'un maniement facile, et qui ne tarde pas à blesser ceux qui s'en servent mal à propos. Toutes les fois qu'elles ont tenté de faire ouvertement violence aux lois qui règlent l'équilibre du marché, elles ont échoué d'une manière éclatante. Elles n'ont jamais pu pro- duire une hausse factice des salaires lorsque le marché était en baisse ; mais elles pèsent aujourd'hui dans la balance d'un poids qu'on ne saurait négliger. Lorsque les circonstan- ces sont favorables, elles peuvent hâter la hausse et la pousser jusqu'à un point qu'elle n'aurait pas atteint sans leur intervention, et, lorsque, par suite du mauvais état des affaires, le prix de la main-d'œuvre s'abaisse, elles peuvent en retarder et en modérer l'avilissement. Une preuve irréfutable de L'INDUSTRIE DES BATIMENTS. 107 cette action a été donnée à la Commission : c'est que dans la même profession, dans la même ville, et à qualité égale d'ouvriers, il arrive assez souvent que les salaires des unionistes sont fort supérieurs à ceux qu'ob- tiennent les non-unionistes. Ce n'est pas par un esprit de stérile cri- tique, mais pour montrer les dangers que maîtres et ouvriers ont à éviter, que nous avons recherché ce qu'il y avait de fondé dans les reproches qu'ils s'adressent récipro- quement. Nous n'aurons plus à y revenir en détail; car heureusement nous rencontre- rons moins fréquemment, dans les industries que nous allons avoir à examiner, les abus, les erreurs et les violences que nous avons dû signaler en parlant de celle des construc- tions. CHAPITRE V LA FABRICATION DU FER Tout le monde sait que Tindustrie des fers est une des principales sources de la pros- périté et de la puissance de F Angleterre. La variété des qualités du métal, l'abondance de la houille dans son voisinage, la facilité des communications : tout, en im mot, favorise cette grande industrie. Ceux qui ont voyagé de nuit entre Birmin- gham et Liverpool, se souviennent sans doute d'avoir traversé un vaste district qui semble une réalisation complète de Tun des cercles de Tenfer de Dante. Tout y est feu et fumée ; partout s'élèvent des hauts fourneaux cou- ronnés d'un panache de flammes que le vent LA FABRICATION DU FER. 109 tord et secoue, comme s'il s'efforçait en vain de les arracher de leur base. A la lueur rou- geâtre qu'elles répandent, on aperçoit les grands bras des machines à épuisement, qui s'agitent comme des damnés, et de longs convois de minerai lentement traînés par des locomotives essoufflées, sur des voies de fer qui se croisent en tous sens. Privé de toute verdure, le sol lui-même ne se compose que de scories entassées, qui, par leur forme ré- gulière, ressemblent aux écailles gigantesques de quelque espèce d'huître antédiluvienne. Ici ces écailles trempent dans une mare aux eaux noircies ; là, à peine sorties de la four- naise, elles sont encore rouges comme de la lave en fusion. C'est le Pays noir, le Black Country, qui a Wolverhamplon pour capi- tale, et occupe la plus grande partie du comté de Stafiford et les districts adjacents. Une population nombreuse et industrieuse exploite les riches mines de fer de cette contrée. La propriété de ces mines est l'une des plus lucratives de l'Angleterre; car les fers du Staffordshire vont dans le monde entier et n'y 110 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. connaissent d'autres concurrents que les fers belges. Elles sont pour la plupart dans les mains de sociétés en commandite ; quelques- unes cependant appartiennent à des grands seigneurs, entre autres à Lord Ihidley. On divise généralement cette contrée en North et en South-Staffordshire. Les autres districts métallurgiques de la Grande-Bretagne sont : dans le centre de PAngleterre, celui du Yorkshire méridional, dont Leeds est la capitale ; dans le nord, ceux de Cleveland, du Cumberland, de Gates- r nead et des bords de la Tweed ; en Ecosse, ceux du Lanarkshire ; enfin, dans le pays de Galles, ceux qui s'étendent sur la rive nord du canal de BristoL C'est dans le voisinage de ces mines que le fer est travaillé ; souvent leurs proprié- taires possèdent en même temps une houil- lère, des fourneaux, une forge et une carrière de calcaire (1), réunissant ainsi dans la même (1) On sait qile, dans les hauts fourneaux, une certaine pro^ jportion de calcaire est ajoutée au mélange dé charbon et de tninerai, afin de purifier la fonte. LA FABRlGAtlON DU FEtt. 111 administration tous les éléments premiers de la fabrication. En outre, dans toutes les grandes villes de ces districts, à Liverpool, à Manchester, à Birmingham, à Wolver- hampton, à Leeds, à Newcastle et à Glasgow, s'élèvent de vastes forges où les foutes pro- duites aux environs, ou venues d'autres dis- tricts, sont amenées à Tétat de fers doux, par- fois d'acier, et travaillées ensuite sous toutes les formes que peut prendre le métal. Dans ces magnifiques établissements, dans ces grands et beaux monuments de notre civilisa- tion moderne, de cette civilisation, prosaïque si Ton veut, mais laborieuse, intelligente, pa-. tiente et puissante, des milliers d'ouvriers travaillent à transformer le métal rayonnant de chaleur et de lumière. Les différents pro- cédés qui composent cette opération divisent les ouvriers en autant de professions. La fonte a besoin d'être purifiée des matières étran- gères, et particulièrement des silices et du charbon qu'elle a entraînés avec elle en sortant du haut fourneau. On la refond dans un four à puddler. A l'aide d'une longue tige 112 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. de fer, un ouvrier agite le métal en fusion, pour activer la combustion du charbon et la séparation des silicates; peu à peu, le fer s'attache à la tige, s'agglomère et se coagule, formant au milieu des impuretés liquéfiées une boule pâteuse qu'on retire alors pour la placer sous le marteau à vapeur. Ce marteau, à coups redoublés, exprime les scories conte- nues encore dans les pores dilatés du métal. Enfin, qu'on veuille faire des plaques de tôle, des rails de chemins de fer, ou de simples lames de fer doux, on lamine la masse chaufiee au rouge entre des rouleaux de plus en plus rapprochés. De là la division des artisans en trois classes : les puddleurs, les marteleurs et les lamineurs, recrutées parmi les apprentis qui travaillent à côté d'eux et dont le concours leur est nécessaire. 11 faut y ajouter une quatrième classe, celle des jour- naliers ou manœuvres, chargés des travaux qui ne demandent que de la force musculaire. Pénétrant pour la première fois dans cette ruche où tant d'hommes robustes et intel- ligents asservissent l'un par l'autre le fer et LA FABRICATION DU FER. 113 le feu, et travaillent avec tant d'ensemble, l'étranger n'est frappé que des triomphes de la science et de l'industrie. S'il cherche ensuite à discerner quelles passions, quels intérêts, quelles espérances animent tous ces hommes réunis dans une œuvre commune, il ne rencontrera qu'obscurités. Les maîtres lui diront peu de chose, les ouvriers encore moins. C'est le grand mérite de la Commis- sion de les avoir fait parler devant le monde entier, et de les avoir confrontés sous les yeux du public. Son cinquième volume est consacré à ce sujet. Dès les premières pages, on peut distinguer les caractères particuliers de cette industrie, et l'on voit qu'on a affaire à une classe d'ou- vriers chez lesquels l'intelligence et l'es- prit d'entreprise ont été développés par de hauts salaires et par le travail à la tâche. Parmi eux, la première place appartient aux puddleurs, parce que leur rôle à la forge leur permet d'y faire la loi : préparant le métal qui passe ensuite entre les mains des mar- teleurs, des lamineurs et des journaliers, il lU LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. leur suffit de se mettre en grève pour priver tous les autres ouvriers de travail. Aussi, devant la Commission, est-ce principalement entre les représentants des puddleurs et quel- ques grands maîtres de forges que s'engage la discussion : discussion plus large et plus ap« profondie que toutes celles que nous avons sui- vies jusqu'ici. On y voit deux puissances en présence : plus les ouvriers ont conscience delà force de leur association, plus ils se montrent modérés, et Ton ne peut alléguer contre eux aucun de ces actes coupables parfois trop jus- tement reprochés aux membres d'autres pro- fessions. Eu discutant la question des salaires, ils prouvent qu'ils connaissent toutes les gran- des questions relatives à leur industrie, et qu'ils observent attentivement toutes les cir- constances qui pourraient l'influencer. Cette industrie qui alimente le monde entier, étant par cela même essentiellement variable, et la main-d'œuvre, qui est sa principale dépense, étant payée proportionnellement aux prix de vente de ses produits, il s'ensuit que les salaires varient constamment, et que les ouvriers sont LA FABIUGATION DU FER. 115 aussi intéressés que les propriétaires à se rendre compte de toutes les fluctuations du marché (1). Plus de discussions sur les mé- .rites divers de la tâche et de la journée. Cette dernière méthode de travail, réclamée avec tant d'insistance dans d'autres professions, est ici réservée aux manœuvres et considérée par (1) La Commission a cherché à déterminer la part qui doit être attribuée aux salaires dans Tensemble des dépenses de la fabrication du fer. Les maîtres de forges ne Tont pas aidée efficacement, craignant sans doute de livrer les éléments d'un calcul qui aurait facilement révélé leur situation financière. Ceux qu'elle a interrogés ont estimé cette part aux 4/5** ou même aux 9/10" des dépenses pour les entreprises où la houil* 1ère, la mine de fer, la carrière de chaux, les fourneaux et la foi^e sont dans les mêmes mains ; aux 2/3 pour celles où Ton achète les gueuses. Mais, dans ces chiffres, ils ont compris les salaires fixes des employés, aussi bien que les salaires mobiles des ouvriers. D'ailleurs, ils ont fait justement observer que cette proportion varie selon la production. En effet, il y a des dépenses fixes et constantes : la royauté ou location perpé- tuelle de la mine, les traitements des employés, l'intérêt du capital engagé dans l'entreprise. Les bénéfices d'une part, les salaires de l'autre, sont donc seuls directement affectés par la production, qui règle la somme dépensée annuellement pour la main-d'œuvre ; et le mélange d'éléments fixes et d'éléments variables, dans un prix variable lui-même, modifie constam- ment la part proportionnelle de chacun. 116 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. les artisans comme uii procédé dégradant pour eux. Les puddleurs, marteleurs et lamineurs sont payés tant pour chaque tonne de fer . piiddlé, martelé ou laminé. Le taux de ce salaire à la tonne est réglé lui-même sur le prix de vente du fer, au moyen d'une échelle mobile, établie en 1847 par un maître de forges, M. Thorneycroft, et bientôt après adoptée dans presque toute F Angleterre. D'après ce système, les puddleurs prélèvent 5 pour 100, et les autres artisans 10 pour 100 sur tout accroissement de ce prix de vente, et, lorsque le marché tombe, leurs salaires sont réduits dans la même proportion. Si, par exemple, la valeur de la tonne augmente d'une livre sterling, ou 20 shillings, le puddleur recevra 1 shilling de plus pour chaque tonne de fer puddlé, le marteleur 2 shillings pour la même tonne martelée, et le lamineur 2 shillings également pour la même tonne, lorsqu'elle aura passé au laminoir. Dans le Staffordshire, les maîtres du district s'assemblent tous les trimestres, LA FABRICATION DU FER. 117 et fixent le prix du fer sur une liste impri- mée, qui sert de taux officiel pour le règle- ment des salaires, quoique les variations du marché ne permettent pas toujours de vendre aux prix qu'elle détermine. La plupart des forges peuvent même rarement les atteindre, et Ton ne cite comme les dépassant parfois que certains fers connus pour leur excellence, tels que ceux qui ont la marque de Lord Dudley. Dans le nord de l'Angleterre, où Téchelle mobile est admise aussi, chaque maître est à peu près libre de fixer ses prix, et par conséquent le taux des salaires ; dans le pays de Galles, au contraire, ceux-ci ne suivent que de fort loin les fluctuations du marché (1). (1) Cette particularité n'a rien d'étonnant dans une contrée si différente de TAngleterre sa voisine, différente parla langue, les traditions, le caractère, les mœurs, la religion et les idées politicpies. Sa population , celte par Torigine, presque répu- blicaine, active et laborieuse, mais turbulente et inconstante, diffère encore par un autre trait de la race anglo-saxonne : elle comprend autrement Tesprit d'association. Tandis que l'association religieuse s'est développée au milieu d'elle par son opposition à l'Église officielle que l'Angleterre lui impose; tandis que, presque tous dissenters^ ils soutiennent largement 7. 118 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EM ANGLETERRE. Le système de l'échelle mobile, quoique limitant les dissentiments dont les salaires peuvent être l'objet, ne les supprime pas en- tièrement. En effet, sa base même peut être modifiée, et Ta été plusieurs fois. M. Thor- neycroft avait établi que les puddleurs rece- vraient exactement 5 pour 100, ou un ving- tième du prix de la vente ; mais, plus tard, ceux-ci obtinrent que, sans changer ce rapport pour le calcul de Taccroissement ou de la dimi- nution de leurs salaires, on leur payerait, en sus de ce vingtième du prix de la.vente, la somme fixe de 6** (62 centimes), puis de 1 shil- ling (1 fr. 25 c.) par tonne puddlée. Ainsi, cette tonne vendue 8 livres sterl. (200 fr.) qui, au début, leur aurait rapporté 8 shillings (10 fr.), dut leur être comptée à S'^ô*^, puis à 9'^^ (10 fr. 63 c. et 11 fr. 25 c). Si son prix tombait à 7 livres sterl. (175 fr.), leurs salaii^es, leur culte national, qui, comme celui d'Irlande, ne vit que de contributions volontaires, les nombreux mineurs gallois , quoi- que recourant fréquemment aux grèves, n'ont jamais vu les Unions s'acclimater parmi eux. La seule Union citée devant la Commission fut dissoute, peu après sa formation, parla fuite du trésorier emportant la caisse commune, LA FABRICATION DU FER. 119 abaissés de même d'un vingtième^ descen- daient à T^^e^^ et 8*»* (8 fr. 37 c. et 10 fr.); et s'il s'élevait à 9 livres sterL (225 fr.), c'étaient 9^»^ 6^ et 10'^ (1 1 fr. 87 c. et 1 2 fr. 50 c.) qu'ils recevaient. Il se présente parfois aussi des difficultés d'interprétation. Ainsi, deux blocs de fer d'une tonne chacun, et semblables en tous points, sont sortis des mains de deux puddleurs: l'un, après avoir été martelé, se vendra 8 livres; l'autre, après l'opération du martelage, subira encore celle du lami- nage, et sa valeur se trouvera portée par là à 8 livres et demie : sur lequel de ces deux prix devra-t-on calculer le salaire des deux puddleurs, qui doit évidemment être égal? Le taux de ce salaire ne suit pas toujours immé- diatement les variations du marché, comme cela devrait être d'après le principe de l'échelle mobile. Enfin, les perfectionnements récents de certaines machines sont venus troubler l'équilibre de cette échelle. On con- naît ces énormes marteaux à vapeur, dont l'efibrt dépasse parfois vingt-cinq tonnes et ébranle h chaque coup tout le terraiu envi- 120 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ronnant^ établis à Sheffield chez Sir John Brown, aux Mersey Iran Works , chez M. Krupp à Essen, et dans quelques-unes de nos grandes usines de France. La fabri- cation des plaques de blindage a aussi fait construire des laminoirs d'une puissance extraordinaire. Grâce à ces machines, qui ne demandent pas le concours d'un plus grand nombre d'ouvriers, ceux qu'on emploie peu- vent, dans un même temps, marteler ou la- miner une quantité de fer bien plus considé- rable qu'autrefois, tandis qu'aucun progrès n'a été fait dans l'industrie des puddleurs, qui continuent à agiter le métal liquide, tou- jours exposés aux ardeurs de la fournaise, sans pouvoir, dans leur journée, puddler plus de quintaux qu'il y a vingt ans. De là une grande inégalité, si l'on continue à payer tous les ouvriers au même taux. Ainsi, il y a quelques années, grâce à un nouveau mar- teau introduit dans les Mersey Iran Works j deux ouvriers, qui ne travaillaient pas plus que leurs camarades, se trouvèrent gagner, l'un 400 livres steri. (10000 fr.), et l'autre LA FABRICATION DU FER. 421 450 livr. sterl. (H 750 fr.) par an (1). De là aussi un grand embarras pour les maîtres, qui, s'ils sanctionnent cette inégalité, voient tous les autres ouvriers réclamer au moins un certain accroissement de leur paye, et qui, s'ils veulent réduire le tarif des salaires pour ceux qui manient ces machines, rencon- trent chez eux une résistance obstinée. Les luttes entre les maîtres et les ouvriers ont souvent aussi une autre origine, et parfois ces derniers ont pu alléguer, pour justifier leurs plaintes, des griefs sérieux. Telle fut pendant longtemps une institution funeste connue sous le nom de Truck-shop, boutique établie par le propriétaire dans son usine, et où il débitait à crédit à ses ouvriers, comestibles, viandes, épiceries, liqueurs, etc., leur faisant payer ces denrées des prix exor- bitcmts, employant jusqu'aux menaces pour les pousser à la consommation, et retenant sur leurs salaires ce qu'il leur avait ainsi extorqué. Les plus intelligents parmi les ou- (1) Le salaire ordinaire de ces ouvriers dépasse rarement 1250 ou 1500 fr. par an. 122 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. vriers résistèrent énergiquement à cette exi- gence, et se mirent souvent en grève pour obliger les maîtres à y renoncer : ils ému- rent enfin l'opinion publique, et le Parle- ment, frappé des abus monstrueux auxquels elle donnait lieu, Tinterdit absolument. Au- jourd'hui encore cependant, les ouvriers sont de temps en temps obligés de résister à des innovations tendant à rétablir le Truck-shop sous une forme déguisée. Par suite du travail à la tâche, si un pro- duit est défectueux, les salaires de ceux des mains desquels il sort sont retenus. Cette règle, nécessaire en principe, peut donner lieu à des abus dont les ouvriers se plaignent amèrement. Ainsi, lorsqu'on galvanise la tôle, cette opération fait paraître, dans la qualité du fer, certains défauts impossibles à découvrir auparavant ; si la plaque est con- damnée et qu'on refuse leur salaire aux lami- neurs, ceux-ci se trouvent lésés par la faute unique du puddleur qui a préparé le métal. Parfois les ouvriers accusent les maîtres de retenir la totalité de leurs salaires, lorsqu'ils LA FABRICATION DD F£R. 123 peuvent faire encore quelque argent des produits imparfaits. Il y a aussi des cas que T échelle mobile ne prévoit pas toujours : ainsi telle fonte, très- difficile à puddler, se vendra, en barres de fer, moins cher que telle autre plus facile à tra- vailler, ou dont le rendement est plus considé- rable. Les ouvriers qui prépai^ent la première, demandent un tarif plus favorable que celui qui est accordé aux puddleurs ordinaires. Il arrive d'autres fois que des amendes sont imposées aux puddleurs, lorsque les produits qu'ils livrent sont jugés défectueux. La loi anglaise interdit cette pratique ; mais nombre d'ouvriers ont affirmé devant la Commission qu'elle n'en subsiste pas moins, et que les intendants retiennent sur leurs salaires le montant de ces amendes arbitraires, si bien que parfois il ne leur reste presque rien entre les mains : réclamer, disent-ils, serait tout simplement demander son renvoi. De pareils faits doivent être rares ; mais il n'en faut pas beaucoup pour réveiller chez l'ou- vrier des défiances mal assoupies. Enfin, 124 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. comme dans toutes les industries, l'existence même des Unions est la cause première de bien des luttes. Certains maîtres affectent de les ignorer et refusent de recevoir leurs re- présentants. D'autres vont plus loin encore, et excluent rigoureusement de leurs forges tous les unionistes. A quelques-uns même on a re- proché d'avoir, sans que les ouvriers leur en eussent donné l'exemple, dressé de ces listes noires dont nous avons vu plus haut le funeste rôle. De là naturellement des grèves nom- breuses. Mais, si, des deux parts, on peut citer certaines persécutions contre les ouvriers qui ont refusé de s'associer aux grèves, et contre les chefs qui les ont dirigées, les témoignages recueillis par la Commission, la discussion pu- blique entamée devant elle, ont prouvé que ces griefs réciproques étaient exagérés. Et, en revanche, on est heureux de ne rencontrer ici aucune de ces règles protectionnistes que nous avons vu, dans d'autres industries, cer- taines Unions s'efforcer de faire prévaloir. Aucun temps de service n'est imposé aux apprentis, ni aucune limite à leur nombre. LA PABRIGÂTION DU F£R. 125 Bien plus, là où il y a des non-unionistes, les membres des Unions ne se refusent pas à travailler avec eux, et les uns et les autres font presque toujours cause commune en- semble. Enfin, de Taveu même des maîtres, les Unions ont, dans plusieurs cas, exercé sur les ouvriers une heureuse influence : elles ne tolèrent pas le rattening, et elles ont extirpé l'usage frauduleux de dérober des pièces de fer et de les jeter dans le four pour en aug- menter le rendement. Les Unions que nous trouvons aujourd'hui parmi les ouvriers des forges sont toutes d'ori- gine récente. Une société fondée en 1 845 s'était dissoute en 1847, n'ayant pu résister aux maî- tres, qui obhgèrent leurs ouvriers à l'aban- donner. Aucune Union n'existait en 1857, lorsqu'un premier accroissement de 6*^ (62 centimes) fut ajouté au tarif des salaires des puddleurs. UAssociation nationale des ouvriers du fer^ comprenant principalement des pud- dleurs, fut fondée en 1862, et son siège établi dans le Nord, à Gateshead. Celle des 126 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Ouvriers en fer de la Grande-Bretagne , qui a choisi pour capitale la ville de Brierley- Hill, se forma Tannée suivante, au milieu d'une grève dont elle assura le succès. Tous les puddleurs de l'Angleterre entrèrent dans les rangs de Tune ou de l'autre, ceux de chaque district se partageant généralement entre les deux. Ainsi, la première comptait 450 mem- bres dans le Nord-StafiFordshire, et la seconde 350. Enfin, en juin 1864, les deux Unions s'efforcèrent de se fondre en une seule : elles n'y réussirent pas, mais se promirent un appui mutuel. La prospérité de l'industrie leur donnait alors une grande force : les puddleurs étaient payés à raison de 10'*" 6^ (13 fr. 12 c.) la tonne, taux de salaire plus considérable que tout ce qu'ils ont obtenu avant ou après. La plupart des lamineurs étaient aussi mem- bres de quelque Union : la plus puissante parmi eux, établie également à Gateshead, comptait cinq ou six mille membres, et chaque lamineur devant, lorsqu'elle se mettrait en grève, priver dix hommes de travail, on comprend quelle influence elle exerçait sur IX FABRICATION DU FER. 127 l'induslri^. Enfin on pouvait estimer les Unio- nistes de toutes professions aux trois quarts du noinbre total des ouvriers des forges. Mais, tandis qu'ils se fortifiaient par Tas- sociation, les propriétaires avaient, de leur côté, recours aux mêmes moyens pour résister à cette nouvelle puissance. Il existait, dejpuis cinquante ans, dans le Staffordshire une asso- ciation de maîtres, qui avait, entre autres objets, celui de régler les salaires et d'en assurer rtmtformtté. Dans le nord de l'An- gleterre nous trouvons deux sociétés formées parmi les propriétaires, l'une des hauts fourneaux, et l'autre des forges. Cette der- nière, dite V Association des fabricants de fer du nord de l' Angleterre j est une véritable Trade-Union^ avec tous les caractères qui distinguent ces sociétés parmi les ouvriers. Ainsi, chaque propriétaire assure contre la grève tout ou partie de ses fours à puddler, en s'engageant par écrit à payer, sur la ré- quisition du secrétaire, une somme déter- minée par le nombre de ces fours et le rende- ment qu'il leur assigne. Si ses ouvriers le 128 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. quittent, Tassociatioii lui paye, selon l'assu- rance, 4 livres sterl. (lOOfr.) ou 3 livres sterl. (75 fr.), chaque semaine, par four, et elle pré- lève cette somme sur les fonds souscrits par les autres membres. Ces fonds, mis à la dis- position de la société, s'élevaient, le 1" dé- cembre 1866, à près de 48 000 livres sterl. (1 200 000 fr.). Quoique moins fortement organisées, les Unions de maîtres du Staffordshire sont ani- mées du même esprit. Aucun des membres ne peut payer ses ouvriers au-dessus du tarif qu'elles ont fixé dans l'échelle mobile, et bientôt, resserrant les liens de leur coalition, ils vaincront les ouvriers par l'emploi même des moyens qui ont été tant de fois repro- chés à ces derniers. Aussi leur voyons-nous prendre l'offensive, et, dans le district de Leeds, prononcer un lock ont au printemps de 1864, pour imposer aux ouvriers la re- nonciation aux Unions récemment introduites parmi eux. C'est pour leur résister que les deux sociétés de Gateshead et de Brierley Hill se confédérèrent ; mais ce fut en vain LA FABRICATION DU FER. 129 qu'elles dépensèrent 17000 livres sterling (425 000 fr.) et prolongèrent la lutte pendant six mois. Elles furent vaincues par Farrivée de travailleurs belges qui vinrent prendre la place de ceux qui étaient en grève. La grande prospérité qui, en 1863, avait permis aux Unions d'obtenir des salaires si élevés, n'avait eu qu'une courte durée. Dès le milieu de l'année suivante, les proprié- taires du StafFordshire se virent dans la né- cessité d'abaisser le prix de leurs fers. Mais, comptant sur une reprise prochaine des affaires, ils jugèrent plus prudent de ne pas réduire dans la même proportion la paye de leurs ouvriers : ceux-ci crurent alors que le taux des salaires ne serait plus changé tant que le prix du fer demeurerait le même, et, lorsque la réduction si imprudemment diffé- rée fut enfin devenue indispensable, elle fut considérée comme une cruelle injustice par ceux qui n'auraient pu s'en plaindre quel- ques mois auparavant. Les maîtres avaient prévu cette résistance : aussi s'étaient-ils con- certés, en décembre 1864, avec les industriels 130 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. du reste de F Angleterre, pour faire partout simultanément cette réduction, et se soutenir réciproquement en cas de besoin. Ils annon- cèrent que, le 14 janvier 1865, les salaires des puddleurs seraient réduits d'un shilling (1 fr. 25 c), et ceux des autres ouvriers de 10 pour 100. A cette nouvelle, grand émoi parmi tous ceux qui se trouvaient ainsi at- teints, mais particulièrement parmi les pud- dleurs. Leurs deux Unions envoient des re- présentants à une conférence tenueà Sheffield; mais, quoiqu'ils ne puissent s'entendre sur une ligne de conduite à suivre en commun, ils déclarent avant de se séparer, que la lutte est impossible et qu'il faut traiter aux meil- leures conditions, en évitant à tout prix une grève inutile. Une réunion spéciale des délé- gués de toutes les branches de la société de Brierley Hill confirme cette déclaration, et autorise seulement les puddleurs du North- Staffordshire, qui prétendaient que la vie était plus chère dans leur district que dans les autres, à proposer aux maîtres que la réduction soit fixée à 6*^ (62 centimes). On LA FABRICATION DU FER. 131 croyait que cette transaction serait acceptée, et, malgré Favis des ouvriers du reste du comté, on promit T appui de la société aux puddleurs, en cas de refus. La prévision du refus s'étant réalisée, ils se mirent en grève au jour fixé pour la réduction : tous leurs camarades de forges qui' appartenaient à rUnion de Gateshead en firent autant; mais leur société les abandonna promptement, ne voulant pas sanctionner par des secours leur désobéissance à ses ordres. Ne vivant que de rares dons volontaires, ils rompirent bien- tôt ouvertement avec elle, et se liguèrent avec les puddleurs affiliés à la société de BrierleyHill,qui les soutinrent, autant qu'ils le purent, avec les faibles ressources dont ils disposaient* En vain les chefs des deux so- ciétés représentèrent-ils à ces 800 puddleurs les conséquences de leur obstination ; en vain Lord Lichfield, lord-lieutenant du comté ^ se proposa-t41 comme arbitre : ils ne voulurent rien écouter* L'Union de Brierley Hill leur donnait ce- pendant encore quelques secours ; les mai- 132 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. très du South -StafiFordshire résolurent d'y mettre un terme, et d'aider leurs voisins du nord du comté à faire accepter la réduction aux ouvriers récalcitrants : ils fermèrent toutes leurs forges le 6 mars, et déclarèrent qu'ils ne lèveraient l'interdit que le jour où ces ouvriers se seraient soumis aux condi- tions qu'on leur proposait. Les propriétaires du centre et du nord furent invités à donner le même appui aux usines frappées par la grève, qu^on accusait l'Union de Gateshead d'encourager secrètement. Réunis à York, ils prononcèrent à leur tour un hck ont le 17 mars. Par suite de cette mesure, tous les fours à puddler de l'Angleterre s'éteignirent à la fois : pendant quinze jours, cette grande industrie fut comme anéantie, et elle ne s'en est janiais relevée complètement. Mais une pareille situation ne pouvait se prolonger La société de Gateshead, toujours opposée et étrangère à la grève, n'eut aucune répu- gnance à donner à Y Union des fabricants du nord de f! Angleterre la promesse qu'on lui demandait, et aussitôt ceux-ci rouvri- U FABRICATION DU FER. 133 rent leurs établissements. La société de Brierley Hill, jugeant la résistance inutile, avait, depuis le lock outy cessé de secourir ces puddleurs du nord du Staffprdshire qui avaient donné le signal de la lutte, et leur avait, quoique vainement, recommandé de céder. La voyant agir ainsi, les propriétaires du sud du comté, liés vis-à-vis de leurs confrères du nord, leur demandèrent la permission de reprendre à leur tour le travail, sans attendre la fin de la grève. L'opinion publique com- mençait, en effet, à se plaindre de ce lock oui qui, non-seulement menaçait de ruiner l'in- dustrie des fers, mais plongeait aussi dans la misère une population nombreuse et labo- rieuse, qui ne s'était pas mêlée de la querelle, et même la désapprouvait. Les maîtres de forges ne voulurent pas prolonger cette situa- tion, et, réunis à Wolverhampton , ils pro- noncèrent, le 5 avril, la fin du lock oui. Les ouvriers du North-Staffordshire per- sistèrent néanmoins : ils firent appel à des souscriptions publiques, et furent encoura- gés par les promesses de M. Potter et de la 8 134 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. société de Londres, dont il est le secré- taire. Mais l'argent ne vint pas, et, réduits à la dernière misère, ils furent enfin obligés de céder. Les pertes en salaires, causées par cette grève, peuvent être estimées à 1 20 000 livres sterling (3 000 000 de francs) : par le lock out qu'ils prononcèrent, les maî- tres de forges empêchèrent leurs ouvriers de gagner 150 000 Uvres sterl. (3 750 000 fr.) dans le South-Staffordshire, et 50 000 livres sterl. (1 250 000 fr.) dans le nord de l'Angle- terre. Cette lutte désastreuse priva donc les ouvriers de 8 000 000 de francs de salaires, sans compter ce qu'elle coûta aux caisses dé leurs associations. Les pertes des maîtres ne furent pas moindres : aussi les uns et les autres s'en ressentent'^ils encore. L'importance de cette grève rejette dans l'ombre toutes celles qui lui ont succédé: nous nous bornerons donc à en mentionner rapidement quelques-unes. La première éclate parmi les lamineurs du North-Staffordshire, à propos des condi- tions auxquelles ils furent repris à la ren- LA FABRICATION DU FER. 135 trée de leurs camarades dans les fours à puddler : ils obtinrent le taux de salaires qu'ils demandaient (1). En mai i 866, ce sont au contraire les puddleurs de Tusine des Mersey Iron Works (Liverpool) qui se trouvent privés d'ouvrage par une grève des journaliers. Les propriétaires en profitent pour exiger d'eux, à la reprise des travaux, qu'ils renoncent à l'Union. Sur leur refus, le directeur, M. Clay, entreprend de se passer d'eux : il se met lui-même à l'œuvre, ensei- gnant le puddlage à des hommes ramassés de tous côtés, et il fait si bien, qu'il rallume dix- huit fours et oblige les unionistes à capituler. Leurs chefs sont rigoureusement exclus; les autres sont obligés de se faire rayer des listes de leur société, et, privés de son appui, ils ne peuvent plus désormais tenir tête aux maîtres. Ainsi, plusieurs d'entre eux s'étant (1) Ils n'avaient pas pris part à la grève des puddleurs et appartenaient à une Union indépendante, purement consacrée aux grèves, et qui offre une particularité remarquable ; elle a deux tarifs de souscription, qui, en cas de chômage, assurent à ses membres des secours plus ou moins considérables. 136 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. absentés un jour de Tusine sans avis préa- lable, et ayant été acquittés par les tribunaux devant lesquels le directeur les avait pour- suivis, celui-ci ferma immédiatement Tusine, et ne reprit que les ouvriers qui s'enga- gèrent à le prévenir une semaine avant de le quitter. Enfin, parmi toutes les grèves du nord de l'Angleterre, la plus grave fut celle qui commença le 14 juillet 1866, et, pendant cinq mois, priva d'ouvrage plus de douze mille ouvriers. SoufiFrances inutiles, car, l'in- dustrie dépérissant de plus en plus, il leur fallut accepter la diminution de salaires qu'ils avaient d'abord repoussée. L'industrie des fontes de fer, intimement liée à celle des fers forgés, qu'elle alimente, a aussi ses Unions; mais elle n'a jamais été troublée par de grandes grèves comme celles que nous venons de décrire. On peut en partie faire honneur de cet heureux résultat à la principale de ces associations : la Société des fondeurs de fer^ aussi sage qu'elle est ancienne et puissante. Formée il y a cin- quante-neuf ans, elle fut secrète naturelle- LA FABRICATION DU FER. 137 ment jusqu'en 1824 : ses membres choisis- saient alors une nuit obscure pour se réunir sur une de ces landes tourbeuses, appelées moorSy qui couvrent les collines du centre de l'Angleterre. C'est là qu'on recueillait les souscriptions pour le fonds commun; c'est là qu'on préparait la grève qui devait éclater, sans aucune apparence d'entente entre les ouvriers, c'est là qu'on leur distribuait des secours lorsqu'ils avaient quitté l'ou- vrage; et, avant que le jour vînt éclairer ces innocentes conspirations, avant que le cri matinal du grouse^ seul habitant de ces vastes déserts, vînt attirer le chasseur sur son domaine, les archives de la société étaient soigneusement enterrées, et chacun reprenait le chemin de la ville voisine. Cette Société s'étend aujourd'hui sur toute l'An- gleterre, l'Irlande et le pays de GaUes ; elle compte plus de onze mille membres, et en 1865 ses recettes se sont élevées à 36 297 livres sterl. (907 425 fr.). Mais l'ex- périence l'a rendue prudente, et sa force ne lui fait pas oublier les conditions nécessaires 8. 138 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. au succès de ses entreprises : ainsi, son secrétaire déclare lui-même qu'il ne faut jamais prolonger une grève au delà de six semaines, et que, si, au bout de ce temps, les ouvriers ne Font pas emporté, leur inté- rêt bien entendu leur commande de céder. Comme nous Favons dit, la discussion en- tamée devant la Commission entre les deux parties porte sur les intérêts les plus élevés de la grande industrie qui les fait vivre toutes deux, et le juste taux des salaires est la ques- tion débattue de part et d'autre avec le plus d'ardeur. On se reproche réciproquement d'avoir voulu, soit en les élevant, soit en les abaissant indûment, s'approprier exclusive- ment tous les bénéfices, fruits d'une entre- prise commune. Les maîtres accusent les Unions d'avoir amené la décadence de leur industrie en exigeant un accroissement de salaires excessif et inopportun. Les ouvriers leur reprochent, au contraire, de dissimuler sous ces plaintes les profits considérables qu'ils leur supposent encore aujourd'hui. De leurs plaidoyers mêmes il ressort, croyons- LA FABRICATION DU FER. 139 nous, que ces imputations contraires sont également peu fondées. Le dépérissement de rindustrie des fers est indubitable; mais on ne saurait en rendre les Unions responsables. Ses véritables causes sont, d'une part, l'excès de capital engagé dans cette industrie, amenant un développement immodéré de la production, et, de l'autre, par une funeste coïncidence, une diminution subite et extra- ordinaire de la consommation. Ainsi, chose remarquable, tandis que l'Angleterre voit l'exportation de ses fers augmenter considé- rablement durant les années 1864 et 1865 (près de 1 500 000 livres sterL ou 37 000 000 de francs en 1865), la consommation inté- rieure diminue, en même temps, dans une proportion bien supérieure. Cette diminution elle-même ne saurait être attribuée aux hauts prix des salaires; car, dans ce cas, l'exportation aurait dû en être afifectée la première (1); on s'accorde d'ailleurs à l'at- (1) L'importation des fers belges en Angleterre ayant été alléguée comme preuve de Finfluence funeste des hauts sa- laires sur la prospérité de l'industrie anglaise, il faut réduire 440 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. tribuer à la cessation des coustructions des chemins de fer et des navires de fer, et à la grande crise financière qui a ébranlé le crédit et interrompu toutes les entreprises à longue échéance. L'action des Unions sur le taux des salaires se borne à ce que nous disions dans le cha- pitre précédent : elles en règlent les oscilla- tions, elles peuvent en retarder l'abaissement, en hâter un peu l'élévation; mais elles ne peuvent pas plus changer l'ordre de ces oscil- lations qu'on ne peut, sur un champ de bataille, cet argument à sa juste valeur. Les importations de fers belges en Angleterre ont été, en valeur : En 1863, de 1 946 livres sterï. ou àS 650 fr. En 1864, de 75 848 — ou 1 896 200 En 1865, de 99 950 — ou 2 498 750, tandis que, dans cette même année 1865, les exportations de fers anglais étaient représentées par le chiffre énorme de 17 950 000 livres sterl. : soit environ pour 2 millions et demi de francs de fers importés en Angleterre contre 450 mil- lions d'exportés. Ce chiffre donne en même temps une idée de l'importance de Tindustrie dont nous nous occupons. LA FABRICATION DU FER. 141 arrêter avec la main ces boulets morts qui tour- nent sur place, brisant tout ce qui les touche. S'il en était autrement, comment se ferait-il que les dix mille ouvriers du pays de Galles, qui ne possèdent aucime Union, aient des salaires fort peu inférieurs à ceux de leurs camarades anglais? Personne ne nie sans doute l'influence qu'ont sur le marché, et sur la prospérité d'une industrie comme celle des fers, les variations dans le taux des salaires ; mais ces variations elles-mêmes sont enfer- mées dans d'étroites limites. En effet, pres- que tous les maîtres reconnaissent qu'il y a un minimum au-dessous duquel il est impossible de les laisser tomber ; et l' un des plus consi- dérables d'entre eux, M. Smith, agent de Lord Dudley, déclare qu'il ne consentira jamais à les abaisser au-dessous de 7'^ 6*^ (9 fr. 37 c.) et qu'il préférerait même fixer ce minimum au taux actuel de 8^^^ 6^ (lOfr. 62c.). «Mieux » vaut, dit-il avec raison, travailler à perte que » de payer les puddleurs un prix inférieur ; » car ce serait chasser tous les bons ouvriers de » cette profession, devenue trop ingrate pour 142 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. » eux (1). » Ils sentent d'ailleurs que des intérêts d'un ordre supérieur leur comman- dent d'éviter avant tout un funeste avilisse- ment du prix de la main-d'œuvre. Tout prouve, en effet, que la tenue, la bonne conduite et la modération des ouvriers sont en rapport direct avec la rétribution qu'ils obtiennent pour leur travail. « Je crois», dit un mouleur en fonte, « que. les artisans bien payés de » l'Angleterre ont seuls maintenu notre posi- » tion au milieu des crises révolutionnaires » qui ont troublé le continent. Il faut se rap- » peler qu'au moment où les Chartistes ont » si profondément agité le pays, leur cri » était : Pourvu que nous puissions abaisser » la classe des artisans au niveau de celle » des journaliers, nous sommes sûrs d'obtenir » la Charte. » On peut, d'un autre côté, affirmer que la (1) Les maîtres de forges travaillent souvent à perte, et ils estiment que, tant que cette perte est au-dessous de 10 shil- lings par tonne, elle est moindre que celle qu'ils éprouveraient en fermant leur usine. La plupart réduisent alors, comme ils le font aujourd'hui, leur fabrication au minimum, ne travail- lant que trois jours par semaine. LA FABRICATION DU FER. 143 moyenne des salaires, même aux époques les plus prospères, ne dépasse jamais un maxi- mum peu élevé ; et, quelle que soit l'assurance contre les mauvaises années prélevée sur la portion que s'attribuent les propriétaires dans les bénéfices de l'industrie, la part des ouvriers dans cette assurance est relativement modérée. Les exemples qu'on a cités de salaires consi- dérables sont des exceptions qui s'expliquent par des circonstances particulières. Ainsi, nous avons déjà parlé de ces lamineurs qui gagnaient 10 et 1 2 000 francs par an, et mon* tré que cet accroissement subit était dû à des perfectionnements introduits dans certaines machines. Lorsqu'un progrès de ce genre est subitement accompli dans une industrie, ra- baissement de la valeur des produits ne vient pas toujours assurer tout d*abord au public i^a part du bénéfice : les profits sont alors, soil pour les maîtres, s'ils ne dépensent pas plus qu'autrefois en salaires^ soit pour les ouvriers^ si, comme dans le laminage, ils continuent à prélever pour une moindre quantité de leur propre travail une part proportionnelle, aussi iàà LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. grande qu'auparavant, sur le prix de la mar- chandise. Mais l'équilibre ne tarde pas à se rétablir, et le public d'un côté, les producteurs de l'autre, finissent toujours par se partager les bénéfices de l'invention. Les maîtres et les ouvriers répartissent de nouveau entre eux la portion qui leur revient, selon l'état des offres et des demandes, et jamais les travailleurs n'ont pu être exposés au reproche d'absorber longtemps tous ces bénéfices à leur profit. D'autres exemples, analogues à celui des lamineurs, prouvent seulement que, même dans ce rude métier, l'intelligence de l'ou- vrier a une bien plus grande valeur que sa force musculaire. Ainsi, dans les Mersey Iron Works, les premiers marteleurs ont des ap- prentis dont le travail leur est payé 3 livres sterl. ou 3 livres sterl. 10*'' (75 fr. ou 87 fr. 50 c), et auxquels ils ne donnent qu'une livre sterl. (25 fr.) par semaine; eux-mêmes, payés à la journée, touchent pour leur propre ouvrage durant la semaine 1 1 livres sterl. 10*'' et 12 livres sterl. 10*' (287 fr. 50 c. ou 312 fr. 50 c), et se fout ainsi annuelle- LA FABRICATION DU FER. 1A5 ment de 700 à 900 livres slerl. (17 500 à 22 500 fr.). Mais aussi une grande respon- sabilité pèse-t-elle sur eux : un seul coup du marteau à vapeur mal appliqué peut faire perdre toute sa valeur à la pièce qu'on tra- vaille, par exemple à Tun de ces énormes arbres de couche, nécessaires aux grands navires de guerre, et qui se payent de 2500 à 3500 livres sterl. (62 500 fr. à 87 500 fr.) chacun. Il arrive ainsi que la réputation de rétablissement dépend souvent du tact et du coup d'œil d'un seul ouvrier, qui peut légi- timement demander un haut prix pour ses services. Mais ce sont là, nous l'avons dit, de rares exceptions. La moyenne des salaires d'un bon puddleur ne dépasse guère la somme de 52 livres sterl. (1300 fr.), et n'atteint qu'avec peine le chiffre de 60 livres sterl. (1500 fr.) dans les circonstances les plus fa- vorables. On voit donc que les deux limites extrêmes du prix de la main-d'œuvre enfer- ment ces variations dans un cercle fort étroit, et en restreignent par conséquent beaucoup l'influence. 9 146 LES ASSOCIATIONS OtJVRIÈRES EM ANGLETERRE. La concurrence de tous les peuples pro- ducteurs, sans cesse invoquée dans cette dis- cussion, ne permettait pas à la Commission d'envisager la question des salaires à un point de vue exclusivement anglais. Maîtres et ou- vriers s'empressèrent d'ailleurs de la trans- porter sur un terrain beaucoup plus large, où les commissaires n'eurent qu'à les suivre. La situation des Unions aux États-Unis, le seul pays qui jusqu'à présent ait emprunté cette institution à l'Angleterre, devait particu- lièrement appeler leur attention. Les déposi- tions de M. Hewitt, ce maître de forges amé- ricain que nous avons déjà cité plus haut, et qui s'est distingué par sa sollicitude pour ses ouvriers, offrent sur ce sujet de précieux renseignements. Consacrées uniquement aux affaires du métier, les Unions américaines sont dépourvues de tout fonds de secours mutuels (1). Cependant elles sont rarement (1) La loi anglaise qui annule les contrats et engagements contraires à la liberté du commerce est en vigueur en Amé- rique ; mais il ne paraît pas qu'elle ait jamais été appliquée aux Unions, qui y jouissent de la plupart des droits et privilèges LA FABRICATION DU FER. 147 obligées d'intervenir pour maintenir le haut prix des salaires, et Ton ne cite qu'une seule grève dans l'industrie des fers, celle des puddleurs en Pennsylvanie : encore, ajoute M. Hewitt, n'y avait-il parmi eux presque pas d'Américains ; c'étaient pour la plupart des Irlandais élevés dans la tradition de ce genre de luttes. Pendant la guerre contre le Sud, TurgenQe des travaux commandés par le gouvernement fédéral était telle, que les ou- vriers obtinrent tout ce qu'ils demandèrent. Mais ce n'est pas à ces circonstances passagères qu'il faut attribuer le haut prix des salaires américains. Le peu de valeur de la terre est un contre-poids infaillible qui prévient Tavi- lissement du salaire. En effet, tout ouvrier pouvant acheter des terres à TEtat à un prix presque nominal et moyennant une simple an- nuité, le forgeron quitte l'usine le jour où il s'aperçoit que sa paye n'est pas supérieure à ce qu'il gagnerait en cultivant un champ ainsi acquis. Rien ne retenant l'Américain ni qu'elles réclament en Angleterre. Ainsi, la loi de l'État de New- York les reconnaît commV personnes morales, et les autorise à posséder en leur propn nom. us LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. auprès de son clocher, ni dans sa profession, la perspective de devenir propriétaires dans • le Far-West brille constamment aux yeux de tous les ouvriers salariés, et ce n'est qu'en leur offrant des avantages considérables qu'on peut les garder à l'atelier. Il en résulte que, dans l'industrie des fers, la main-d'œuvre se paye trois et quatre fois plus cher qu'en Angleterre, proportion qui n'est nullement justifiée par le prix de la vie. De là, d'une part, la protection nécessaire à la métallurgie américaine, malgré les magnifiques avantages dont la nature l'a dotée, et, d'autre part, le rôle de l'Amérique dans la balance de notre monde civilisé. Plus les relations à travers l'Atlantique déviendront faciles, plus les pré- jugés et les traditions qui empêchent Tou- vrier européen de quitter les lieux où il vit difficilement s'effaceront, plus les nobles liens qui l'attachent à la patrie seront relâchés par la double action d'amères déceptîôlis autour de lui et de la fascination croissante qu'exerce à juste titre la grande république : plus il faudra, pour le retenir, lui assurer des con- ditions équivalentes^ celles qu'il y trouverait, LA FABRICATION DU FER. 149 et Téquilibre des salaires se rétablira ainsi naturellement des deux côtés de T Atlantique. Si aujourd'hui T Amérique est obligée de recourir à la protection, c'est que les fers viennent d'Angleterre plus aisément que les ouvriers, et que, par conséquent, ceux-ci restant chez eux à travailler avec de moindres salaires que les ouvriers américains, les fers qui sortent de leurs mains peuvent se vendre moins cher que les produits des forges penn- sylvaniennes ; mais l'émigration tend chaque jour davantage à ramener partout à un même niveau le prix de la main-d'œuvre (1), de celle-là du moins qui exige à la fois intelli- gence, expérience et adresse, et dont la va- leur s'accroît d'autant plus que les progrès de la civilisation remplacent par le travail automate des machines le labeur grossier qui ne demande qu'une certaine force musculaire. L'Angleterre se trouve placée sous ce rap- port, comme elle Test géographiquement , entre l'Amérique d'un coté, et la France, la (1) Aussi un grand nombre d'Unions anglaises ont-elles un fonds spécial destiné à encourager l'émigration , 150 LES ASSOGIATIOMS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Belgique 9 T Allemagne de l'autre. Position singulièrement favorable pour elle en ce moment : elle est protégée contre la redou- table concurrence de TAmérique par les hauts salaires qui prévalent dans ce pays, et contre celle du continent européen, où le prix de la main-d'œuvre et de la vie, où les besoins de l'ouvrier sont moindres que chez eUe, par les difficultés que la situation des divers gise- ments oppose à l'exploitation lucrative des richesses métallurgiques qu'il contient (1). Ce mouvement d'élévation graduelle des salaires se fait d'ailleurs sentir partout à la fois. En France, l'introduction de puddleurs anglais, largement payés, a permis bientôt à nos puddleurs, devenus aussi habiles qu'eux, au dire même des étrangers comme M. He- (1) Le pays le mieux doté en ce genre, la Belgique, ne fait concurrence qu'à une seule classe de fers anglais, ceux du Staffordshire. Et quant à la France, tout le monde sait les difficultés de transport contre lesquelles est réduite à lutter notre industrie métaUurgique. On est heureux de voir Thommage que lui rend M. Hewitt, déclarant à la Commission que ces difficultés empêchent seules Tusine du Greuzot de donner à meilleur marché des produits au moins aussi beaux que ceux de TAngleterre. LA FABRICATION DU FEH. 151 witt, d'obtenir pour leur travail les mêmes prix que s'ils étaient à Liverpool ou dans le StafiFordshire. D'autre part, dans certains dis- tricts de l'Angleterre, où la rémunération du travail purement manuel était très-faible, les maîtres vont sans doute l'élever à un taux plus juste, et renonceront spontanément aux avantages que ce système leur assurait sur le marché. En efifet, ils ne les obtenaient que grâce à l'emploi des femmes pour les ou- vrages les plus rudes et les plus grossiers : aux grandes forges de Merthyr Tydfil, par exemple, ce sont des femmes qui empilent les grosses barres de fer, après qu'elles ont été martelées ; et elles ne reçoivent qu'un shil- ling (1 fr. 25 c.) par jour pour ce labeur, qu'un homme vigoureux et bien portant ne consentirait pas à faire pour moins de 2*** 3"* (2 fr. 81 c). Le sentiment public condamne cet usage funeste à tant d'égards, injuste pour les femmes, dont le travail excessif est si mal rétribué, et aussi pour les hommes, dont cette concurrence abaisse indûment les salaires. CHAPITRE VI L'EXPLOITATION DE LA HOOÏLLE L'industrie de la houille est naturellement associée à celle du fer, et la population qu'elle fait vivre n'est pas moins intéressante que celle dont nous venons de parler. . On a dit avec vérité, qu'un morceau de houille était un rayon de soleil mis en bou- teille : or, un rayon de soleil, c'est cette force changeante, indestructible et féconde, qui s'appelle lumière, chaleur, action chimique, électricité et mouvement. Mais on ne sait guère ce qu'il en coûte de travaux et de dan- gers à toute une population, pour s'emparer des précieux débris d'une antique végétation L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 153 enfouis dans la croûte terrestre, et qui, sous forme de combustible et de gaz d'éclairage, nous rendent les principes vivifiants répandus sur notre globe bien avant Tapparition de rhomme. Des puits d une grande profondeur sont la seule communication entre le monde extérieur et un dédale de galeries basses et étroites où s'agite sans relâche le peuple laborieux dévoué à ce travail. Malgré un sys- tème perfectionné de ventilation, une atmo- sphère étoufifante remplit ces ruches sou- terraines, et le terrible feu grisou, distillé par des fissures imperceptibles, menace sans cesse de punir d'une manière effroyable un seul instant de négligence. Parfois ce démon malfaisant déjoue les plus sages précautions, et s'échappe d'une cavité subitement ouverte, dans laquelle il était enfermé depuis des cen- taines de siècles. Parfois c'est un éboulement qui vient écraser les ouvriers, lorsqu'à une couche de charbon dure comme la roche en succède ino]>inément une autre friable comme du bois pourri. Quelques chiffres donneront une idée de 1 ^importance de la profession des 9. 154 LES ASSOCUTIONS OCYRIÈRES EN ANGLETERRE. mineurs et de ses dangers. Sur i 74 millions de tonnes de houille débitées en 4867 dans le monde entier, iOi millions l'ont été par l'Angleterre. Ce charbon a été extrait de 3195 mines y dans lesquelles sont employés 282 000 ouvriers. Dans cettie même année 1867, le nombre des morts causées par des accidents s'est élevé à il 90 (en \ 866 il avait été de 1484), parmi lesquelles 286 ont été dues au feu grisou. Il a donc péri en un an, dans ce dangereux travail, un ouvrier sur 280, et chaque fois que 88000 tonnes de houille sont livrées au commerce, il faut, pour savoir ce qu'elles coûtent, ajouter au prix d'extraction la mort violente d'un homme. Cette vie rude et périlleuse, pleine de hasards et de privations, fait des hommes énergiques, et, en lisant leurs dépositions devant la Commission royale, on ne peut manquer de ressentir pour la plupart d'entre eux une sympathique admiration. Nous avons d'ordinaire évité de parler des personnes pour nous attacher aux caractères généraux du sujet que nous avions abordé ; mais nous L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 155 n'aurions donné qu'une idée incomplète du rôle des Unions, de leur influence et de leur avenir, si nous ne faisions pas connaître quel- ques-uns des hommes qui, chargés de les re- présenter, honorent la cause qu'ils ont eu à défendre. L'un d'eux, M. M"" Donald, a raconté sa vie avec une noble simplicité. Né en Ecosse il y a une quarantaine d'années, il entrait dans une mine de fer à l'âge de huit ans. Il fallait se lever à deux heures du matin, l'hi- ver comme Tété, pour ne rentrer qu'à sept heures dn soir au cottage paternel. Pendant seize ou dix-sept heures, Tenfant poussait des chariots dans des galeries, hautes parfois seu- lement de dix-huit pouces, mal ventilées, et où l'acide carbonique s'amassait souvent en telle quantité, que trois ou quatre lampes placées côte à côte ne donnaient pas assez de lumière pour permettre de charger le minerai. Aussi, des vingt compagnons de M. M*" Donald, aucun n'a-t-il survécu à cette triste enfance. Dans la seconde mine où il a travaillé, se trouvaient une trentaine de 156 LES ASSOCIATIONS OtVRIÊRES EN ANGLETERRE. garçons et un bon nombre de jeunes filles. Tous ceux-là aussi, excepté son frère et lui, sont morts, brisés par l'excès du travail, éteints à la fleur de l'âge par une atmosphère em- pestée, comme les misérables lampes qui refusaient de brûler dans leurs mains. Ce- pendant, à peine arrivé à l'âge d'homme en dépit de ces terribles épreuves, le jeune M*" Donald se consacre au plus rude labeur du mineur pour obtenir un salaire plus con- sidérable, et améliorer plus rapidement sa position. Il prend à l'entreprise le percement des galeries à travers les rochers, là où il faiit travailler dans l'eau jusqu'aux genoux, et sous une pluie qui dégoutte incessamment des parois. c< Pour échapper, dit-il, à Tim- » pression de cette douche perpétuelle, je »> commençais par me rouler tout entier dans » l'eau avant de me mettre au travail. » Mal- gré cette vie fatigante, il suit les cours du soir, alors récemment fondés pour les ouvriers. Puis, aussitôt qu'il a amassé un petit pécule, à vingt et un ans, il partage sa vie : pendant Tété, il continue à travailler de ses mains; L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 157 pendant l'hiver, il va à l'université de Glas- gow ; il étudie le grec, le latin, la rhétorique et les mathématiques : cela lui coûte environ 60 livres sterl. (1 500 fr.) pour ses six mois de vie d'étudiant. Enfin, après avoir été /breman, il devient secrétaire d'une Union, et quitte pour ces fonctions la pioche et le pic. Au- jourd'hui, il a été appelé par la confiance de tous ses camarades à la présidence de V Asso- ciation nationale des mineurs ^ vaste société qui embrasse toutes les Unions de houillers des trois royaumes. D'autres ouvriers, qui ont débuté comme lui, aussi énergiques et aussi persévérants que lui, ont suivi une autre voie, et ont fini par devenir maîtres à leur tour. Il y a vingt- sept ou vingt-huit ans, parmi ces enfants de huit à dix ans, condamnés au terrible travail de la mine, s'en trouvait un appelé George EUiot. Un peu plus tard, il prenait part comme mineur aux grandes grèves par lesquelles les ouvriers obtinrent une réduction consi- dérable des heures de travail, et il en parle encore aujourd'hui comme d'une précieuse 158 LES ASSOCUTiOTIS OCVRICRES EN ANGLETERRE. victoire de la justice et de l'humanité. Dès l'âge de vingt ans, grâce à sa vive intelligence, il commençait à s'élever au-dessus de la con- dition de simple mineur. Passant successive- ment par tous les degrés de la hiérarchie des employés des houillères, devenant inspecteur, puis agent, il se trouve être aujourd'hui un des principaux propriétaires de mines dans plusieurs parties de T Angleterre à la fois. Tant dans celles qu'il possède que dans celles qu'il exploite pour ses amis, il occupe dix mille ouvriers, et il extrait annuellement 2 millions de tonnes de charbon, c'est-à-dire un quatre- vingi>-huitième de la production du monde en- tier. Fidèle au souvenir de son origine, il a toujours su conserver les meilleurs rapports avec ses ouvriers, et il termine sa déposition par les paroles suivantes : c< En somme, les » houillers sont xme population admirable. » Il n'y a pas au monde un corps plus beau » et avec lequel il soit plus facile de s'en- » tendre, pourvu qu'on sache s'y prendre. » Toute l'extraction de la houille se paye à la tâche. A l'extrémité des galeries, les ouvriers, L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 159 généralement couchés sur le dos, tant l'espace est bas, attaquent à coups de pioche la veine de charbon, puis ils ramassent les blocs déta- chés et les chargent dans des caisses munies de roues qui forment une sorte de chariot. Ces caisses, poussées sur une voie de fer, sont hissées à la surface par la machine à vapeur, et leur chargement, après avoir été pesé, est porté au compte de chaque ouvrier, qui est payé à tant la tonne de houille extraite. Dans quelques mines, à Staveley par exemple, un certain nombre d'ouvriers prennent une ga- lerie à l'entreprise, et s'associent pour l'ex- ploiter, courant la chance de perdre ou de gagner, selon la qualité de la veine. Ailleurs, cette qualité rendant le travail plus ou moins facile, les ouvriers de telle galerie sont payés à la tonne plus que ceux de telle autre. Enfin, dans le Durham et le Northumberland , les mineurs sont engagés pour une année à un taux fixe, et le propriétaire leur garantit un minimum de 30 à 33 shillings par quinzaine (950 à 104-5 fr. par an), qu'il leur donne ou non du travail. Attaqué tantôt par les maîtres. 160 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. tantôt par les Unions, ce système, fort ancien, subsiste encore dans beaucoup de mines, et est en somme avantageux aux deux parties : elles y trouvent une assurance, Tune contre Télévation subite des salaires, funeste aux con- trats à longue échéance, T autre contre les chô- mages forcés, qui la plongent dans la misère. En suivant le développement des Unions dans cette industrie, nous montrerons en même temps les divers objets qu'elles se sont proposé d'atteindre, et tout ce qu'elles ont accompli pour l'amélioration de l'existence des mineurs. C'est en Ecosse qu'elles se sont d'abord for- mées. Nous en avons dit assez pour qu'on se figure la misérable condition dans laquelle elles trouvèrent les ouvriers des houillères; et l'on pouvait cependant la considérer déjà comme un grand progrès sur ce qu'elle était quelque temps auparavant. Jusqu'en 1779, ce fut en effet un véritable servage. Obligés par la loi de travailler dans les puits tant qu'il plaisait au propriétaire de les y garder, les mineui^s étaient de fait vendus avec le L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 161 fonds d'exploitation : s'ils allaient s'engager ailleurs, leur maître pouvait toujours Jes faire reprendre, et ils étaient fouettés comme vo- leurs pour lui avoir dérobé leur propre tra- vail. Modifiée en 1779, cette loi ne fut défini- tivement rapportée que par les actes de 1797 et de 1799 ; mais les abus dont les ou- vriers étaient les victimes ne disparurent pas tous de ce coup : les lois contre les coalitions étaient en pleine vigueur, des Truck-shops furent établis partout, et, pour obliger leurs ou- vriers à y venir acheter à crédit, les maîtres ne les payaient qu'à des termes fort éloignés (1). (1) Depuis rinterdiction des Truck-shops, ce payement à long terme a donné lieu à un autre genre d'abus, dont encore au- jourd'hui les ouvriers se plaignent amèrement : c'est un sys- tème de prêts usuraires. Quand, par exemple, un travailleur gagne 3 livres sterl. (75 fr.) dans sa quinzaine, il peut, quoi- qu'il ne soit payé que le quinzième jour, se considérer, dès la fin de la première semaine, comme le légitime propriétaire d'une livre et demie. Mais, si alors, sur cette somme qui lui appartient, il veut toucher une livre sterl., oij lui fera signer, dans certaines usines, un reçu d'une livre sterl. et un shilling. Ce shilling représentera l'intérêt de l'avance de la livre qu'il a déjà bien dûment gagnée : ce qui revient à lui prendre 5 pour 100 par semaine, c'est-à-dire à lui prêter, en admettant que ce soit un prêt, au taux de 260 pour 100 par an. 162 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Dans les galeries souterraines s'entassaient les femmes et les enfants ; ces derniers étaient privés de toute instruction; le travail se prolongeait parfois plus de seize heures sur vingt-quatre; enfin aucune garantie n'existait pour l'assainissement et la sécurité des mines. Aussi les sociétés secrètes, formées dès avant l'émancipation, se consolidèrent -elles : elles finirent même par braver la loi. L'Union des mineurs du Lanarkshtre était publiquement tolérée depuis 1817, et son exemple ne fut pas sans influence sur Tacte de justice qui abolit le délit de coalition en 1824. Dès qu'il fut accompli, ces associations se mirent à atta- quer les coutumes, antiques débris du servage, qu'elles considéraient justement comme fu- nestes à la situation de l'ouvrier, et elles cher- chèrent à intéresser l'opinion publique à leur cause. On ne pourrait, sans exagération, attri- buer à la seule influence des sociétés tout ce que l'Angleterre a fait pour extirper ces abus et améliorer la condition des mineurs ; mais il est certain que par leur persévérance à défendre leurs légitimes intérêts, soit devant le public L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 163 en général, soit devant les commissions parle- mentaires^ elles ont hâté la législation dont les effets bienfaisants se font enfin sentir. Elles ont eu à vaincre la force de la tradition, Taversion, fort sage ordinairement, du peuple anglais pour toute réglementation légale, et enfin l'opposition d'un trop grand nombre de maî- tres. Tandis qu'elles poursuivent cette œuvre, tantôt par des pétitions au Parlement, tantôt par des grèves, elles soutiennent aussi d'autres luttes, parfois longues et acharnées, soit pour élever les salaires, soit pour en combattre l'abaissement, soit pour défendre leur propre existence. Mais on ne peut les accuser d'avoir introduit ou répandu parmi les ouvriers r habitude des grèves, car nous verrons les plus violentes et les plus persistantes éclater là où les Unions n'ont jamais existé ; et, en revanche, elles ne sont restées étrangères à aucune des améliorations sociales que notre siècle a eu Thonneur d'assurer à la classe des mineurs anglais. Leurs premiers eflTorts furent couronnés de succès. Elles obtinrent une enquête du Parle- 164 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ment sur les Truck-shops, qui aboutit à une loi proposée aux Communes par Lord Ashley (aujourd'hui Lord Shaftesbury), et votée en 1831, par laquelle cette pratique usuraire fut absolument interdite. C'est dans cette même année 1831 que les mineurs anglais usent pour la première fois du droit de se coaliser; mais ce n'est qu'une ligue temporaire, et les Unions ne paraissent pas avoir existé parmi eux comme parmi les Ecossais. Ils veulent obtenir la réduction des longues journées de travail (1). Un ouvrier nommé Tomy Hepburn, homme doué d'une rare intelligence et de tous les dons qui dési- gnent un chef à la multitude, se met à leur tête. Trente mille ouvriers sont en grève dans (1) Quoique le travail soit payé à la tâche, la discipline indispensable dans une mine exige que le nombre d'heures de travail y soit fixé. Dans celles où l'on ne travaille pas conti- nuellement, le service des transports dans les galeries et des machines d'extraction doit fonctionner un certain nombre d'heures, et si le mineur quitte son travail auparavant, c'est une perte nette pour le propriétaire. Dans celles où l'on tra- vaille sans interruption, il faut que chaque ouvrier sache à quelle heure il devra aller remplacer celui qu'il relaye dans l'exploitation d'une galerie. ^ L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 165 le Durham et le Northumberland : après beau- coup de souj&ances, ils finissent par rempor- ter, et la journée de travail est réduite à douze heures. Cette réduction fut un égal bienfait pour les ouvriers qui Tavaient demandée et pour les maîtres qui s'y étaient opposés : le tra- vail devint plus assidu et le rendement des mines augmenta. Cependant, encouragés par leur succès, les ouvriers ne s'en tinrent pas là : ils réclamèrent un accroissement considé- rable de leurs salaires. En vain Hepburn les en dissuade-t-il, ils se mettent en grève ; mais les prévisions de leur chef se réalisent bientôt, et ils sont obligés de céder. Peu de temps après, nous trouvons les Unions du nord de l'Angleterre déjà orga- nisées, et réclamant, de concert avec celles d'Ecosse, l'intervention de la loi contre la mauvaise ventilation des mines et contre l'emploi des femmes et des enfants. En 1834, un comité du Parlement siège à ce sujet, mais se borne à des recommandations, qui furent, à ce qu'il paraît, peu écoutées. En- fin, en 1842, les Chambres, frappées des 166 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. funestes conséquences d'un abus toujours croissant, votent une loi qui interdit absolu- ment le travail souterrain aux femmes et aux enfants au-dessous de douze ans(l). Jusqu'en 1844, sauf une grève peu impor- tante dans le Derbyshire, rien ne vient inter- rompre le travail des houillères. A cette épo- que, les mineurs des comtés de Durham et de Nottingham refusent de se servir, pour descen- dre dans les puits, de nouveaux câbles de fil de fer qui ne leur inspirent pas la même con- fiance que leurs vieilles cordes de chanvre. Une fois la grève commencée, ils renoncent à cet objet, mais la continuent pour obtenir le maintien du système des contrats an- nuels, auxquels, après quatre mois de chô- mage, les maîtres finissent par les obliger à renoncer. Les Unions de ce district ne résistèrent pas à cette crise ; mais cinq ans après elles (1) Avant cette loi, les femmes employées dans les houil- lères d'Ecosse étaient obligées de monter depuis le fond de la mine jusqu'à la surface, par des échelles droites et glissantes, avec cent kilogrammes de charbon chargés sur les épaules* L'EXPLOITATION DÉ LA HOUILLE. 167 se réorganisent et reconîmencent la lutte en 1849. Instruits par Texpérience, les ou- vriers ne s'en prennent qu'à une seule mine à la fois, et, pour l'obliger à céder, tous ceux qu'elle emploie, au lieu de se mettre en grève, réduisent graduellement leur travail de ma- nière à ne gagner que 3 shillings (3 fr. 75 c), puis 2 shillings (2 fr. 50 c), et enfin 1 shilling (1 fr. 25 c.) seulement par jour. Par ce sys- tème, dit de restriction, le rendement de la mine tombe à presque rien, tandis que tous les frais généraux d'exploitation demeurent les mêmes; et les mineurs, subventionnés par leurs camarades, s'opposent, par ce travail purement nominal, à ce que d'autres puissent les remplacer. La houillère de Marley Hill fut frappée de cette sorte d'interdit : les direc- teurs, ne voulant pas demeurer plus long- temps dans cette situation, congédièrent rigoureusement tous leurs ouvriers, les ex- pulsèrent des maisons qu'ils leur louaient aux environs, et firent venir des mineurs d'Ecosse pour travailler à leur place. Ces mesures réussirent, et, après avoir tenté 168 LES ASSOGÎATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. inutilement de s'y opposer, les anciens ou- vriers de la houillère furent dans la nécessité de demander à y rentrer, en renonçant à Tac- croissement de salaire qu'ils avaient réclamé. A partir de ce moment, les grèves devien- nent de plus en plus fréquentes, même là où les Unions ont encore peu de pouvoir. Ainsi, dans le district de Leeds, où celles-ci ne comptent que deux mille membres sur sept mille ouvriers, la lutte éclate en 1853, toujours pour la même cause, entre MM. Pope & Pearson et leurs ouvriers. Les premiers sont soutenus par leurs voisins, les seconds persistent, et l'emportent au bout de cinq mois. Durant Tannée 1855, nous comptons douze grèves dans le Durham. Elles sont aussi fréquentes en Ecosse, et l'une d'entre elles, dans le Lanarkshire, commencée en 1856, ne dure pas moins de treize mois : elle se termine à l'avantage des maîtres. C'est de nouveau dans le district de Leeds que se re- portent les hostilités en avril 1858. Tous les ouvriers se sont coalisés et ont formé une L'EXPLOITATION DE LÀ HOUILLE. 169 Union (1) pour soutenir leurs camarades de la grande houillère de M. Briggs; celui-ci est à son tour appuyé par ses confrères, qui prononcent un lock ont. Au bout de deux mois, lorsque les ouvriers ont perdu un mil- lion par leur chômage, on finit par où l'on aurait du commencer, on transige : les maî- tres voulaient réduire les salaires de 1 5 pour 100, les mineurs voulaient les conserver au taux où ils étaient; on convient de les dimi- nuer de 7 et demi pour 100. Ils ne tardèrent pas à s'élever de nouveau ; mais cela n'empêcha pas la lutte de recom- mencer bientôt sur un autre sujet. Il s'agis- sait cette fois de résister à ce que les ouvriers appellent la confiscation ^ usage contre lequel ils ne cessent de protester, et qui, plus que tout autre peut-être, envenime leurs rapports avec les propriétaires. Toutes les fois qu'une caisse de houille, arrivant à la surface, se trouve ne pas avoir le poids voulu, ou qu'elle contient une certaine quantité de terre ou de (1) Cette Union prit le nom d'Association des mineurs du Yorkshire méridional, 10 170 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. pierre mêlée au charbon, on en verse le contenu au magasin sans l'inscrire au compte du mineur qui Ta extrait, ni lui rien payer pour son travail. Les ouvriers affirment qu'il suffit d'un seul morceau de charbon tom- bant dans le parcours des galeries pour faire prononcer cette confiscation, et que souvent même elle a été appliquée, par suite d'er- reurs plus ou moins volontaires, à des caisses qui avaient le poids voulu, si bien que, par ce procédé, certaines houillères arrivent à faire extraire gratis plus d'un douzième du charbon qu'elles produisent. C'était pour obtenir l'abo- lition de ce système, nécessaire peut-être dans certains cas, mais dont ils ressentaient vive- ment les abus, qu'ils s'étaient mis en grève. Tous les maîtres du district se coalisèrent pour le défendre, et répondirent par un nouveau lock out : dix-huit houillères fiu'ent fermées à la fois, laissant plus de dix mille ouvriers sans ouvrage. Mais cette mesure rigoureuse n'empêcha pas les mineurs d'obtenir à la fin satisfaction pour tous leurs principaux griefs. Cependant le système des Unions se fortifie L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 171 et se développe parmi les houillers : c'est l'époque à laquelle il s'établissait aussi, comme nous l'avons vu, dans l'industrie du fer. En 1862, une partie considérable des mineurs employés à l'exploitation des riches gisements qui s'étendent entre Liverpool et Manchester, particulièrement près des villes de Wigan et de S.-Helens, formèrent l'asso- ciation des mineurs du Lancâshire méri- dional, à l'instar de celle qui s'était fondée à Leeds quatre ans auparavant. L'année suivante, cette dernière ville vit s'assembler dans son enceinte des délégués de presque toutes les sociétés de mineurs anglais; les Unions écossaises, déjà réunies, y furent re- présentées par M. M*' Donald; et une grande société, dont celui-ci fut élu président, se forma sous le nom d'Association nationale des mineurs^ La propagande unioniste en reçut une grande impulsion. Dans le York- shire, devenu son centre, la nouvelle société trouva les esprits particulièrement disposés à la lutte, et elle ne fut que l'occasion d'une explosion d'hostilité entre les maîtres et les 172 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ouvriers, préparée par une longue série de griefs réciproques. Des agents de TUnion, parcourant les dis- tricts où elle n'avait pas encore d'adhé- rents, adressaient aux ouvriers des harangues passionnées, où ils peignaient des couleurs les plus vives tous les torts, vrais ou faux, des maîtres à leur égard, et leur présentaient l'ad- mission dans l'Union comme un remède infail- lible à tous leurs maux. Deux d'entre eux, MM. Brown & Pickles, qui ont l'un et l'autre comparu devant la Commission, se distin- guaient par la vivacité de leurs paroles. Tout en ce moment-là était matière à querelles. Tantôt les maîtres voulaient obliger les ou- vriers à trier dans la mine même la houille récemment extraite, et à charger dans des caisses les gros morceaux aussi bien que le menu charbon formé par leurs éclats. Tantôt ils confisquaient les caisses de charbon, pour peu qu'il manquât quelque chose à leur poids. Ce dernier grief était devenu si grave, que le Parlement avait fait une loi établissant comme contrôleur du pesage un ouvrier de la L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 173 mine nommé par ses camarades et payé con- jointement par eux et les propriétaires. Plu- sieurs maîtres l'avaient éludée en renvoyant de leur service l'ouvrier désigné pour ces fonctions, aussitôt après son élection, et en lui interdisant alors les approches de la mine, sous prétexte qu'il n'appartenait plus à l'établisse- ment. Traité de la sorte, un de ces contrô- leurs, M. Normansell, aujourd'hui président de rUnion du South-Yorkshire, maintint son droit. 11 se fit chasser dix-huit jours de suite de l'entrée de la mine où il venait occuper son poste, en appela aux tribunaux, passa de juri- diction en juridiction, et, amenant ses anciens maîtres jusque devant la Cour du Banc de la Reine, les obligea à le réintégrer dans ses fonctions (1). Les maîtres, de leur côté, se préparaient à la lutte et s'étaient coalisés, formant entre eux une véritable Union, sous la présidence de l'un (1) Nous citerons enfin, comme derniers sujets de plaintes de la part des ouvriers, le renvoi de la plupart des chefs des Unions, et la contribution imposée à tous les mineurs pour l'en- tretien d'un médecin, qu'ils ne choisissaient pas. 10. 174 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. d'eux, M. Briggs. Ce fut précisément chez lui que commencèrent les hostilités en 1 863 : ses ouvriers refusèrent d'accepter le système du triage du charbon. Décidé à briser leur résis- tance et les Unions, qu'il accuse de fomenter les grèves, il fait venir des comtés voisins des mineurs pour remplacer ceux qui Tout quitté. Ces derniers accueillent les nouveaux venus avec une sourde hostilité, qui ne demeure pas longtemps contenue, malgré les louables eflTorts de quelques-uns de leurs chefs. Elle éclata à propos de l'expulsion en masse des anciens locataires des maisons dépendant de la mine. Dans la nuit du 24 au 25 septembre, les ouvriers étrangers qui y avaient été in- stallés furent attaqués, et il s'ensuivit une émeute sérieuse, que la police eut beaucoup de peine à réprimer. Mais cet acte de violence était le dernier effort des plus passionnés parmi les ouvriers en grève : ils furent con- traints de s'avouer vaincus, de renoncer à leurs demandes, et de consentir à travailler à côté des ouvriers non-unionistes. Ils se promettaient bien de prendre leur revanche à la première L'EXPLOITATION DE LA HODILLE. 175 occasiou : nous verrons plus loin de quelle manière MM. Briggs les en empêchèrent et les désarmèrent comme par enchantement. Les Unions grandissaient cependant par persuasion et par intimidation dans les houil- lères du Durham, et s'efforçaient d'obtenir le redressement des griefs des mineurs ; les maî- tres ne voulaient pas tolérer leur intervention. De là des dissensions à tout propos, tantôt au sujet de la confiscation, tantôt à cause des salaires. Les ouvriers emploient le système de la restriction; les maîtres répondent par un lock ont. A la mine de Braucepeth, une qua- rantaine de familles d'ouvriers unionistes sont expulsées des cottages que les propriétaires leur louaient aux environs des puits. Ces mai- sons étant demeurées inhabitées, les mineurs virent dans ce procédé une persécution gra- tuite, et l'arrivée d'ouvriers étrangers mit le comble à leur irritation. La police, quoique renforcée par des spécial constableSy ne put prévenir l'explosion de rixes nombreuses, et le séjour du district finit par devenir intolé- rable aux nouveaux venus. Satisfaits d'avoir 176 LES ASSOCIATIONS OGVKIÊRES EN ANGLETERRE. écarté ces concurrents, les anciens ouvriers reprirent leur travail ordinaire, sans insister sur leurs premières demandes ; ils n'auraient pu d'ailleurs prolonger la lutte, car ils avaient dépensé leurs fonds, et perdu, en salaires, 32 000 Uvres sterl. (800 000 fr.). Avec l'année 1864, la lutte prend un autre caractère dans le South Yorkshire, où elle venait d'être si vive. Cette fois, l'Union n'y est pour rien : c'est malgré son avis que les mineurs d'Oaks et de ThomcliflFe se mettent en grève ; elle refuse de les soutenir, et ils la quittent pour y persister. Mais les maîtres n'en profitent pas pour restreindre la lutte : ils se coalisent de nouveau et ferment toutes les houillères des environs. Ce n'est que lorsque trois mille ouvriers, dont un tiers à peine étaient unionistes, sont ainsi congédiés, que l'Association se décide à résister pour obtenir la révocation d'une pareille mesure. Elle y réussit : au bout de dix-neuf semaines, les propriétaires de la mine d'Oaks sont aban- donnés par leurs coassociés ; et Tannée sui- vante elle recueillit les fruits de cette résis- L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 177 tance opportune. En eflfet, ayant alors réclamé un accroissement de salaires de 10 pour 100, justifié par la prospérité du commerce houil- 1er, elle vit plusieurs maîtres, non-seulement le lui accorder, mais se liguer avec elle pour obliger les autres à faire la même concession. Les maîtres qui résistèrent furent frappés de restriction y leurs ouvrieï*s réduisirent leur travail à 3 shillings (3 fr. 75 c.) par jour, et la mine de Thorncliffe ayant congédié les siens, ses compétiteurs soutinrent par leurs souscriptions les ressources afiaiblies de rUnion, si bien que celle-ci, après avoir dé- pensé 5000 livres sterl. (125000fr.), finit par l'emporter, et obtint l'élévation des salaires, le payement hebdomadaire, et la reconnaissance officielle de T Union par le petit nombre de propriétaires qui avaient jusqu'alors refusé de traiter avec ses représentants. Ailleurs elle n'est pas aussi heureuse, et c'est en vain qu'elle s'efforce de s'établir dans les cinq houillères voisines de Chesterfield (Derby- shire). Le directeur de la mine de Staveley, M. Markham, a résolu de s'y opposer, A peine 178 LES ASSOCIATIONS OUYBIÈRES EN ANGLETERRE. les ouvriers du district, au nombre de sept à huit mille, se sont-ils réimis pour délibérer de la formation d'une société, qu'il donne congé à tous ceux qui ont organisé le meeting, et il menace du même sort tous ceux qui assiste- ront aux réunions où les délégués de l'Union se feront entendre. La plupart de ses trois mille ouvriers le quittent alors spontanément, et, au bout d'un mois et demi, les travaux sont presque abandonnés. Mais il ne se tient pas pour battu, et attaque l'Union avec ses propres armes. Opposant les meetings aux meetings, les discours aux discours, il réussit à orga- niser parmi les ouvriers un parti anti-unioniste, qui se recrute d'autant plus facilement parmi les moins résolus, que, la grève s'étendant à tout le district, ceux qui y ont *pris part ne reçoivent aucun secours et sont réduits à la dernière misère. L'occasion s'offre enfin de porter un coup décisif : les nouveaux adversaires de l'Union reçoivent en présent de la viande et de la bière ; ils organisent un grand repas et y convient leurs camarades. Cette scène est décrite en quelques mots par L'EXPLOITATION DE LA HOOILLË. 179 Tun d'entre eux (i). «Trois ou quatre cents » hommes^ dit-il, restés fidèles à l'Union, » s'en allaient par le pays, Testomac vide. » Quand ils virent le bœuf, ils se sentirent dis- » posés à l'avaler, s'il se pouvait, tout entier : » ils arrivèrent tous, en eurent leur part, » et retournèrent au travail le lendemain » matin. — Et, lui demande-t-ori, le dîner » a-t-il été pour quelque chose dans la » dissolution de l'Union? — Il a eu le » meilleur eflfet », répond-il naïvement. Il disait vrai ; car l'Union fut abandonnée pour le moment, et M. Markham finit par repren- dre l'exploitation de la mine avec quinze cents ouvriers. D'autres moyens sont employés en 1867, dans la partie méridionale de ce comté, où la grève a commencé de la même manière- La propagande des agents unionistes a amené (1) M. Henshaw (Q. 13801, volume VI), qui raconte lui- même avoir été choisi avec quelques camarades par les agents de la compagnie pour se présenter devant la commission^ comme type de la fraction des mineurs hostile à l'Union < Leurs dépositions donnent la mesure de leur sagacité; 180 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. une coalition de maîtres, qui ont congédié tous les ouvriers affiliés à la société. Cette déci- sion a fait naître une profonde agitation : les mines se sont dépeuplées, et les rares travail- leurs qui s'y aventurent encore sont assaillis par leurs camarades, qui les appellent cr su- ceurs de sang », et qui, armés de bâtons, for- ment autour d'eux des attroupements mena- çants. Aucune transaction n'était possible, dans une lutte où il s'agissait de l'existence même des Unions : aussi s'envenimait-elle de jour en jour, et la police ne put-elle pas toujours prévenir de graves désordres. L'exploitation de la houille était absolument interrompue : ceux qui avaient fait grève avaient persuadé à des ouvriers appelés pour les remplacer de s'en retourner chez eux, en leur payant large- ment leur voyage. Les propriétaires des houil- lères de Gresley Wood et de Swadlincote, pour se procurer d'autres mineurs, louèrent des trains spéciaux, qui, évitant les stations surveillées par les unionistes, débarquèrent les nouveaux venus au milieu de la campa- gne, dans des lieux isolés, d'où on les amenait L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 181 secrètement jusqu'à la mine. Ce moyen réus- sit , et les anciens ouvriers reprirent leur tra- vail en abandonnant T Union. C'est au commencement de 1868 que sié- geait la Commission, et déjà cette année avait été marquée par plusieurs grèves : Tune en janvier, chez Lord Vemoii (cette fois les mi- neurs avaient accepté, au bout d'un mois, une réduction de salaires); l'autre dans le comté de Lancastre, où ils avaient résisté à la même mesure, ce qui avait amené des désordres plus graves que tous ceux que nous avons vus jusqu'à présent. Le district qui s'étend entre les petites villes de Wigan et de S. Helens est aussi riche que bien exploité : une seule mine, celle de la « Wtgan Iron and Coal O » , emploie 9000 ouvriers et produit annuelle- ment 1 750 000 tonnes de charbon. Le prix de la houille ayant baissé, les maîtres consi- déraient la réduction de 1 5 pour 1 00 sur les salaires comme tellement nécessaire, qu'ils auraient mieux aimé fermer leurs mines que d'y renoncer. Cette fois encore les chefs de 11 182 LES ÀSSOGIATiONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. rUniou (1) donnèrent une preuve de leur dairvoyance en conseillant aux ouvriers d'ac- cepter cette réduction : Tun d'eux, M. Pic- kard, qui cependant ne pouvait leur être sus- pect, car il s'était toujours fait remarquer par la vivacité de son langage , chercha en vain à leur prouver les suites funestes de la résis- tance. On ne Técouta pas, et les sociétés locales de Wigan et de S. Helens, rebelles à l'auto- rité centrale, ne voulurent pas même entendre parler d'une transaction. Les ouvriers plus sensés qui n'avaient pas voulu se mettre en grève furent molestés de toutes manières, surtout lorsqu'on vit se joindre à eux des tra- vailleurs étrangers au district. En dépit de tous les efforts des chefs de l'Association du South Lancashire, les mineurs en grève, au nombre de quinze cents, parmi lesquels unio- nistes et non-unionistes s'étaient confondus, s'emparent deâ établissements de la Wiyan Company j et les occupent pendant plusieurs jours. Ils en auraient détruit toutes les ma- (1) Gomme nous Payons dit plus haut, elle était établie depuis 1862« L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 183 chines sans Tinter vention, si rare en Angle- terre, de la troupe de ligne. Un détache- ment de quarante soldats et de soixante po- licemen fut une nuit attaqué à coups de pierres près de la mine d'Edge Green, et eut beaucoup de peine à disperser les émeu- tiers. Ces troubles continuaient au moment où nous trouvons la Commission en séance, recevant les plaintes des deux partis encore échauffés par l'ardeur de cette lutte déplo- rable. Les maîtres accusent non-seulement l'hostilité des ouvriers, mais la longanimité, ils disent la faiblesse, des magistrats char- gés de maintenir l'ordre, et la connivence des chefs des Unions. Ceux-ci, au contraire, affirment avoir tout tenté, jusqu'à compro- mettre leur influence, pour faire prévaloir la modération, et apaiser des passions qu'ils reprochent aux maîtres d'avoir provoquées et irritées par leur conduite antérieure. Quoi qu'il en soit^ il ressort clairement de cette discussion qu'on ne peut imputer aux Unions aucun des torts dont les ouvriers se rendirent coupables en cette circonstance* ISA LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Malgré toutes ces luttes, F accroissement des salaires des mineurs depuis quarante ans n'est pas égal au renchérissement de tout ce qui est nécessaire à la vie, et, par conséquent, il se trouve qu'en réalité leur gain est relati- vement moindre aujourd'hui qu'autrefois. On ne saurait donc reprocher aux Unions d'avoir cherché à élever le prix de la main-d'œuvre, si, comme l'affirment leurs défenseurs, ces efforts n'ont pas été stériles et si elles ont réel- lement contribué à assurer à l'ouvrier une meilleure rémunération de son travail. Elles ont été organisées parmi les houillers sur le même modèle que celles que nous avons déjà étudiées. V Association nalionale, formée à Leeds en 1 863, compte 35 000 mem- bres : c'est une simple confédération des Unions établies dans les différents districts, et qui toutes ont leurs budgets et leurs sta- tuts particuliers. Aussi ne lève-t-elle chaque mois qu'un penny par membre, laissant à ces sociétés locales la gestion indépendante de leurs affaires. Elle se propose seulement de donner à leurs efforts une direction générale, L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 185 lorsqu'il s'agit d'obtenir des lois plus favo- rables au mineur, de protéger les droits et de soutenir les réclamations de chaque membre, et enfin de faire réduire la journée de travail, qui devrait, d'après elle, être limitée à huit heures. Dans les grèves, elle n'exerce qu'une action indirecte : ce sont les Unions locales qui les décident et en font les frais. Son rôle n'en est pas moins très-considérable, et, pour le prouver, M. M^ Donald raconte à la Com- mission que, depuis sept ans qu'il est pré- sident, d'abord de la Société écossaise^ puis de cette Association nationale^ il a pris part à 1600 réunions, parcouru 230 000 milles (près de 100 000 lieues), et écrit dix-sept mille lettres. Les Unions de district sont par- fois elles-mêmes des corps très-puissants. Ainsi l'Association du Yorkshire méridional, fondée eu 1858, se subdivise en quarante-huit bran- ches et compte 7000 membres, qui payent une entrée de 10 shillings (12 fr. 50 c.) et une quote-part hebdomadaire de 9 pence à 1 shil- ling (93 c. à 1 fr.). Celle du Lancashire, formée en 1 862 , se compose aussi de 7000 membres ; 186 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. elle lève sur eux une contribution semblable de 9 pence (93 cent.), et donne 9 ou 10 shil- lings (t î fr. 25 c. ou 1 2 fr. 50 c.) par semaine aux ouvriers en grève; elle leur assure en outre 5 ou 6 livres sterling (1 25 fr. ou 1 50 fr.) pour leurs ftmérailles (1). De leur côté, les propriétaires ont cherché à combattre côtte puissance nouvelle, soit en se coalisant entre eux, soit en fondant des associations ouvrièl^es patronnées et dirigées par eux. Nous avons vu ces coalitions à l'œu- vre dans toutes les grèves importantes qu'ils ont eu à soutenir, assurait l'appui commun aux maîtres attaqués, frappant parfois d'in- terdit les associations de leurs adversaires, fermant l'entrée des mines à tous ceïix qui s'y étaient affiliés, et les empêchant par leur in- fluence de trouver un ouvrage quelconque- Elles ont même adopté le système des bhdk lisiSj ou listes d'exclusion, et la Commission a eu entre les mains une circulaire adressée (1) Les Unions des mineurs écossais réservent leurs fonds exclusivement pour les grèves. L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 187 par le secrétaire de Tune de ces associations à tous les maîtres qui en faisaient partie, pour leur recommander de n'employer sous aucun prétexte les ouvriers désignés comme unio- nistes. Les sociétés de secours mutuels fon- dées par certains industriels pour balancer l'influence des Unions semblent fort bonnes et bien administrées ; mais les ouvriers leur re- prochent avec raison de s'imposer d'une ma- nière plus despotique encore que les Unions, dont on accuse l'intolérance. En effet, dans certaines mines, ces sociétés sont soutenues, non par des cotisations volontaires, mais par une retenue faite d'autorité sur tous les sa- laires, et les ouvriers qui quittent la mine spontanément, ou qui sont congédiés, perdent tout droit aux avantages que leurs souscrip- tions semblaient leur garantir. C'est donc entre les mains du directeur un moyen d'ag- graver la peine du renvoi, en y ajoutant indi- rectement une amende pécuniaire, qui peut être considérable (1). (1) Il faut citer aussi la Société, assez insignifiante d'ailleurs, dite du travail libre, qui n'est pas limitée à Tindustrie mi- 188 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Nous avons dû, pour suivre l'histoire des grèves, laisser un moment de côté les eflForts que les Unions ne se lassaient pas de faire pour obtenir la protection de la loi contre les abus mentionnés plus haut. Une fois les heures de travail diminuées, une fois le labeur sou- terrain interdit aux femmes et aux enfants, les associations de mineurs s'occupèrent particu- lièrement des garanties de sécurité indispen- sables dans une houillère. Le nombre même des victimes que les acci- dents y font encore, malgré toutes les précau- tions qu'on peut prendre pour protéger la vie des mineurs, prouve combien ces pré- cautions sont nécessaires. Aussi maîtres et ouvriers s'en préoccupent-ils constamment. Ils cherchent surtout à prévenir l'explosion du feu giîsou. L'admirable invention de Sir Humphrey Davy, qui enveloppe les lampes des mineurs d'un grillage impénétrable au gaz inflammable, est un palliatif fort utile, mais nière : sorte de bureau de placement où viennent s'inscrire les ouvriers sans ouvrage et où s'adressent les maîtres qui ont besoin de travailleurs. L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 189 auquel on ne doit pas se fier aveuglément. En effet, on a vu des mineurs briser la ferme- ture scellée de leur lampe pour la rallumer, d'autres emporter des briquets dans leur poche ; on a vu des lampes mettre le feu au gaz soit en se brisant par terre, soit en chauf- fant au rouge leur enveloppe métaQique. Toutes les mesures de sécurité doivent donc être prises et maintenues aussi strictement que si la lampe Davy n'existait pas (1). 11 faut une puissante ventilation pour emporter constamment le gaz délétère ; il faut, plus en- core peut-être, une surveillance infatigable, pour empêcher les imprudences des ouvriers, et pour prévenir les accidents aussitôt que la présence du gaz se révèle. Les maîtres accusent les Unions de les entraver dans cette surveillance, où ils n'admettent aucun con- trôle, par l'esprit d'indépendance qu'elles développent. Les mineurs reprochent, au contraire, aux maîtres de négliger bien des (1) On sait que cette lampe a été singulièrement perfec- tionnée, ce qui n'empêche pas que les précautions ne soient toujours nécessaires. 11. 190 LES ASSOCIATIONS OUVKIÈRES EN ANGLETERRE. précautions essentielles, et particulièrement de se reposer trop exclusivement sur la lampe de sûreté, compromettant ainsi plus d'une précieuse existence. Comme nous Tavons dit, les Unions avaient obtenu, dès 1834, qu'un comité parlemen- taire s'occupât de cette question. A leur solli- citation, elle fut reprise, en 1850, et, après une enquête dirigée par lord WharnclifFe, une loi fut votée qui créait des inspecteurs officiels chargés spécialement de contrôler les conditions sanitaires des mines, donnant par là implicitement raison aux plaintes des associations. Mais le nombre et les pouvoirs de ces inspecteurs étaient trop restreints pour que leur action pût être efficace. Les Unions pétitionnèrent encore : un nouveau comité siégea en 1852 et 1853, et une loi plus com- plète fut votée en 1 855. Les ouvriers n'y trou- vèrent cependant pas encore la satisfaction de leurs vœux : les inspecteurs ne pouvaient venir à tout instant examiner la mine, et se bornaient à des tournées trop rares, disait-on, pour être vraiment utiles. Persuadés d'ail- L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 191 leurs que rinsouciance et Timprévoyance du mineur, causes de tant d'accidents, venaient de son ignorance, les représentants des diffé- rentes Unions proposaient un système d'in- struction obligatoire, et, apportant au Parle- ment une pétition couverte de plus de cin- quante mille signatures, ils demandaient qu'une contribution fut levée sur leurs pro- pres salaires pour appliquer ce système, ne mettant d'autre condition à ce sacrifice que d'être suffisamment représentés dans le con- seil de direction. Une loi conforme à cette proposition fut préparée par un homme d'Etat sage et libéral, dont l'Angleterre ressent encore la perte, Sir G. Corne wall Lewis; mais elle rencontra une vive opposition : on y vit une législation d'exception, et les clauses les plus importantes en furent rejetées par les Communes, qui ne conservèrent que des pres- criptions insignifiantes pour faciliter l'éduca- tion des mineurs. Aussi les Unions continuè- rent-elles leurs sollicitations. U Association nationale des mineurs , déjà en instance de- vant le Parlement pour f^ire abolir la loi 192 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. dite du « Maître et du Serviteur» (1), dont les délégués des Unions de tous les métiers demandaient le rappel, obtint, en même temps que cette loi était abrogée, qu'un comité de la Chambre des communes exami- nerait de nouveau la question de Tinspection des mines et de l'éducation des mineurs. Ce comité a présenté un rapport très-favorable aux propositions des ouvriers, et la session de 1869 sera certainement marquée par une nouvelle loi sur ce sujet. On reconnaîtra, après cet exposé, que, d'une part, les Unions ne sont pas responsables des principaux actes de violence dont les de- mandes d'élévation des salaires ont été l'oc- casion, et que, d'autre part, elles ne se sont pas exclusivement préoccupées de cette élé- vation. Elles ont tenu à honneur de montrer, dès les premières années de leur existence, comment elles comprenaient leur rôle en dehors des grèves qu'elles ont eu à soute- nir, et leurs devoirs vis-à-vis de la classe (1) Voyez ci -dessus, page 3/i. L'EXPLOITATION DE LA HOUILLE. 193 ouvrière qui leur avait confié le soin de ses intérêts. Si, dans leur carrière nécessairement si agitée, elles ont commis quelques erreurs, ne les ont-elles pas bien rachetées par leurs persévérants efforts pour améliorer la situa- tion du mineur? CHAPITRE VII I. LA CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. L'industrie des bateaux de fer a conquis aujourd'hui la première place dans les con- structions navales de TAngleterre, et elle est venue naturellement se proposer aux études de la Commission, à la suite des usines où le métal est travaillé, et des mines qui four- nissent le charbon pour le fondre. C'est sur les bords de la Tamise, de la Mersey et de la Clyde, dans les faubourgs de Londres, à Millwall et dans l'Ile des Chiens, à Liverpool et à Birkenhead, à Glasgow et à Greenock, que se trouvent les principaux chantiers du Royaume-Uni. Des carcasses, bâties en fer forgé, et parfois maintenant en acier, et re- LA CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 495 couvertes de feuilles de tôle, remplacent avan- tageusement pour l'Angleterre, riche en fers, pauvre en forêts, les vieilles coques de bois. C'est des chantiers du « Thames Iran Ship- building C^ » que sont sortis, d'abord le Great'Eastern^ puis quelques-uns des plus beaux vaisseaux cuirassés de la flotte anglaise ; c'est là que s'approvisionnent la plupart des marines secondaires de l'Europe : la perfec- tion des lignes, la solidité de construction dis- tinguent les produits de l'Ile des Chiens. Les frères Laird, sur la Mersey, ont surtout la spécialité des navires de guerre à tourelles, et ne connaissent pas de rivaux dans ce genre en Angleterre. Des rives de la Clyde viennent les bâtiments à la marche rapide, les célèbres paquebots de la Compagnie Cunard, par exemple, et leurs dignes rivaux de notre Compagnie transatlantique ; c'est du fond de la rivière écossaise que partaient ces navires, où tout était sacrifié à la vitesse, connus sous le nom de Blockade-runners, qui, déjouant les croisières fédérales, ont, pendant la der- nière guerre d'Amérique, fait un commerce 496 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. si lucratif avec les États esclavagistes. Le gouvernement anglais, quoiqu'il donne de plus en plus ses commandes à l'industrie pri- vée, emploie encore, lui aussi, un grand nombre d'ouvriers dans ses arsenaux de Portsmouth, de Devonport et de Chatham. Le travail à la journée est généralement adopté dans cette industrie, excepté dans presque tous les chantiers de la Tamise, où ce système est combiné avec celui de la tâche. Voici comment : tantôt un shipwrighty ouvrier supériem», prend tel travail à l'entreprise, et paye ensuite à la journée les ouvriers qu'il emploie. Tantôt ce sont quelques ouvriers qui s'associent pour faire cet ouvrage à un prix stipulé dans le contrat qu'ils signent avec le constructeur; tant qu'ils travaillent, un à-compte leur est donné chaque semaine sur ce prix, à un taux fixe de tant par jour, et, la besogne finie, ils partagent le reste. Tantôt enfin, le contrat n'est signé que par un petit nombre d'ouvriers, qui, comme le shipwright, payent les autres à la journée, se réservant pour eux seuls de partager les bénéfices de LA CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 197 Tentreprise ou d'en supporter les pertes. Dans l'un et l'autre cas, les ouvriers se tarifent au- jourd'hui eux-mêmes pour les à-compte de sa- laires, accordant à l'un 5 shillings (6 fr. 25c.), à l'autre 5'^ 6^ (6 fr. 87 c), à un troisième 6 shillings (7 fr. 50) par jour, selon leurs mérites respectifs. A côté des ouvriers qui construisent les coques des navires, se trouvent ceux qui les achèvent, charpentiers, menuisiers, pein- tres, etc. Quoiqu'ils fassent généralement cause commune avec les travailleurs de la première catégorie, ils ont leurs Unions spé- ciales, analogues à celles de l'industrie des bâtiments, ou sont affiliés aux grandes so- ciétés dont nous avons déjà parlé : nous n'avons pas à y revenir. Les chantiers de la Mersey n'ont connu que des grèves insignifiantes; les constructions navales de la Tamise et de la Clyde nous oflFrent donc seules un sujet d'étude. Divi- sées par une ardente rivalité, l'industrie des faubourgs de Londres et celle de Greenock ont une existence et une histoire tellement 198 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. m distinctes, qu'il convient, croyons-nous, de les séparer ici. Les Unions sont fort anciennes dans la pre- mière : V Union prévoyante des shipwrights de Londres date de 1824. A cette époque, les navires de fer étaient à peu près inconnus; mais, à mesure qu'ils supplantèrent ceux de bois, les ouvriers qui travaillaient aux bâti- ments de l'ancien système passèrent peu à peu au service de la nouvelle industrie. L'iné- gale répartition des bénéfices d'une entre- prise entre ceux qui ont signé le contrat et les autres ouvriers loués par eux à la journée avait depuis longtemps donné lieu à de nom- breuses querelles, et l'Union, en se formant, combattit ce système. Elle se proposa de faire prévaloir celui d'après lequel tous les ouvriers, une fois la tâche achevée, partagent également ce qu'il peut y avoir de bénéfices. Elle y réussit généralement, et, dès 1825, obtint aussi, après une grève pénible, que le prix des contrats, fixé par un tarif, serait calculé sur un taux de 6 shillings (7 fr. 50 c.) pour la journée de travail. Mais, une fois ces con- LA CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 199 ditions assurées, elle eut si peu de luttes à soutenir contre les maîtres (1), que, voyant ses fonds s'accumuler, elle a pu en consacrer une grande peirtie à constituer des secours mutuels en faveur de ses membres. Cette société compte aujourd'hui 1400 membres, et a 1 2 400 livres sterl. (3 1 000 fr .) en caisse. L'année 1851 fut marquée par une grève terrible dans une autre branche de construc- tions navales. Les menuisiers demandèrent aux maîtres l'adoption de certains règlements de travail. Ceux-ci refusèrent et se coalisèrent pour résister : ils le purent d'autant plus faci- lement, que les Unions ne possédaient pas alors la même puissance qu'aujourd'hui, et ne jouèrent dans toute cette affaire qu'un rôle secondaire. La grève cependant s'étendit rapi- dement à tout le royaume. Les ouvriers sup- portèrent pendant longtemps, avec autant d'énergie que de modération, les plus cruelles (1) On ne peut signaler qu'une seule grève toute locale, dans les chantiers de MM. Young, en 1856. Les ouvriers récla- BttMl une nouvelle distribution des heures de trayail. MM. Young désistèrent, et ils remportèrent, au bout de quatre mois, après aroir dépensé 3000 livres sterling. 200 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. souffrances. Un membre du Parlement, grand constructeur et qui avait été Tun des maîtres coalisés, M . Samuda, parle de cette grève en ces termes à la Commission : a Ils (les ou- » vriers) déployèrent un tel courage et mon— » trèrent une telle patience dans les privations, » que le sentiment du succès même de notre » entreprise est le plus pénible qu'on puisse » éprouver. » En effet, au bout de trois ou quatre mois, ce succès avait été complet, et les ouvriers, à bout de ressources, étaient ré- duits à retirer leurs demandes. Les Unions sont presque aussi anciennes sur les bords de la Clyde que sur ceux de la Tamise. La Société des shipwrightSy dont le centre est à Greenock, date de 1828. Dans les autres branches de Tindustrie, des associations analogues se sont formées postérieurement. Elles prirent rapidement un essor extraordi- naire : dès 1 836, elles ont conquis leur droit de cité, et traitent d'égal à égal avec les grands constructeurs de Greenock. En effet, nous voyons, le 23 novembre 1836, les maîtres et les menuisiers signer un véritable traité, par U CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 201 lecpiel ceux-ci s'engagent à ne pas limiter le nombre des ouvriers employés dans les chan- tiers, et à ne pas exiger leur affiliation à la société, pourvu que les nouveaux venus aient rempli les conditions ordinaires de l'appren- tissage. En 1 839, la plupart des maîtres se liguent pour résister à V Union des shipwrights^ qui n'avait pas fait avec eux un semblable traité, et voulait, au contraire, les obliger à n'em- ployer que des ouvriers inscrits sur ses rôles. Les maîtres l'emportent pour le moment ; mais plus tard, en 1857, l'intervention de cette société dans tous leurs rapports avec leurs ou- vriers est formellement reconnue par eux. C'est à elle qu'ils s'adressent pour se procurer des travailleurs ; c'est à elle qu'ils se plaignent lorsqu'ils n'arrivent pas assez vite. Souvent, en effet, elle met à leur en fournir une len- teur calculée, espérant faire monter les sa- laires par la rareté de la main-d'œuvre ; les maîtres luijeprésentent alors que ce procédé n'aura d'autre effet que de diminuer le travail de leurs chantiers. D'autres fois les Unions 202 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. exigent le renvoi d'un ouvrier qui a refusé d'entrer dans la société, et l'obtiennent pres- que toujours. Cet état de choses dure jusqu'en 1866. L'imprudence des Unions amène alors ime crise qui leur est fatale. A cette époque, l'in- dustrie était dans une de ces situations déplo- rables où les maîtres, loin d'avoir à redouter une grève, en arrivent parfois à la désirer, et profitent avec empressement d'une demande inopportune de leurs ouvriers pour cesser des travaux qu'ils ne continueraient qu'avec perte. C'est ce qui arriva; les ouvriers réclamèrent une réduction des heures de travail sans di- minution correspondante de leurs salaires. Dans une conférence avec les représentants des diverses Unions, les maîtres leur proposent de travailler trois heures de moins par se- maine (57 au lieu de 60), pourvu qu'ils con- sentent à déduire du prix de la journée l'équi- valent de cette diminution. On ne peut s'en*" tendre, et quelques ouvriers se mettent en grève. Aussitôt tous les constructeurs, sauf trois, se coalisent, forment en quelques jours LA CONSTKUCTION DES NAVIRES DE FER. 203 une puissante Union, sous le nom d'Asso- ciation des constructeurs de la Clyde^ et fer- ment tous leurs chantiers, annonçant qu'ils ne les ouvriront que lorsque les demandes auront été retirées. Ce lock oui priva d'ouvrage pen- dant plusieurs mois dix-huit mille ouvriers, et leur imposa de grandes souffrances. Ils finirent par se soumettre, et depuis lors, mal- gré des grèves partielles, ils n'ont pu tenir tête à V Association des constructeurs. Celle-ci est plus fortement constituée que tout ce que nous avons encore vu dans ce genre, et les règlements y sont aussi sévères que dans les Unions d'ouvriers. Elle compte trente-cinq souscripteurs; chacun s'est engagé peir des billets à vue à payer à la caisse, aussitôt qu'il en sera requis, 4 livres sterling ou 100 fr., par chaque ouvrier employé dans ses chantiers. Ces engagements lui assurent une réserve de 100 000 livres sterling, ou 2 millions et demi* Un associé ne peut enlever à un autre ses apprentis sans son consentement. Enfin, par une grave aliénation de son indépendance, il ne peut, en temps de grève, faire travailler 20d LES ASSOCIATIONS OUVKlÊRÊS £N ANGLETERRE. dans ses chantiers que sous le bon plaisir de la majorité des deux tiers des membres de la société, et, sur Tordre qu'elle lui donne, il est obligé de congédier tout ou partie des hommes qu'il emploie. Parfois les coques sont faites, non par des shipwrights spéciaux ou d'anciens ouvriers en bois, mais par des hommes élevés dans l'in- dustrie du fer, et particulièrement des fabri- cants de chaudières de bateaux à vapem*: ces pièces, en effet, jointes par des rivets, se construisent absolument de la même manière qu'un navire de fer. Ces ouvriers forment une classe à part, et il existe parmi eux une puis- sante Union, fondée en 1 834, et qui ne compte pas moins de 7000 membres ; subdivisée en branches nombreuses, son centre est à Li ver- pool. Malgré ses ressources, les grèves fré- quentes qu'elle a eu à soutenir ont été rare- ment heureuses. En 1862, ses membres, crai- gnant la concurrence des shipwrighlSj refusè- rent de travailler avec eux, de peur de les initier à l'art des constructions de fer. Ils se mirent en grève, d'abord à Tarsenal royal de U CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 205 Chatham, et, bientôt après, dans les chantiers de M. Wigram sur la Tamise, mais finirent par céder, après une assez longue résistance. Un certain nombre d'entre eux, deux mille environ, se trouvèrent aussi involontairement compromis dans les querelles qui eurent lieu à Greenock en 1866, et privés d'ouvrage par la clôture des chantiers de la Clyde. Quoique leur Union eût été opposée aux demandes qui provoquèrent cette mesure, elle eut à en souf- frir; car elle ne pouvait refuser de secourir des membres qui se trouvaient privés d'ou- vrage par une dissension à laquelle ils étaient étrangers, et leur entretien coûta 2000 livres sterling (50000 fr.). U n'en fut pas de même à Liverpool, où le comité local, ayant décidé une grève malgré l'avis de l'autorité cen- trale, ne reçut de celle-ci aucun appui. Par ses statuts primitifs, cette société of- frait à ses membres toutes sortes d'avantages sous forme de secours mutuels ; et, quoique les grèves ne figurent dans ses budgets que pour une somme relativement peu impor- tante, la contribution annuelle de 2 livres 42 206 LES ASSOCUTIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. sterl. 8''' (60 francs), qui ralimente, est évi- demment insuffisante pour subvenir à ses dé- penses (1). Aussi, sur la somme de 55 000 livres sterl. (1 375 000 fr.) qu'elle a touchée en six ans, ne lui reste-t-il que 1 000 livres sterl. (25000fr.) pour toute réserve : si elle était liée d'une manière absolue par ses statuts, elle serait à la veille d'une banqueroute iné- vitable. Mais, fondée avant tout pour venir en aide à ceux de ses membres qui sont sans ouvrage, elle a toujours subordonné à ses ressources le chiffre des autres secours qu'elle leur accorde, ou des souscriptions qu'elle im- pose. Ainsi, au moment de la crise indus- trielle, elle a porté les cotisations de 3"^ 6^ à (1) Elles se décomposent ainsi, pour une période de six années : Livres st. Fraacs. Secours aux malades 18 145 =s 453 725 Enterrements 4 213 = 105 325 Frais de médecins 5 052 =« 126 800 Indemnité aux ouvriers à la recherche d'une place 15 698 = 392 456 Retraite des vieillards 1110= 27 775 Secours aux infirmes, à 5 shil- lings (6 fr. 2 5c.) par semaine 1391 = 34 775 Dépenses pour les grèves. . . * 6 000 = 150 000 LA CONSTRICTION DES NAVIRES DE TER. 207 4'^ (4 fr. 37 c. à 5 fr.) par mois, et réduit de 1'^ 8^ (2 fr. 7 c.) à 1^^ (1 fr. 25 c.) par jour r allocation attribuée aux ouvriers sans tra- vail. Cç chifiFre suffit à montrer combien l'indus- trie des constructions navales souffre aujour- d'hui en Angleterre. C'est un point sur lequel maîtres et ouvriers sont d'accord. Depuis la fin de la guerre civile des Etats-Unis, en 1865, personne ne veut plus des fameux Blockade- runnerSy qui firent un moment la fortune de Greenock; et les chantiers de la Tamise, com- promis par les spéculations effrénées de la célèbre maison Overend & Gurney, entraînés, comme tant d'autres entreprises, par la funeste confiance qu'inspirait ce grand nom, ont été ruinés par la catastrophe au milieu de laquelle elle a sombré. M. Samuda, qui s'est vu lui- même dans la nécessité de réduire le nombre de ses ouvriers de 2000 à 200, affirme que, de tous les chantiers qui existaient avant 1851, le sien est le seul qui n'ait pas fait faillite. Enfin , chose remarquable à noter en passant, les constructeurs anglais reconnais- 208 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. sent que la France menace de leur enlever le m€irché étranger, et que sa concurrence aug- mente encore leurs difficultés. Dans une pareille situation, les récrimina- tions des deux parties devaient être également fondées : celles des maîtres, reprochant aux Unions de réclamer un accroissement de sa- laires, qu^ils ne pouvaient leur accorder sans se ruiner, ni leur refuser sans essuyer une grève désastreuse; celles des ouvriers, se plaignant avec autant de raison d'être moins bien payés aujourd'hui qu'il y a trente ans. En effet, dans les chantiers, le prix de la main-d'œuvre s'est encore moins accru que dans les houillères, et, grâce à la dépréciation des espèces, l'ou- vrier ne peut, avec ce qu'on lui paye pour une semaine ordinaire, acheter la même quantité de viande, de pain, de charbon qu'autrefois. A Londres, il gagne plus qu'à Greenock, mais tout lui coûte plus cher; et là même où l'élévation du salaire est en appa- rence la plus considérable, elle se trouve en réalité plus que compensée par d'autres cir- constances : ainsi un poseur de rivets gagnait à LA CONSTRUCTION DES NAVIRES DE FER. 209 Liverpool, il y a quinze ans, 24 shillings (30 fr.) par semaine, il en gagne 28 (35 fr.) mainte- nant ; mais alors, dans le même temps, il n'en posait qu'environ 700, tandis qu'aujourd'hui il en pose un millier. Les ouvriers ne peuvent attendre l'amélioration de leur sort que d'une reprise industrielle. IL LES MACHINES. Nous ne pouvons terminer la série des in- dustries qui travaillent le fer sans dire im mot de celle des machines, en réunissant ici tous les renseignements recueillis sur ce sujet par la Commission et dispersés au milieu des dix volumes de documents qu'elle a publiés. Instru- ment fécond de la prospérité de notre époque, l'industrie des machines, qui alimente toutes les autres de ses produits, peut se diviser en quatre branches : la fabrication des bateaux à vapeur, des locomotives, des admirables mécanismes qui font la puissance de nos ma- nufactures, et enfin de ces outils, encore plus 12. 210 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. parfaits et plus merveilleux, sans lesquels on ne pourrait construire les autres. Parmi les principaux centres de cette grande industrie, Manchester est le seul dont la Commission se soit occupée. On y trouve les Atlas Works y qui achèvent annuellement de quatre-vingts à cent locomotives, et Tim- portante usine de Beyer et Peacock, consacrée aux mêmes travaux ; rétablissement de Whit- worth & C^, célèbre non-seulement par ses canons d'acier fondu, mais plus encore par la précision de ses instruments pour travailler le fer à froid; et enfin ceux de M. Nasmyth, l'un des plus ingénieux inventeurs de notre époque. Les ouvriers employés dans ces fabriques se divisent, comme les autres, en artisans, pour prendre le terme anglais qui désigne les hommes expérimentés dans leur profession, et en journaliers, qui sont censés ne pouvoir faire que les travaux de force. Les premiers, obligés à cinq ans d'apprentissage, tiennent beaucoup, comme ceux de l'industrie des bâtiments, au maintien de cet usage asservissant. Ils voient LES MACHINES. 211 dans le monopole qu'il leur assure une ga- rantie contre Taccroissement de leur nombre et l'abaissement de leurs' salaires, et un droit acquis, une sorte de propriété, qu'ils ne veulent pas, disent-ils, partager avec des intrus. Certains ou^Tages, comme la surveillance des machines dites automates, dont la pro- duction ne peut varier, sont payés à la jour- née. Ailleurs les ouvriers sont à la tâche. Enfin, de même que dans les constructions navales, il arrive souvent qu'un travail con- sidérable, comme le montage d'une locomo- tive, est pris à l'entreprise par un seul homme, qui s'adjoint ensuite des travailleurs payés à la journée. Mais, dans ce cas, l'Union exige que ces derniers soient tous admis à partager les bénéfices proportionnellement à leurs sa- laires. Cependant elle n'est pas en général favorable au payement à la tâche; et nous retrouvons ici, de la part des ouvriers, les mêmes objections à ce système que parmi les maçons et les menuisiers. Ils craignent qu'il n'en résulte entre eux une concurrence fu- 212 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. neste au taux des salaires, et ils affirment que le travail ainsi rétribué n'est jamais aussi bien fait cpie celui des ouvriers payés à la journée. C'est un point sur lequel ils reviennent con- stamment dans leurs débats avec les maîtres. Avant 1851, les mécaniciens possédaient déjà des Unions assez nombreuses; mais elles étaient tout à fait indépendantes les unes des autres, et, quoiqu'elles aient eu souvent à sou- tenir des grèves partielles, une entre autres assez considérable, à Manchester, en 1837, ces luttes avaient toujours eu un caractère essentiellement local. En 1851, au contraire, toutes ces sociétés se fondent en une seule, qui réunit dans son sein presque tous lès ouvriers de cette profession : c'est la Société des méca- niciens unisj dont nous avons déjà longue- ment parlé et expliqué l'organisation, la plus puissante peut-être de toutes les Unions an- glaises. Ses adversaires mêmes ont toujours rendu justice à sa modération : les luttes qu'elle a soutenues contre eux n'ont été mar- quées par aucune violence, malgré l'impor- tance des questions qui en étaient l'objet et LES MACHINES. 213 les privations que les grèves imposèrent aux ouvriers. Ces grèves ont d'ailleurs été fort rares : la plus grave éclata en décembre 1 851 , peu de mois seulement après la formation de la société. Le système de l'apprentissage en fut l'oc- casion ; l'introduction de nouvelles machines modifiant les conditions de la production et du travail, la cause véritable. De fréquentes grè- ves partielles avaient singulièrement stimulé le génie inventif de quelques-uns des grands industriels. Fatigués d'avoir toujours à lutter contre un corps d'artisans d'autant plus exi- geant que, grâce à ses connaissances spé- ciales, il se croyait indispensable, ils cherchè- rent des machines qui pussent faire le même travail que ces habiles ouvriers, et dont la surveillance s'apprît en quelques jours. Tout le monde connaît aujourd'hui ces instru- ments qui percent dans le fer des trous ronds, carrés, elliptiques, coniques, qui le rabotent, y taillent des courbes, le scient, le plient, et enfin le tournent en copiant avec une fidélité merveilleuse les modèles les plus variés. Un 214 LKS ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. enfant peut en conduire plusieurs : une ma- nivelle poussée en avant ou en arrière , quelques gouttes d'huile jetées à propos, sont tout ce qu'il faut pour que l'initiative humaine donne la vie à ces obéissants servi- teurs. Personne peut-être n'a plus que M. Nas- myth contribué à cette étonnante révolution. Simple ouvrier d'abord, il commença à se faire remarquer par des inventions à la Ro- binson Crusoé, ainsi qu'il le dit lui-même, et il montre encore avec orgueil, comme l'ori- gine première de sa grande fortune, un petit fourneau qu'il construisit autrefois pour cuire son dîner, et grâce auquel il économisait 3 shillings (3 fr. 75 c.) sur les quinze qu'il recevait pour le salaire de sa semaine. Au moyen de ses machines perfectionnées, il s'affranchit de l'obligation de n'employer que des mécaniciens de profession : il ne fit plus de contrat d'apprentissage, et mit ses magni- fiques automates entre les mains de qui- conque était assez intelligent pour les diriger. Il s'attaquait par là à un préjugé très-fort et à des habitudes profondément invétérées. LES MACHINES. 215 Mais il est impossible de ne pas reconnaître qu'il était dans le vrai en combattant pour un principe fécond. En effet, T extrême divi- sion du travail, qui est souvent une consé- quence nécessaire du système de l'industrie moderne, serait funeste aux progrès intellec- tuels de notre époque, si elle se combinait avec les vieilles traditions qui confinaient un homme, ou même une famille, pendant bien des générations, dans une seule spécialité. La machine, en diminuant le travail de l'ou- vrier, en dispensant de plus en plus ses mains de ce long apprentissage qui leur donnait une adresse particulière pour tel ou tel genre d'ouvrage, Tafiranchit des limites étroites où ces qualités corporelles, péniblement acquises, l'enfermaient forcément, et doit étendre de plus en plus le champ varié où il peut exercer son intelligence. L'exemple des Etats-Unis prouve que, loin d'entraver le développe- ment industriel d'un peuple, cette mobilité augmente ses aptitudes. Au lieu de machines vivantes, elle fait des hommes, et prépare ces hommes à être des citoyens* En abais*- 216 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. sant des barrières inutiles et surannées, elle ouvre une plus vaste carrière à l'initiative et à Ténergie individuelle. La vie de l'illustre Abraham Lincoln en est une preuve frap- pante : le bûcheron de TlUinois n'est arrivé au fauteuil présidentiel , qu'il a si noblement occupé, qu'après avoir essayé de bien des mé- tiers et exercé les professions les plus diverses. Si son ambition s'était bornée à s'élever dans une spécialité, il n'aurait pas quitté la hache pour devenir tour à tour batelier, avocat, officier de volontaires, maître de poste, légis- lateur, chef de parti, et enfin magistrat su- prême d'un peuple libre, suppléant par les études de Tâge mûr, au milieu d'une vie sans cesse occupée, à l'éducation qui lui avait man- qué dans son enfance ; et l'histoire aurait un nom de moins à inscrire sur la page, si peu remplie, où elle conserve ceux des bons et grands citoyens. Mais ces machines qui affranchissent l'ou- vrier de la partie la plus rude de son labeur peuvent, par moments, lui faire un tort qu'il ressent très-vivement. Le travail de ses bras LES MACHINES. 217 lui appartient ; celui de la machine ne lui ap- partient pas : si donc le premier est en partie remplacé par le second, c'est souvent une perte sèche pour lui. Tant qu'il en sera ainsi, tant qu'il ne sera pas appelé d'une manière quelconque à prendre une part des bénéfices assurés par la machine, il sera naturellement tenté de s'opposer au développement de sa puissance et de son usage, et croira protéger de cette manière ses intérêts et son gagne- pain. Nous avons vu que les artisans des forges avaient au contraire singulièrement profité du perfectionnement des marteaux et des lami- noirs, parce qu'ils étaient payés à la tâche, et que les tarifs de leurs salaires et les prix du fer fabriqué n'avaient pas changé. Mais il n'en a pas été de même dans l'industrie des constructeurs de machines, qui, en adoptant les instruments automates, renoncèrent au système du payement à la tâche, maintenu jusqu'alors pour tous les travaux exigeant de l'adresse manuelle : les ouvriers, qui avaient eu auparavant l'imprudence de le combattre, ne purent cette fois en réclamer le bénéfice. 13 âld LÉS ASSOGIAtlONS OUVRIERES EN ANGLETERRE. Les hommes chargés de manier ces machines^ qui faisaient chacmie l'ouvrage de cinq ou six artisans, furent payés à la journée, et M. Nasmyth réduisit naturellement beaucoup le nombre de ses ouvriers. Bientôt même de nouveaux perfectionnements lui permirent de confier à un seul homme la surveillance de deux, trois, quatre et même cinq ou six outils mécaniques : il y trouva l'occasion de dimi- nuer de nouveau son personnel, et mit autant de machines que faire se pouvait entre les mains d'im seul individu, en lui assurant seu- lement pour chacune un accroissement de sa- laire d'un shilling par semaine, a Ce n'était » certes pas^ dit*il lui-même, un juste équi- » valent dn profit que je tiraiâ de lui* Pour » une machine, je lui donnais 16 shillings >} (20 fr.) par semaine et 21 shillings (26 fr. » 2S c.) pour six machines. Ces H shillings » (6 fr. 25 c.) supplémentaires me représen » taient6 livres sterling (150 fr.) d'économie* TD J'étais très-chiche en ne lui donnant que » 21 shillings (26 fr. 2B c), mais j'aurais pu le r> gâter en lui en donnant plus tout de suite. . . ; ; Les machines. ^i9 » Un salaire extraordinaire donné à un homme y> aurait fait monter le taux de tous ceux de » l'établissement.... D'ailleurs l'homme était » satisfait. J'étais le maître, il était Touvrier, » et cet arrangement nous convenait à tous » deux. » Mais les parts de bénéfice qui jus- qu'alors avaient été attribuées à la main- d'œuvre, se trouvaient par là singulièrement diminuées, et il était facile de prévoir que les ouvriers, privés d'ouvrage, sans compensation aucune, par ce système, y feraient une op* position énergique. Dès 1851, plusieurs manufactures du dis- trict de Manchester avaient suivi l'exemple de Mi Nasmyth. Mais les artisans exercés n'en conservaient pas moiniâ un certain nom- bre de travaux pour lesquels leur adresse était indispensable. La prospérité des aflFaires leur permettait de se montrer exigeants; l$i Société des mécaniciens unis leur donnait une force nouvelle qu'ils avaient hâte d'es- sayer. Us demandèrent à MM. Platt, d'Old- haiû, l'adoption du programme suivant : Aban- don du payement à la tâche pour les ouvrages 220 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. de leur profession, payement double des heu- res extraordinaires; maniement des nou- velles machines réservé exclusivement aux artisans et aux apprentis dûment engagés par contrat. Ces fabricants, qui possèdent une des plus grandes usines de l'Angleterre, refu- sèrent et réclamèrent l'appui des autres in- dustriels. Ceux-ci prononcèrent aussitôt un lock oui contre tous leurs mécaniciens, et dé- clarèrent qu'ils ne les reprendraient que lors- que ceux de MM. Platt auraient retiré leurs demandes : ils exigeaient en outre d'eux une renonciation formelle à l'Union. Trois mille mécaniciens se trouvèrent ainsi sans travail, et leur chômage entraîna celui d'un nombre de journaliers double ou triple. Les premiers furent soutenus par les fonds de leur société, qui comptait dans le reste de l'Angleterre plus de 9000 membres occupés, et les seconds furent charitablement aidés par de fréquents secours puisés dans la même caisse. Mais, au bout de trois mois, un million se trouva dé- pensé, et il fallut céder. Un certain nombre de mécaniciens émigrèrent plutôt que de re— LES MACHINES. 22 ( noncer à rUnion, et allèrent fonder une suc- cursale à Sydney, en Australie. Les autres se soumirent, et, au nombre de 2000 envi- ron, quittèrent TUnion. Mais elle se releva bientôt : des cotisations extraordinaires réta- blirent l'équilibre de ses finances; le nombre de ses membres s'accrut rapidement ; les maîtres n'exigèrent plus de leurs ouvriers la renonciation qu'ils leur avaient d'abord im- posée ; ceux-ci rentrèrent en masse dans son sein, et, peu d'années après son échec, elle était plus forte que jamais. Elle devint aussi plus circonspecte : les seules grèves qu'elle ait soutenues ont eu lieu en 1855, en 1866, et en 1868. La première, dirigée contre les Atlas Works, qui employaient trop d'enfants au gré de r Union, fut courte, peu importante, et remar- quable seulement par la publication réci- proque de black lisls. La manufacture com- mença par désigner aux autres établissements les noms des ouvriers en grève auxquels on devait pai'tout refuser de l'ouvrage. Ceux-ci répondirent en publiant de même les noms de 222 lES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANG(.ETERRE. teurs camarades qui n'avaient pas voulu s'as- socier à eux dans la lutte, et avec lesquels les membres de la société devaient s'interdire de travailler. En mars i 866, les forgerons de MM. Beyer et Peacock se mirent en grève pour obtenir le renvoi d'un nouveau /br^man, M. S. Hall, contre lequel ils avaient des préventions plus ou moins justifiées. Un certain nombre d'entre eux appartenaient à la Société des mécani- ciens unis, mais unionistes et non-unionistes agirent de concert, sans que l'association intervînt en rien dans cette afiaire. Les pro- priétaires de l'usine firent venir d'autres ou- vriers, et, ne pouvant leur donner des loge- ments dans les environs, à cause de l'hostilité des habitants du voisinage, ils les firent vivre dans l'établissement même, où les travaux interrompus reprirent aussitôt. Les anciens travailleurs, considérant alors la prolongation de la grève comme inutile, demandèrent à traiter : ceux d'entre eux dont les places étaient demeurées vacantes allaient rentrer pour les occuper, en renonçant à leurs pré- LES MACHINES, $23 tentions, lorsqu'il se trouva que cet arran- gement n'assurait l'admission que de neuf unionistes. Le secrétaire de la Société des mé^ caniciens unis, arrivé sur ces entrefaites, persuada alors aux ouvriers de revenir sur leur décision et de persister dans leurs de- mandes jusqu'à ce que tous fussent également admis. Les propriétaires leur répondirent par un lock ont; mais au bout de dix jours, ils se décidèrent à céder et à les recevoir en masse, en congédiant à la fois les nouveauiç venus et le foreman qui avait été l'occasioq première de la querelle. En 1868, les mécaniciens de Blackburn, dans le Lancashire, résistaient à mie réduc- tion, et la lutte durait encore à Tépoque où siégea la Commission, Le récit des grèves partielles qui ont eu lieu dans telle ou telle branche spéciale, entre 1861 et 1868, n'a- jouterait rien à ce que les faits rapportés plus haut nous ont appris sur la classe intelligente et résolue des mécaniciens, sur leur situation actuelle, leurs idées et leurs vues d'avenir. CHAPITRE Vm INDUSTRIES DIVERSES Le champ ouvert devant la Commission était immense; il lui fallut restreindre ses recherches, et, arrivée au point où nous en sommes, les borner à quelques industries qui se recommandaient à son étude par la forte organisation des associations formées parmi leurs ouvriers, plutôt que par l'importance des grèves dont elles ont eu à souffrir. En effet, comme on a déjà pu le voir, Timportance des grèves n'est nullement proportionnée à la puissance des Unions, et la Commission, n'ou- bliant pas que sa tâche était, non de recueillir l'histoire des premières, mais d'étudier les secondes, a sagement laissé de côté quelques- INDUSTRIES DIVERSES. 225 unes des grèves qui ont le plus ému le public dans ces derniers temps, parce qu'elles le tou- chaient de plus près. Telle fut celle des cochers de fiacre, il y a une dizaine d'années, dont Paris a eu récem- ment une répétition, et celle des conducteurs de locomotives du chemin de fer de Brighton, en 1865. Ces derniers voulurent obliger la Compagnie à renoncer à une échelle de sa- laires gradués qui lui permettait de donner, à son gré, à un certain nombre d'entre eux, une sorte de prime de boime conduite. Ils choisirent, pour se mettre en grève, le jour des courses d'Epsom, au moment où des mil- liers de voyageurs encombraient la station et se disputaient avec ardeur les moindres places. Les administrateurs, dûment avertis par eux de ce projet, n'avaient pas cru à sa réalisation ; mais, malgré leur surprise, ils ne se tinrent pas pour battus : ils mirent sur les locomotives tous ceux qui pouvaient tant bien que mal les manier, montèrent à côté d'eux pour les di- riger, et firent si bien, que leur embarras mo- mentané disparut au milieu du désordre qui 13. 226 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. est Tundes attributs traditionnels, et, pour bi«n des gens, le charme principal de cette journée tumultueuse. Le tarif fut maintenu (1). La Commission a terminé ses travaux en consacrant quelques séances aux tailleurs de Londres, aux verriers de Birmingham et aux imprimeurs de Londres. Nous ajouterons, aux renseignements que nous trouvons dans ses rapports, quelques mots sur la classe si inté- ressante desfilateurs de coton. I. LES TAILLEURS. Jusqu'en 1834, les ouvriers tailleurs de Londres étaient payés à la journée. Il sub- sistait parmi eux un reste des anciennes cor- porations : c'étaient les H ouses ofcall, ou mai- sons d'appel. Les ouvriers étaient divisés en dix-sept ou dix-huit petites sociétés, compre- (1) Une grève analogue en Amérique interrompit, pendant huit jours entiers, tout le service d'une des principales lignes du nouveau monde, le chemin de fer de TÉrié. On peut se figu- rer quel trouble une pareille interruption dut apporter dans la vie de tous les habitants du pays desservi par ce chemin de fer. INDUSTRIES DIVERSES. 2^ nant chacune de 1 00 à 800 membres, et ayant leur siège dans quelque cabaret. Tous ceux d'entre eux qui étaient sans ouvrage devaient s'y réunir chaque soir pour répondre à un appel nominal: lorsqu'un patron voulait en-* gager quelques hommes, il s'adressait à ce cabaret, et on lui fournissait les premiers inscrits sur la liste. Mais de véritables Unions se formèrent dès 1832. En 1834, elles demandèrent une aug- mentation d'un shilling (1 fr. 25 c), et une diminution de deux heures de travail par jour, ce qui leur aurait assuré 7 shillings (8 fr. 75 c.) pour dix heures, au lieu de 6 (7 fr. 50 c.) pour douze heures. Mais, après plusieurs semaines de grève, elles furent vaincues et même ré- duites à se dissoudre, entraînant dans leur chute l'institution des maisons d'appel. Bien- tôt après cependant, les maîtres s'entendirent avec les ouvriers pour changer le système des salaires. Ils les payèrent désormais à la tâche, d'après un tarif appelé log booky qui était établi sur l'ancienne moyenne de 6 shillings (7 fr. 50 c.) pour une journée de douîse heures, 228 LES ASSOCIATIONS OCVAIÊRES EN ANGLETERRE. En 1858, les tailleurs cherchèrent de nou- veau à s'organiser, et fondèrent deux sociétés. Celle des Journaliers tailleurs unisy fut for- mée, comme son nom l'indique, par la réunion de plusieurs associations antérieures. UÀsso- dation protectrice des tailleurs de Londres se forma le 10 novembre 1865 : elle se déve- loppa rapidement. Deux ans après, elle comp- tait plus de 7000 membres, divisés en dix-sept branches. Quoique organisée essentiellement en vue des grèves, elle assurait à ses mem- bres un secours en cas de maladie, et une somme pour leur enterrement. Enfin, elle se déclara hautement en faveur du travail à la tâche. Elle montra bientôt aussi un esprit difiérent de celui de la plupart des Unions, qui concentrent leur influence sur leur industrie particulière. Non contente de faire ce qu'elle appelle une alliance avec les autres sociétés de tailleurs anglais, V Association des tailleurs de Londres est entrée dans V Alliance des métiers organisés du Royaume-Uni ^ confé- dération strictement défensive, destinée à ré- sister aux lock oui y et qui ne compte cepen- ITIDUSTRIES DIVERSES. 229 dànt dans son sein aucune des grandes so- ciétés anglaises; elle est affiliée à la Ligue internationale des travailleurs , et enfin elle cherche à combiner ses efforts avec ceux des tailleurs de Paris, de Berlin et d'Amérique. Tout le fruit de ces alliances s'est borné jus- qu'à présent à d'insignifiants secours, envoyés, à ce qu'il parait, de Londres à Paris, en 1 867. Elles ne sauraient aujourd'hui rendre des ser- vices efficaces aux intérêts qu'elles ont pour but de protéger. En effet, elles se proposent de s'entendre avec les travailleurs étrangers à l'Angleterre, afin que les patrons en lutte avec leurs ouvriers ne puissent les combattre en faisant confectionner ailleurs pour opposer ainsi l'une à l'autre les mains-d'œuvre des différents pays. Mais une pareille combinaison ne saurait opposer aux maîtres une entrave sérieuse, tant qu'ils trouveront, sans sortir de l'Angleterre, un certain nombre d'ouvriers n'appartenant à aucune société, prêts à ré- pondre à leur appel, et qui les dispenseront de s'adresser à la France ou à l'Allemagne pour faire exécuter leurs commandes. 230 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. En 1 866, les deux Unions des ouvriers tail- leurs réclamèrent et obtinrent une élévation du tarif des salaires. Trois patrons seulement la leur refusèrent et furent frappés de grève : ils appartenaient à une Union de maîtres, récemment formée, qui, par esprit de corps, crut devoir les soutenir. Ceux de ses membres qui venaient de s'entendre avec leurs ouvriers leur fermèrent la porte pour aider leurs co- associés à maintenir des prétentions qu'eux- mêmes n'avaient pas jugées raisonnables. Mais, au bout de dix jours, une conférence entre les deux parties, tenue dans la grande salle de S. James's Hall, remania complète- ment le tarif et éleva de 15 pour 100 les salaires.- Cette entente ne fut malheureusement pas de longue durée. Une nouvelle querelle s'éleva, dès le mois de janvier 18(57, à propos de ce tarif : les ouvriers accusaient les maîtres d'y avoir dérogé peu à peu, et leur demandaient de le rendre uniforme pour toute la ville de Londres ; les patrons affirmaient, au contraire, que cette demande ne faisait que déguiser un INDUSTRIES DIVERSES. 23i nouvel accroissement de salaires. Plusieurs conférences tenues entre eux n'ayant pas abouti^ les ouvriers se réunirent, le 22 avril 1 867, à la salle de TAlhambra, décidèrent de se mettre en grève contre quatre-vingt-huit maisons , et quittèrent leur ouvrage , au nombre de près de 3000. Quelques-uns émi- grèrent. La plupart, demeurés hnv le pavé de Londres, organisèrent un service de sen- tinelles autour des maisons des patrons, pour les empêcher de recruter des remplaçants. Les maîtres, ainsi mis en interdit, résolurent d'employer contre leurs adversaires toutes les ressources que pouvaient leur fournir les lois citées au début de cette étude. Ainsi que nous Tavons dit plus haut, non-seulement ils poursuivirent et firent justement condam- ner, devant le tribunal de police, des ou- vriers convaincus d'avoir employé les me- naces et la violence pour détourner leurs camarades de se rendre au travail ; mais ils attaquèrent même le système du picketing pacifique, et pour le seul fait de l'avoir orga- nisé, traduisirent devant la Cour criminelle. 232 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. comme coupables de conspiracy , le président de TAssociation des tailleurs de Londres, M. Druitt, et quelques-uns des membres du comité. Les accusés ayant promis que les sen- tinelles seraient levées, le procès fut différé ; mais rUnion refusa de ratifier rengagement qu'ils avaient pris, et élut d'autres chefs à leur place. Les uns et les autres furent alors cités devant la Cour, et le jury adopta avec le juge rinterprétation que les maîtres donnaient à la loi. La jurisprudence était établie ; tout le système du picketing, qui jusqu'alors avait été pratiqué sans entraves, était frappé par la loi : cela suffisait aux maîtres, et, sur leur demande, aucune sentence ne fut prononcée contre ceux que la justice venait de déclarer coupables. L'Union était vaincue, ses fonds étaient épuisés, ses membres l'abandonnaient par milliers, et la grève fut terminée. Les chefs de l'Union n'avaient cependant négligé aucun moyen de défense : ils avaient même cherché à retourner contre leurs adversaires les armes dont ceux-ci se servaient pour lès accabler. Us découvrirent que MM. Mitchell et INDUSTRIES DIVERSES. 233 Harris avaient adressé aux autres membres de r Association des maîtres une circulaire, pour leur dénoncer un certain nombre d'ou- vriers unionistes, et leur recommander de ne pas les employer. Aussitôt M. I)ruitt, assisté de Tun des premiers avocats de TAngleterre, Sir John Coleridge, assigna le président et le secrétaire de cette association, comme ayant à leur tour conspiré pour priver les ouvriers ainsi désignés des moyens de gagner leur vie. Déboutés de leur plainte, ils crurent, à tort ou à raison, que la loi avait deux poids et deux mesures; que, par un reste des anciens statuts qui consacraient autrefois leur infériorité, ce qui leur était défendu était permis aux maî- tres ; et ce grief vint s'ajoutçr à ceux dont ils demandent le redressement à la Commission, ou plutôt, par son intermédiaire, au Parlement et à Topinion publique. IL LES VERRIERS. L'industrie de la verrerie, répandue dans toute l'Angleterre, a son centre à Birmingham,^ 234 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. OÙ elle ne compte pas moins de vingt-deux établissements. On sait qu'elle a besoin d'ou- vriers particulièrement adroits et exercés. Ils travaillent dans les ateliers par groupes de quatre, appelés chaises y où chacun appartient aune classe particulière, passant de Tune dans l'autre successivement, selon son degré d'ha- bileté. Un rude labeur leur est imposé : du lundi au vendredi de chaque semaine, le tra- vail continue sans relâche jour et nuit ; deux x^elais d'ouvriers alternent auprès des four- naises, de six heures en six heures, n'ayant pour se reposer que le temps pendant lequel leurs remplaçants sont à l'ouvrage. Ce travail est toujours payé à la tâche. Dans certaines villes, un usage fort ancien, et bien antérieur à l'établissement des sociétés ouvrières, limite la quantité d'ouvrage qui peut être faite dans une journée ; mais, loin d'encourager cette règle, les Unions s'efforcent plutôt de la faire * disparaître. Le petit nombre des ouvriers en verre (ils sont à peine 2000 dans toute l'Angle- terre), joint au long apprentissage par lequel INDUSTRIES DIVERSES. 235 U leur a fallu passer, en fait un corps fort uni et assez ombrageux. Les moindres variations du marché les atteignent directement : aus- sitôt qu'une ou deux maisons diminuent leur personnel, un certain nombre d'ouvriers se trouvent dans Timpossibilité de se replacer ailleurs. Dans ces dernières années, cent trente d'entrç eux , en moyenne , se sont trouvés constamment sans ouvrage : aussi ont-ils toujours fait obstacle à l'admission d'un trop grand nombre d'apprentis dans leur profession. Un des principaux objets de la Société des verriers du Royaume-Uni^ fondée en 1849, fut de régler cette admission et de la limiter à un chiffre fixe, réclamation présentée de- puis longtemps par les ouvriers. Le succès paraissait devoir être d'autant plus facile à cette société, que presque tous les verriers s'étaient enrôlés dans ses rangs, et qu'elle n'eut par conséquent à redouter aucune con- currence de la part des non-unionistes. Au- jourd'hui elle compte plus de 1700 mem- bres, payant les uns 1 shilling, les autres 236 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. 1 '** 3^^, selon la classe à laquelle ils appar- tiennent. Après avoir commencé par un fonds destiné uniquement aux grèves, elle eu em- ploya bientôt une partie à secourir ses mem- bres malades. Mais, quoiqu'elle prélevât une cotisation plus forte que la plupart des Unions, il lui fallut, après quelques années, réduire le tarif adopté pour ces secours (1) : grâce à cette économie, elle se trouve avoir une réserve de 9000 livr. sterl. (225 000 fr.). Le comité central siège à Birmingham ; cha- que district a un sous- comité et un agent spé- cial dans chaque fabrique. C'est en 1858 qu'elle fit im effort décisif pour obtenir des maîtres que le nombre des apprentis, dont l'accroissement l'alarmait, fût (1) Il avait d'abord été fixé à 12 shillings (15 fr.) pour les treize premières semaines, à 10 shillings (12 fr. 50 c.) pour les treize suivantes, à 8 shillings (10 fr.) pour vingt-six autres semaines, et à 6 pence (62 cent.) pour vingt-six semaines encore après celles-là. Les membres payant un shilling (Ifr. 25) de cotisation ne touchaient que les deux tiers de ces sommes. Elles ont été réduites à 9^^, 7«*»6^, 6^\li^^ (11 fr. 25 c, 9 fr. 37 c, 7 fr. 50 c, 5 fr.), et enfin à 2«>» (2 fr. 50 c.) seu- lement pour ceux qui, ne pouvant reprendre le travail après un an et demi de maladie, sont considérés comme infirmes, INDUSTRIES DIVERSES. 237 limité à un chiffre uniforme dans toutes les verreries. Elle demanda d'abord à deux de ces fabriques de le fixer à un apprenti pour trois chaises ou douze ouvriers. Le refus des patrons amena une grève prolongée, et, au bout de trois mois, tous les manufacturiers de Birmin- gham se coalisèrent, et répondirent en con- gédiant leurs ouvriers. La lutte dura trois autres mois, et se termina par un compromis. Les ouvriers cédèrent sur le nombre des apprentis; les maîtres leur firent une conces- sion de principe bien plus importante, en leur accordant que ce nombre, fixé à un pour deux chaises ou huit ouvriers, ne pourrait désor- mais être dépassé. Cet engagement ne semble d'ailleurs pas avoir entravé l'industrie, puis- que les ouvriers ne s'en sont pas moins tou- jours trouvés plus nombreux que les emplois qu'on pouvait leur donner : il a même été prouvé devant la Commission que l'Union ne l'avait exigé que là où les artisans exercés n'étaient pas indemnisés de la perte de temps et de travail que leur imposait l'inexpérience des nouveaux venus. Ne craignant pas la 238 LES ASSOCiATIOMS OUVRIÈRES £M ANGLETËRkÈ. concurrence des travailleurs non associés, l'Union s'est trouvée être Tintermédiaire na- turel entre les maîtres et les ouvriers, et c'est à elle aujourd'hui que s'adressent les premiers lorsqu'ils ont une place vacante à donner. Aussi, malgré des querelles insignifiantes, aucune lutte sérieuse n'est-elle venue troubler les rapports ainsi établis, ni ébranler la position conquise par l'Association. Sous son influence, les salaires des ouvriers se sont considérablement élevés. Les maîtres veulent trouver dans cette élévation la cause de toutes les difficultés commerciales qu'ils éprouvent aujourd'hui ; mais les témoignages recueillis par la Commission sur ce sujet sont telle- ment contradictoires, qu'il est impossible de dire jusqu'à quel point cette appréciation est exacte* m. * — LÈS tVpOgràphès* Grâce à l'instruction et à l'intelligence qui leur sont nécessaires pour leur profession, aux connaissances qu'ils acquièrent en la INDUSTRIES DIVERSES. 239 pratiquant, les ouvriers typographes se sont trouvés partout placés à la tête de la classe ouvrière, dans ses efforts pour secouer des entraves séculaires. Personne n'ignore que c'est à la persévérance des typographes pa- risiens , à la manière à la fois ferme et modérée dont ils ont conduit une grève alors illégale, que nos Codes ont dû d'être débar- rassés du délit de coalition. Les typographes de Londres étaient depuis longtemps entrés dans cette voie. Us ont toujours largement usé du droit d'association. De tout temps, maîtres et ouvriers avaient réglé leurs différends par l'intermédiaire de délégués nommés de part et d'autre. En 1 810, ceux-ci arrêtèrent un tarif détaillé pour le salaire des compositeurs, qui furent désor- mais payés à la tâche. Depuis lors, ce tarif est toujours demeuré en vigueur, et ce n'est qu'en 1866 qu'il a été légèrement modifié pour consacrer la première augmentation de paye accordée, après cinquante-six ans, ailx compositeurs, en compensation de l'accroisse^ ment du prix de toutes choses; Malgré ce faible 240 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. avantage, ils n'en ont pas moins le droit de dire que, depuis un demi-siècle, leur position pécuniaire, loin de s'améliorer, a plutôt em- piré. Sauf trois ou quatre, tous les imprimeurs de Londres acceptent le tarif comme la base des contrats avec leurs ouvriers : les uns et les autres le respectent autant ^u'un acte du Parlement, et toutes leurs disputes ne portent que sur la manière de l'interpréter. Cependant son autorité ne fut pas, dans les premiers temps, aussi incontestée. En 1816, quelques maîtres ayant voulu le modifier, les ouvriers s'associèrent pour protester contre cette innovation. Quelques-uns d'entre eux formèrent un comité destiné à surveiller l'exécution du tarif (1), et qui plus tard devint une Union. D'autres les imitèrent dix ans après, et les deux sociétés se combi- nèrent en 1834. Les compositeurs de jour- naux avaient, dès 1 820, établi une associa- tion ayant le même but. En 1844, toutes {\) N*ayant pas une grève en vue, leur société ne tombait pas sous le coup de la loi qui défendait les coalitions : les sim- ples associations ont toujours été permises. INDUSTRIES DIVERSES. 241 les Unions qui existaient parmi les ouvriers imprimeurs se réunirent en un seul corps, sous le nom d'Association nationale des typographes; mais cette confédération elle- même ne put subsister, et, trois ans après, lorsqu'elle fut dissoute, les compositeurs de livres et de journaux de Londres établirent deuxsociétés séparées. Enfin, en 1853, celles-ci se fondirent de nouveau en une seule, et don- nèrent naissance à l'Union actuelle, qui compte 'aujourd'hui 3300 membres, payant des coti- sations qui varient, selon leurs salaires, de 2 à 6 pence (20 c. à 62 c.) par semaine. En outre, ceux qui voulaient s'assurer des se- cours en cas de maladie souscrivaient, jus- qu'en 1863, à un fonds spécial, affecté à ce service; mais, l'expérience en ayant alors démontré l'insuffisance, il fut réuni à la caisse générale, qui, depuis lors, entretient un cer- tain nombre de lits dans les hôpitaux de Londres, et paye pom* tous ses membres les visites du médecin. De plus, par une louable sollicitude pour leurs besoins intel- lectuels, r Union a formé à leur usage une 14 242 LES ASSOCtATlOMS OUVRIÈRES £N ANGLETERRE. bibliothèque considérable (!)• La société est gouvernée par un conseil dans lequel siègent douze compositeurs de livres et deux de journaux, et dont les décisions peuvent tou- (1) Pourtant elle regarde toujours ces dépenses comme subordonnées à ses ressources. Son but principal est de sou« tenir ceux de ses membres qui chôment, soit faute d'emploi, soit par suite d'une grève ou d'un loch out^ et de pourvoir à tous les frais de leurs dissensions avec les maîtres* L'impor* tance relative des dépenses se voit dans le budget suivant, comprenant dfx uinées, de 1858 à 1868 : Receltes. . . . Dépenses*. • . BALANCE. Livr. steri* sh. d. 25 105 » n 23 543 12 4 1 561 7 8 626 125 fr. n c. 588 590 50 37 534 fr. 50 c. DÉPENSES. Indemnités aux membres lîv. steri. »h, a. sans ouvrage ...... . 9836 10 » s bépemes légales 2 ^50 1 » = Indemnités de vojrage. . . 695 3 » = Dépenses du comité. ... 1 A32 3 7 = Secout^ médicaut 569 2 » = Bibliottiè 588 590 fr. 50 c INDUSTRIES DIVERSES. 243 jours être révoquées par l'assemblée géné- rale. Le secrétaire tient un registre où tous les ouvriers sans travail viennent s'inscrire, pour avoir le droit de toucher une indemnité de 10 shillings (12 fr. 50) par semaine. Les querelles des compositeurs avec leurs patrons ont causé bien des grèves locales, et fait fermer plus d'un atelier; mais aucune ne s'est étendue à toute l'industrie de Lon- dres. Les ouvriers ont toujours montré dans ces luttes une grande modération, et n'ont jamais pu être accusés de vouloir intimider ceux qui n'appartenaient pas à l'Union. Ce n'est qu'en 1854 que celle-ci, reprenant la première tentative de 1816, intervint direc- tement pour surveiller l'application du tarif des salaires, confiée jusqu'alors à un comité composé exclusivement de maîtres. Sur sa demande, on s'entendit de part et d'autre pour nommer une commission de trois maîtres et de trois ouvriers, qui, sous le nom de cour d'arbitrage, dut trancher les difficultés aux- quelles l'interprétation du tarif pouvait donner lieu. Malheureusement, cette institution ne 24ft LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. dura pas longtemps : elle échoua en 1858 devant la première affaire sérieuse qu'elle eut à juger. Voici à quel propos. Le tarif stipulait c[ue ces pages d'annoncés permanentes qui figurent dans les journaux ne seraient payées qu'une fois aux compositeurs, tant qu'elles demeureraient entières. Mais, comme, dans la plupart des feuilles, on insère presque tous les jours, au milieu d'une page déjà préparée, quelques lignes nouvelles, certains imprimeurs voulurent, pour calculer les salaires, déduire des pages ainsi remaniées tout ce qui avait été précédemment composé. Les ouvriers sou- tinrent au contraire que, du moment que la page était retouchée, la composition entière devait leur en être payée de nouveau. La cour d'arbitrage, appelée à décider entre eux, se partagea, et le président trancha la question contre les ouvriers. Ils se soumirent provi- soirement à son arrêt; mais, l'accusant d'être lui-même intéressé dans l'affaire, ils refusèrent d'accepter cette décision comme fixant la ju- risprudence, et, lorsqu'un cas analogue se présenta, ils récusèrent l'autorité de la cour INDUSTRIES DIVERSES. 2d5 d'arbitrage, et portèrent Taffaire devant les tribunaux. La Cour de l'Echiquier se pro- nonça deux fois en leur faveur, d'abord dans Fune de ses chambres, puis toutes les cham- bres réunies. Les maîtres en appelèrent à la Cour d'erreur, sorte de cour de cassation, où siègent les quinze juges du royaume. Onze d'entre eux s'y trouvèrent en cette occasion, et donnèrent encore une fois raison aux ou- vriers. Les imprimeurs échappèrent à la conséquence de cet arrêt en chargeant de l'impression des annonces des hommes payés à la journée, et, depuis lors, personne n'in- voqua plus la cour d'arbitrage.. En 1866, après de longues et difficiles né- gociations avec V Association des maîtres im- primeur s y qui avait été fondée dès 1855, peu après la cour d'arbitrage, pour défendre devant elle les intérêts des patrons, les com- positeurs obtinrent enfin un certain accrois- sement de salaire. Le prix de la vie à Lon- dres le leur rendait indispensable ; mais les imprimeurs craignaient qu'il ne fit succomber l'industrie de la capitale à la concurrence des 246 LES ASSOCUTIOHS 0U¥1U£RBS EM AHGtETKRRE. villes de province : aussi ne l'accordèrent-ils pas sans de vives plaintes; Les autres branches de cette profession ont des Unions analogues à celle des composi- teurs. Nous ne citerons que celle des pres- siers (pressmen)^ qui travaillent aussi à la tâche, et d'après un tarif convenu avec les maîtres. Cette société, fondée en 1839, ne secourt ses membres ni dans la maladie, ni dans la vieillesse, et leur assure seulement, lorsqu'ils meurent, 20 livres sterl. (500 fr.) pour leurs funérailles : elle s'occupe spéciale- ment de défendre leurs intérêts contre les maîtres, et de les faire vivre lorsqu'ils chô- ment. Les souscriptions qu'elle leur demande ont été réduites de 1 shilling à 6 pence (de 1 fr. 25 à 62 c), lorsqu'ils ont été plus de cinq cents. Elle n'a jamais soutenu de grèves- importantes; mais elle a eu fréquemment des contestations locales avec les maîtres pour les obliger à réduire le nombre de leurs apprentis. INDUSTRIES DIVERSES. 247 IV. LES FILATEDRS DE COTON. L'industrie du coton n'était pas de celles dont la Commission, dans son enquête, eût à s'occuper directement (1). Dans ces der- niers temps, ce ne sont pas les grèves qui ont éprouvé la laborieuse population qui s'y consacre. Mais tout le monde connaît les (1) Elle s'est bornée à recueillir sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autres industries, des documents écrits, qui seront sans doute joints à son rapport, ou, pour parler pluî* exacte- ment^ à ses rapports; car, nous Tavons dit, ses membres» comme on pouvait le prévoir, se sont divisés sur les conclu* sions à tirer de leur longue enquête, et il est à croire que la minorité présentera, dans un compte rendu séparé, ses vues, plus favorables sans doute aux Unions que celles de la majorité. A rbeure où nous écrivons (février 1869), ces intéressants rapports n'ont pas encore été imprimés. Le public ne possède pas non plus le procès-verbal des derniers interrogatoires, qui formera probablement un onzième volume. Les dépositions qui y ont été recueillies, curieuses sans aucun doute, ajoute- ront seulement quelques traits à un tableau dont elles ne sauraient changer l'ensemble. Aussi n'avons-nous pas cru devoir attendre l'époque incertaine de leur publication pour offrir à ceux qui s'intéressent aux discussions dont les sociétés ou- vrières vont être l'objet dans le Parlement anglais, une étude qui, nous l'espérons, pourra les aider à les mieux suivre et comprendre. > 248 LES ASSOCIATIONS OCVRIÈRES EN ANGLETERRE. souffrances inouïes qui Font accablée au mo- ment de la lutte civile d'Amérique. On sait avec quelle patience elle les a supportées, avec quel courage elle a persisté dans ses sympathies pour la grande cause abolition- niste, quoique la guerre entreprise pour sou- tenir cette cause fût la source de tous ses maux ; on sait aussi tout ce qu'un grand mou- vement national a fait pour les soulager. L'industrie cotonnière de la France, qui, après avoir traversé une crise aussi terrible, lutte avec peine aujourd'hui contre des cir- constances défavorables épargnées à l'Angle- terre , intéresse trop vivement tous ceux qui ont à cœur notre grandeur nationale, pour qu'il ne soit pas utile de jeter un coup d'oeil sur la situation actuelle des ouvriers fîlateurs anglais. Il est resté un salutaire souvenir du généreux effort fait en leur faveur ; mais si cet effort n'avait pas été essentiellemeat provisoire, il serait devenu une funeste école de corruption, car il eût paru créer un double droit : pour ceux qui reçoivent l'aumône, droit à une oisiveté prolongée ; pour ceux qui INDUSTRIES DIVERSES. 249 la donnent, droit à une servile reconnais- sance. En effet, quelque auguste que soit la charité, elle ne saurait, avec ses secours et ses aumônes, servir de base aux relations réci- proques des citoyens d'un pays civilisé, les- quelles ne peuvent être fondées que sur Tes- time mutuelle et la solidarité d'intérêts. Ce sont ces sentiments qui, nous l'espérons, pré- , vaudront de plus en plus dans les rapports entre les propriétaires et patrons de filatures et leurs ouvriers. Nous allons montrer en peu de mots les grands progrès accomplis déjà dans cette voie (1). Qui n'a vu dans les villes manufacturières ces immenses édifices où des milliers d'hom- mes, et aussi de femmes et d'enfants, à la fois maîtres et esclaves de quelques-unes des plus ingénieuses machines conçues par l'esprit humain, métamorphosent les ballots informes venus d'Amérique ou des Indes en étoffes (1) Nous croyans avoir puisé aux meilleures sources les quelques renseignements recueillis ici. Nous citerons, entre au- tres, l'autorité d'un vieillard simple et laborieux, M. Maudsley, secrétaire de la Société unie des filateurs du nord de l'An" gkterre. 250 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. solides, souples et légères ? 11 y aurait mal- heureusement bien à dire sur cet emploi im- modéré des femmes et des enfants, système funeste à rinstruction, à la moralité, à Tesprit de famille ; mais ce n'est pas là notre sujet. On peut diviser en trois branches principales le travail de ces fabriques. Celui des machines cardeuses qui démêlent le coton ; celui des spinningjennySy armées de centaines de bo- bines qui tordent le fil ; et celui des métiers qui le tissent. Ces deux dernières opérations absorbent la plus grande partie des bras em- ployés dans la manufacture. Le tissage est aujourd'hui presque exclusivement entre les mains des femmes et des enfants, tandis que le maniement des jennys est plus souvent confié à des hommes. Aussi n'existe-t-il guère d'Unions que dans cette dernière branche: les tisseuses n'en ont pas formé entre elles, quoique quelques femmes figurent sur les rôles des sociétés de filateurs. Tout le travail de ceux-ci est aujourd'hui payé à la tâche, et jamais, depuis l'adoption de cette méthode, ni les maîtres, ni les ou- INDUSTRIES DIVERSES. 251 vriers n'en ont mis en doute les avantages. Le système de l'apprentissage est complète- ment inconnu dans cette industrie. Les filateurs commencèrent à former des sociétés secrètes çn 1824, et bientôt la nou^ velle loi sur les coalitions vint permettre à leurs associations de s'organiser ouverte- ment. C'est l'époque où, grâce aux machines d'Arkwright, singulièrement perfectionnées, l'industrie entrait à pas de géant dans la voie nouvelle où elle a trouvé une si prodigieuse prospérité. Le public qui paya les cotonnades moins cher, les industriels qui les fabriquè- rent bien plus facilement, s'enrichirent dans cette révolution î les ouvriers filateurs seuls n'en profitèrent pas ; leurs salaires demeu- rèrent stationnaireS) et leur situation empira plutôt qu'elle ne s'améliora. Entassés en trop grand nombre dans des ateliers mal ventilés^ assujettis^ même les femmes et les enfants^ à 'des journées de travail dont la longueur dé^ pendait uniquement du bon plaisir du manu- facturier (1), ils étaient soumis à des règle- (1) Certaines manufactures marchaient jour et nitit. 252 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ments rigoureux et arbitraires, à des amendes fréquentes, et enfin exploités par le système des Truck-shops. Aussi usèrent-ils bientôt du droit de coalition, pour fortifier leurs Unions et améliorer leur situation. Les grèves et les lock oui vinrent constamment alors troubler r industrie du Lancashire. Mais peu à peu les abus disparurent, tantôt abandonnés par les maîtres, qui discernaient mieux leurs devoirs et leurs vrais intérêts, tantôt condamnés par le pouvoir législatif. Les salaires furent aug- mentés et payés, non plus à la journée, mais à la tâche ; comme nous l'avons déjà dit, la loi intervint pour abolir les Truck-shops ; elle défendit aussi aux maîtres d'employer des enfants qui ne fréquenteraient pas l'école ; et enfin, par le Factory Ad, le Parlement limita à dix heures la durée du travail dans les manufactures. A mesure que ces pro- grès s'accomplissaient, l'esprit d'hostilité qui avait si longtemps animé les ouvriers contre les chefs d'usine, disparaissait, et faisait place à cette confiance et à ce respect réciproques qui se sont révélés dans la grande crise de 1862. INDUSTRIES DIVERSES. 253 Cependant les Unions continuaient à se fortifier, et en 1853 les sociétés diverses qui existaient dans les quatre comtés de Lan- castre, de Chester, d'York et de Derby, se confédérèrent pour former V Equitable Asso- ciation des filateuirs. Lorsque la disette du coton vint, pendant la guerre d'Amérique, paralyser toutes les filatures, les difi*érentes sociétés formées par les ouvriers. Unions et caisses de secours mutuels, disparurent, rapidement épuisées par la misère universelle. Mais elles reprirent de la vie aussitôt que la crise fut passée, et se relevèrent si bien, que l'Association des fila- teurs, composée de 4000 membres en 1857, en compte 8000 aujourd'hui, c'est-à-dire plus, des deux tiers de tous les ouvriers qui suivent cette profession dans les districts où l'Union existe. Réorganisée définitivement en 1868, elle est gouvernée par un conseil de délégués, dont chacun représente deux cents membres, et par un comité exécutif. Vé- ritable confédération, elle laisse la plus grande indépendance à ses trente-six diffé- 15 25A LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. rentes branches : chacune a sa caisse particu- lière et peut à volonté T affecter exclusivement aux dépenses des grèves, ou en destiner une partie à assurer des secours à ses membres malades et infirmes. L'administration cen- trale ne prélève régulièrement pour sa caisse ([u'un quart de penny (2 centimes et demi) par semaine sur chacun de ses membres, et ne leur garantit d'autre secours qu'une indemnité de 30 à 50 livres sterl. (750 fr. à 1250 fr.), s'ils éprouvent un accident dans l'atelier. Mais elle fixe à 10 shillings (12 fr. 50 c.) par semaine l'allocation accordée aux premiers ouvriers en cas de grève ou de lock oui; à 4, 2, et 1 shilling (5 fr., 2 fr. 50 c. et 1 fr. 25 c.) celle de leurs aides : aussi se* réserve-t-elle, d'une part, la faculté de pro- poser à toute la confédération une levée extraordinaire pour venir en aide à telle de ses branches qui ne pourrait continuer ses payements, et, d'autre part, le droit de refu- ser sa sanction aux grèves qui ne lui paraî- traient pas suffisamment justifiées. Grâce à ce pouvoir, elle a souvent obtenu qu'une tran- INDUSTRIES DIVERSES. 255 saction entre maîtres et ouvriers vînt pré- venir des luttes près d'éclater. Celles qu'elle n'a pu empêcher sont peu nombreuses et faciles à énumérer : une à Preston et à Wigan en 1853, qui fut suivie d'un lock oui; une autre, la même année, et une en 1867 à Stockport (1) ; et enfin une dernière, en no- vembre 1868, contre un filateur du Cheshire qui refusait de reconnaître TUnion. Ces grèves ont été exemptes de toutes violences, et Ton est heureux de constater qu'aucune passion vraiment hostile n'est venue affaiblir les sou- venirs de 1862. On a vu, au contraire, les maîtres et les ouvriers de presque toutes les villes manufacturières se rencontrer, durant ces dernières années, dans des conférences où ils ont rédigé en commun des tarifs de salaires. Acceptés de part et d'autre comme une loi, ces tarifs sont élevés ou abaissés de tant pour cent, selon que l'état du marché permet d'augmenter ou oblige de diminuer (1) Dans cette grève, la plus importante de toutes, les ouvriers finirent par réussir, mais après avoir dépensé ZiOOO Uvres sterl. (100 000 fr.) 256 LES ASSOCIATIONS ODVRIÈRfiS EN ANGLETERRE. le prix de la main-d'œuvre. L'objet principal de Tassociation est d'obtenir la fixation de ces tarifs partout où ils n existent pas encore, de les faire respecter dans tous leurs articles, et détudier les cours des produits bruts et ouvrés, afin de demander à propos l'accrois- sèment des salaires, et de ne résister à leur réduction que si elle n'est pas nécessaire. Elle se propose aussi de veiller à l'observation de la loi qui limite à dix heures le travail des manufactures , et d'obtenir même que cette limite soit graduellement réduite à huit heures, réduction que les ouvriers de presque tous les métiers considèrent comme une im- portante garantie d'indépendance et de pro- grès intellectuel. En cherchant à régler ses démarches d'après la situation véritable du commerce, l'Union réfute une des accusations qu'on a le plus souvent dirigées contre les associa- tions ouvrières. Au moyen d'un registre fort complet où il inscrit toutes les variations du marché, son secrétaire peut toujours contrôler les assertions des maîtres et les réclamations INDUStRIES DIVERSES. 257 des ouvriers. Se dégageant des étroits pré- jugés de caste, TUnion, à mesure que les grèves deviennent plus rares, voit son rôle s*élever, et le ton de ses relations avec les maîtres se ressent d'un si heureux change- ment. Ainsi, dans une lettre adressée, au moment de la grève de 1867, aux fîlateurs de Stockport, qui voulaient réduire les sa- laires, c'est sur le terrain de l'intérêt général qu'elle se place pour leur répondre : a Les » guerres, les crises financières, leur dit-elle, » ont paralysé nos exportations : ce serait le » moment, non d'augmenter la production » et de chercher en vain par un abaissement » de salaires, à rouvrir un marché fermé par » encombrement, mais au contraire celui de y> réduire la production. Mettez plutôt les » ateliers à la demi-journée de travail. » Nous ne rechercherons pas si ce conseil était ou non le meilleur dans de pareilles circon- stances ; mais cette lettre montre bien, ce nous semble, l'esprit nouveau qui anime les ouvriers dans certaines industries, et la manière dont leurs grandes associations. 258 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈHES EN ANGLETERRE. lorsqu'elles sont bien dirigées, exercent Tin- fluenee qu'elles ont conquise. 11 y a loin des absurdes règlements par lesquels certaines sociétés ont prétendu asser- vir rindustrie à leurs fantaisies, de ces pro- hibitions qui devaient isoler tous les districts les uns des autres, au langage si sensé et si réfléchi des unionistes dç Stockport. On voit maintenant que les Unions diffèrent telle- ment les unes des autres, qu'on n'a le droit d'étendre à leur ensemble aucun des repro- ches adressés à quelques-unes d'entre elles. Nous terminerons par une remarque encou- rageante pour l'avenir : c'est que plus ces sociétés s'étendent et se fortifient, plus aussi elles se modèrent dans leurs allures. Lors- qu'elles sont peu nombreuses et isolées, un esprit intolérant les anime souvent: à mesure qu'elles grandissent, elles sentent mieux la responsabilité de leurs actes; le mécanisme électoral pratiqué constamment dans leur sein amène presque toujours à leur tête des hommes de mérite, et la plus grande partie de la classe ouvrière a le bon esprit de les INDUSTRIES DIVERSES. 259 écouter et de les suivre, quoiqu'ils ne se fassent pas les instruments de tous les préjugés et de toutes les passions qui peuvent subsister chez elle. CHAPITRE IX REMÈDES AUX GRÈVES On a vu la formation des Unions, leur caractère , leur développement et Tusage qu'elles ont fait de leur puissance. Nous avons, aussi fidèlement qu'il nous a été poBsible, mis S0U8 les yeux du lecteur tout ce qui peut servir à les juger. Nous résume- rons ici, en quelques mots, les principaux chefs d'accusation qui ont été dirigés contre elles, et les arguments les plus concluants qu'elles y ont opposés. Un examen impartial a suffi pour dissi- per les cruels et injustes soupçons que les crimes de Sheffield avaient fait peser sur la totalité des Unions. Quelques scélérats se REMÈDES AUX GRÈVES. 261 sont rencontrés qui ont prétendu servir par ces actes abominables les associations aux- quelles ils appartenaient; mais leurs attentats ne sauraient retomber sur les Unions en général. Celles-ci n'en sont pas plus respon- sables que les anciens chefs de la Ligue ne le furent autrefois du meurtre de Henri IV, ni récemment les généraux confédérés de l'assas- sinat de M. Lincoln. On leur a reproché de nombi^euses vio- lences ; on les a accusées d'organiser un sys- tème d'intimidation contre tous ceux qui leur résistaient, et la preuve en a été faite de- vant la Commission pour im certain nombre de cas. Mais ce nombre pauaîtra peu consi- dérable à ceux qui tiendront conipte de l'énorme population au milieu de laquelle on a pu choisir des exemples ; et ces exemples montrent que les sociétés ouvrières ont be- soin d'être éclairées et parfois mieux dirigées, nullement qu'elles méritent une condamna- tion générale. D'ailleurs, si cette condamna- tion devait être prononcée, elle atteindrait la classe tout entière des travailleurs et non les 15. 262 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Unions en particulier; car, à côté des faits blâmables imputés à leur influence, on peut en citer au moins autant auxquels elles ont été absolument étrangères. Les critiques qui leur sont adressées au point de vue économique semblent mieux justifiées au premier abord : cependant, exa- minées de près, elles perdent une grande partie de leur valeur. Sans doute l'esprit de monopole et de pri- vilège s'est jusqu'à im certain point réveillé chez elles; mais il a été surtout entretenu par les luttes ruineuses que, tantôt à tort, tantôt avec raison, elles ont engagées contre les maîtres. On les a accusées en bloc de vouloir réta- blir les anciennes corporations, en limitant le nombre des recrues de chaque profession, et en leur imposant le système de l'apprentis- sage. Mais elles ont trouvé ce système consacré par une coutume bien des fois séculaire ; et si elles l'ont maintenu, obéissant en cela à un sentiment naturel à l'homme, qui n'aime pas à voir ses plus jeunes concurrents affran* REMËDËS AUX.. GRÈVES. 263 chis des entraves auxquelles lui-même a été soumis autrefois, elles n'ont cependant ja- mais cherché à l'introduire là où il n'existait pas. Quelques-unes ont voulu défendre à l'ouvrier de travailler au delà d'une cer- taine mesure, et faire passer sur tous, par l'égalisation complète des salaires, le niveau de la médiocrité. Mais celles-là sont peu nombreuses, et l'opinion de la classe même à laquelle elles appartiennent, éclairée par la discussion, a déjà décidé plusieurs d'entre elles à abandonner cette prétention. Les associations ouvrières n'ont pas éteint cette émulation et cette féconde ambition que donne à l'homme la conscience de sa valeur intellectuelle. Les maîtres entendus par la Commission ojit apporté eux-mêmes la preuve vivante de ce fait; car, parmi ceux de ces témoins qui sont fils .de leurs œuvres, un bon nombre ont appartenu à des Unions alors qu'ils étaient ouvriers. Le grief le plus souvent opposé aux asso- ciations ouvrières est tiré des grèves nom- 26& LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. breiises auxquelles elles sont mêlées. C'est à peu près comme si Ton disait que Tinvention de la poudre est la cause de toutes nos guerres. En introduisant dans ces luttes une tactique plus habile, elles en ont certaine- ment augmenté la gravité; mais elles ne les ont pas rendues beaucoup plus fréquentes. Elles ont plus d'une fois, en cherchant à con- quérir leur place dans Tordre social, dépassé les limites de leur légitime influence ; mais, cette place conquise, elles peuvent un jour devenir à la fois un élément nouveau de force productive et un gage sérieux de concorde : quelques-uns même de leurs chefs appellent déjà hautement de leurs vœux cet heureux avenir. Pour ce qui est du travail à la tâche, nous voyons que, loin d'être condamné par ces so- ciétés, il est accepté par elles dans presque toutes les industries étudiées par la Commis- sion. Deux seulement font exception, celle des bâtiments et celle des machines. Encore, pour la plupart des métiers qui dépendent de la première, les principaux entrepre- REMÈDES AUX GRÈVES. 265 neiirs se sont-ils prononcés, comme les Unions, en faveur du payement à la jour- née, et il a été reconnu que bien souvent ce système de salaire était le seul possible. « Pourquoi d'ailleurs serait-il si mauvais», remarque spirituellement un témoin dans sa déposition, « puisque, depuis le premier » ministre de Sa Majesté jusqu'au dernier » mousse de la marine royale, tous les em- r » ployés de TEtat sont payés à la journée et » n'en remplissent pas moins bien leur » devoir? » Quoi qu'il en soit, au reste, de ces juge- ments divers dont les Unions sont l'objet, leur existence est un fait : elles ne peuvent être détruites;' elles sont puissantes, et leur force s'accroît tous les jours. Quel avenir leur est réservé? Voilà ce que chacun se demande, à bon droit, avec un mélange d'inquiétude et d'espoir. Cette puissance, mal dirigée, peut augmenter d'une manière funeste le trouble inévitable que sa seule apparition a jeté dans l'industrie. Mais, d'autre part, ne peut-on pas, nous l'avons dit, attendre d'elle une action 266 LES ASSOCIATIONS OUYKIKRES EN ANGLETERRE. salutaire? Ne peut-on trouver dans ces asso- ciations mêmes une garantie efficace contre le retour de ces luttes industrielles qui nous ont toujours rappelé le duel japonais où cha- cun des deux adversaires est obligé de se donner la mort de sa propre main? Nous le croyons, et il nous semble que la Commission a jeté sur cette question une lumière rassurante. Nous ne nous arrêterons pas aux recom- mandations qu'elle pourra faire au Parle- ment, ni aux lois que celui-ci pourra voter. Ces lois ajouteront, nous l'espérons, une nouvelle pierre à l'édifice des libertés an- glaises. Les Unions sortiront de la fausse position où elles se trouvent aujourd'hui : une mesure définitive remplacera le bill tem- poraire de M. Russel Gurney, quoiqu'il soit difficile de prévoir encore qui l'emportera, de ceux qui soutiennent dans la Chambre les vœux des Unions, ou de ceux qui veulent réduire leur puissance. Les premiers obtien- dront-Us pour elles toutes les garanties qu'elles désirent, entre autres la suppression REMÈDES AUX GRÈVES. 267 des poursuites pour conspiration, le droit d'enregistrement, qui en ferait des personnes morales, et la protection de leurs fonds contre les caissiers infidèles (1)? Ou bien les alarmes des seconds prévaudront-elles dans le Parle- ment, et les associations seront-elles obligées de partager leurs fonds entre deux caisses, Tune destinée aux grèves, l'autre fournis- sant les secours aux malades et aux vieillards, sans virements possibles entre elles? Quelque importante que soit, en cette occasion, la décision parlementaire, Tavenir n'en dépen- dra pas. Ce n'est pas la législation, c'est Texpérience qui peut tracer aux associations ouvrières le rôle efficace qu'elles doivent aspirer à jouer. Comme Texpérience d'un peuple peut profiter à un autre, nous termi- nerons cette étude en recueillant dans l'en- quête de la Commission royale les exemples qui prouvent que les Unions actuelles, ou (1) Sir Fowell Buxton avait présenté, Tannée dernière, un projet de loi qui assurait aux Unions toutes ces garanties; malheu- reusement il ne pourra le défendre dans le nouveau Parlement, où il ne siège pas. 268 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. peuvent servir à consolider l'harmonie entre les ouvriers et les patrons, ou, dans des cir- constances favorables, cèdent facilement la place à des associations plus capables d'as- surer cette heureuse entente. L'Angleterre doit à quelques esprits pra- tiques et entreprenants de pouvoir déjà citer un certain nombre de pareils exemples. La Commission a interrogé trois de ces hardis novateurs qui ont particulièrement bien réussi dans leur œuvre de conciliation. L'aperçu que nous allons donner est en grande partie extrait des dépositions de M. Kettle, juge du comté de Worcester; de M. Mundella, fabricant à Nottingham et membre du nouveau Parlement; et de M. Briggs, propriétaire de houillères près de Normanton. I. CONSEILS d'arbitres. 10 M. Kettle. La fréquence même des grèves a fait essayer souvent le système de l'arbitrage, REMÈDES AUX GRÈVES. 269 et, lorsqu'il a été pratiqué avec discernement, il a donné les plus heureux résultats. En 4864, les entrepreneurs de bâtiments et les charpentiers de Wolverhampton, ne pouvant s'entendre, résolurent d'appeler M. Kettle pour trancher leur différend. Six maîtres et six ouvriers, délégués, se réunirent sous sa présidence. Après de vives discus- sions, où chacun put entendre les arguments de la partie adverse, ils finirent par s'ac- corder si bien sur toutes les questions en litige, que le président n'eut pas à voter une seule fois. Encouragé par un essai aussi heureux, M. Kettle résolut de donner à cette réunion d'arbitres une organisation perma- nente : les maîtres d'une part, les charpen- tiers, les plâtriers, et enfin les maçons en briques de l'autre, s'associèrent à ses vues, et leurs fondés de pouvoir, sous sa prési- dence, rédigèrent un tarif de salaires, destiné à rester en vigueur pendant un an. Tous les maîtres représentés à cette conférence durent afficher le tarif dans leurs ateliers, et en donner copie à chaque ouvrier qu'ils 270 LES ASS0CIATI0I9S OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. engageaient, en lui déclarant que c'était la base de leur contrat. L'un des articles stipu- lait que toutes les contestations devraient être portées devant la réunion des six maîtres et des six ouvriers, constituée en conseil d'ar- bitres (1). La condition essentielle qui don- nait à ce conseil sa force et son efficacité, c'est qu'il se composait, non de simples délé- gués, mais de véritables fondés de pouvoir : ceux-ci devaient donc tranchertoutes les ques- tions en litige, sans avoir à en référer à leurs mandants, sans que ceux-ci pussent refuser de se soumettre à leurs décisions. En effet, maîtres et ouvriers, s'engageant d'avance, par le tarif convenu entre eux, à reconnaître ces décisions, elles se trouvaient avoir force de loi d'après la jurisprudence anglaise, et pouvaient, en cas de résistance, être rendues exécutoires par les magistrats des comtés. (1) Les querelles insignifiantes pouvaient^ en première instance, être soumises à deux membres du conseil, afin d'évi- ter de le réunir trop souvent, tout en réservant à celle des deux parties qui n'accepterait pas la première décision, le droit d'en appeler à lui. REMÈDES AUX GRÈVES. 271 Une fois Je taux des salaires fixé ainsi pour un an, d'une manière invariable, et par un consentement mutuel, les ouvriers et les maî- tres individuellement n'étaient tenus qu'à l'ob- servation du chiffre convenu, et tous les con- trats par lesquels les uns s'engageaient à tra- vailler pour les autres, et ceux-ci à leur donner de l'emploi, étaient toujours résilia- bles dans les vingt-quatre heures, si l'une des deux parties n'était pas satisfaite. Le prix de la main-d'œuvre étant déterminé au com- mencement de la saison des constructions, les entrepreneurs purent, en toute sécurité, faire leurs devis, et les ouvriers, de leur côté, furent garantis contre les abaissements de salaire qui venaient subitement changer les conditions de leur existence. L'autorité arbi- trale du conseil fut valide pour un an. L'année expirée, ses pouvoirs durent être renouvelés, et, le tarif des salaires étant remis en discus- sion, chacun fut toujours libre alors de le re- fuser ou de s'y soumettre. Si, pendant cette année, un maître voulait, au bout de la se- maine, payer ses ouvriers à un taux moindre 272 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. que lé chiffre fixé, ils pouvaient en appeler au conseil, et citer le maître devant les tri- bunaux pour avoir manqué à un contrat. Sans douté, ils ne pouvaient le poursuivre si, même dans le cours de Tannée, il déclarait d'avance qu'il refusait désormais d'accepter le tarif et Farrachait de ses ateliers; mais alors il aurait été considéré comme se met- tant en grève, et, si les autres maîtres conti- nuaient à donner des salaires plus élevés que ceux qu'il proposait à ses ouvriers, ceux-ci l'au- raient tous quitté. Une infraction au tarif faite par tous les maîtres à la fois serait la viola- tion d'un engagement d'honneur, dont on n'a jamais pu les soupçonner, lisse sont toujours, au contraire, soumis aux décisions du conseil. Ainsi, M. Kettle ayant été appelé à en former un à Coventry, et à le présider, il se trouva que ce conseil se partagea également sur la fixation du taux des salaires; il fallut que M. Kettle le départageât. 11 se prononça en faveur des demandes des ouvriers : les maîtres acceptèrent sa décision sans mur- murer. En fixant ainsi un tarif de salaires. REMÈDES AUX GRÈVES. 273 valable pour une période déterminée, quelles que soient ailleurs les variations du prix de la main-d'œuvre, maîtres et ouvriers fout un véritable marché à terme, et se trouvent moralement aussi engagés que le vendeur et l'acheteur le sont dans un marché de ce genre. Quelques membres de la Commission ont paru croire qu'en pratique les ouvriers ne se tiendraient pas pour obligés aussi strictement que les maîtres à l'observation du tarif. Sans doute, un ouvrier qui espère trouver de meil- leurs salaires dans une autre ville, peut tou- jours quitter celle dont le tarif lui semble in- suffisant. Ce n'est cependant pas pour lui une chose aussi facile qu'elle le paraît au premier abord; son déplacement avec sa famille, le changement de ses habitudes, sont des consi- dérations qui l'arrêteront longtemps. Mais, dit-on alors, qu'est-ce qui l'empêche, une fois l'engagement légal de vingt-quatre heiires expiré, de réclamer un salaire plus élevé que celui du tarif? Pourquoi plusieurs centaines d'ouvriers ne feront-ils pas ensemble cette 274 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. même demaude? Il n'y a pas d'article de loi qui le leur défende, et la responsabilité étant partagée entre tant de personnes, chacune d'elles se croira moins obligée de respecter les obligations qu'elle impose. Il n'y aurait rien à répondre à cette objection, si l'Union, chan- geant de rôle et se montrant sous un jour nou- veau, n'arrivait à propos pour prendre cette responsabilité à laquelle échappent les indi- vidus. Quoique les fondés de pouvoir des ouvriers soient nommés également par les unionistes et les non-unionistes, ils sont tou- jours choisis parmi les chefs de l'Union, et représentent avant tout son influence : les affaires courantes sont traitées entre le prési- dent du conseil d'arbitres et les secrétaires de l'association des maîtres et de celle des ouvriers. Une fois que l'Union intervient ainsi pour la fixation du tarif des salaires, elle est engagée d'honneur à le faire observer, et, pouvant menacer chacun de ses membres, soit d'une amende, soit d'une expulsion, elle pos- sède seule l'autorité nécessaire pour les obliger à le respecter. Plus elle se développe, plus elle REMÈDES AUX GRÈVES. 275 offre donc au système de M. Kettle les seules garanties qui pouvaient lui manquer. Aussi eut-il un tel succès à Wolverhampton, que son auteur fut bientôt appelé pour rétablir successivement à Coventry et à Worcester, et ne tarda pas à trouver des imitateurs tant à Walsall que parmi les potiers du Stafford- shire. Partout les résultats ont été des plus satisfaisants. 2« M. Mundella. Les conseils d'arbitres établis par M. Mun- della dans l'industrie de la bonneterie, à Nottingham, nous offrent un exemple encore plus complet et plus remarquable de leur bonne influence sur les rapports entre les patrons et les ouvriers. En effet, ils ont suffi à ramener la paix et la concorde dans cette in- dustrie, troublée auparavant par des lattes si acharnées. On se souvient que la ville de Nottingham avait acquis une triste célébrité au commencement de ce siècle par les émeutes et les crimes dont elle était constamment le théâtre. La sanglante répression des Lilddites 276 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. n'avait pas étouffé les passions qui les inspi- raient, et, de 1825 à 1860, elles fomentèrent des grèves incessantes. M. Mundella décrit parfaitement cette situation dans une de ses dépositions : « Lorsque les affaires allaient » mal, dit-il, le manufacturier pesait sur » l'ouvrier pour abaisser les salaires autant » qu'il était possible. Moins il avait de con- » science, plus il les abaissait par cette pres- » sion, et, quand arrivait le moment favo- » rable où ils auraient pu être haussés, quand » les affaires allaient mieux, alors, quoique la » nature même des choses, c'est-à-dire la » demande du travail, les fît parfois un peu » monter^ les maîtres s'opposaient de toutes » leurs forces à leur élévation. Les ouvriers » envoyaient chez eux des députés des Trades- y> Unions. Tantôt ils étaient mis à la porte, on » ne voulait pas reconnaître les Unions ; tantôt » on leur répondait : Nous verrons ce que » feront nos voisins. Après avoir fait le tour » des maisons des maîtres et avoir été partout w reçus de la sorte, les ouvriers s'en rëtour- » naient chez eux, et généralement se met- REMÈDES A0\ GRÈVES. 277 » taient eu grève : la longueur de la grève » dépendait des circonstances. Ils avaient » peut-être demandé plus que le taux naturel, » plus que Tétat du commerce ne les y auto- »risait^ C'était alors entre le manufacturier » et Fouvrier à qui affamerait Tautre jusqu'à » ce qu'on fît une transaction (1). » En 1860, les affaires allaient au plus mal : une classe d'ouvriers, demandant une aug- mentation considérable de salaires, était en grève depuis onze semaines ; toutes les Unions la soutenaient; et les maîtres allaient avoir recours à la mesure extrême d'un lock ont général. « Mais c'eut été, dit M. Mundella, » jeter toute la population dans les rues, et » nous aurions eu une effroyable commotion. (1) M. Mundella, qui a paru, comme témoin devant la Com- mission, dont M. Roebuck est membre, et quia été interrogé par lui, devait le rencontrer, peu de mois après, durant les der- nières élections, sur les hustings de Sheffield, où il se pré- senta comme son compétiteur. Grâce à la grande et juste popularité qu'il a acquise par ses arbitrages, Tancien ouvrier de Nottingham l'a emporté sur le savant légiste, qui avait long- temps représenté la ville de Sheffield; et il apportera à la Chambre des Communes le concours utile de son crédit, de son expérience et de sou impartialité. 16 278 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. » Nous étions tous las de ces procédés, et » quelques-uns d'entre nous pensèrent qu'on » pourrait essayer quelque chose de mieux. » Inspiré par un vague souvenir des conseils de prud'hommes, M. Mundella songea à con- stituer un tribunal d'arbitres, et, assisté de deux autres maîtres, il proposa une confé- rence aux ouvriers. Ceux-ci députèrent une douzaine d'entre les chefs des Trades-Unions. On se réunit, on se regarda d'abord avec dé- fiance, comme les parlementaires de deux armées ennemies ; puis on s'adoucit ; en dis- cutant, on finit par se comprendre, et, au bout de trois jours, quoique les préventions réci- proques ne fussent pas toutes dissipées, les basés du nouveau système étaient arrêtées. Tous les maîtres de Nottingham furent invités à se réunir pour élire neuf délégués : là moitié d'entre eux environ répondit à cet appel. Les ouvriers se firent moins prier : ceux qui avaient conféré avec M. Mundella convo- quèrent en assemblées générales les Unions auxquelles ils appartenaient, leur rendirent compte du plan proposé et le leur firent REMÈDES AUX GRÈVES. 279 adopter. Dès lors, son succès fut assuré. Les ouvriers étrangei's à ces associations étaient peu nombreux : ils suivirent les inspirations qui leur venaient d'elles; et c'est grâce à la puissante influence des Unions que les conseils d'arbitres purent s'établir et fonctionner. M. Mundella déclare même que, si elles n'a- vaient pas existé, la formation de ces conseils aurait été bien plus difficile, et qu'ils n'au- raient jamais trouvé ailleurs la sanction que leur assure l'appui des sociétés ouvrières. Voici donc ces sociétés, tout à Theure encore absorbées par la lutte, qui, par le simple effet d'une heureuse entente entre les maîtres et les travailleurs, deviennent l'instrument in- dispensable de leur accord. Lorsqu'il fallut nommer neuf délégués pour représenter les ouvriers, ceux-ci trouvèrent dans l'organisa- tion des Unions un mécanisme tout prêt pour faire cette élection. Ce furent les secrétaires des différentes sociétés qui, dans chaque branche de l'industrie, recueillirent les votes de tous les ouvriers unionistes ou non-unio- nistes, et ce furent les chefs les plus actifs des 280 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. Unions que le suffrage désigna pour siéger au conseil. Les craintes que ce choix avait pu faire naître chez quelques maîtres habitués à voir des adversaires passionnés dans ces nouveaux collègues furent promptement dissipées. Ils reconnurent bientôt qu'ils n'auraient pu trouver des intermédiaires plus sensés et plus modérés entre eux et la masse de leurs ouvriers. Les chefs reconnus par cette masse encore ignorante et défiante surent plus d'une fois arrêter ses entraînements, l'éclai- rer sur ses vrais intérêts, sans jamais perdre sa confiance , comme le prouva leur fré- quente réélection : ils mirent toujours au service de la concorde et de l'équité l'in- fluence que leur assurait leur position émi- nente dans l'Association. Le conseil, composé d'abord de neuf, puis de dix maîtres, et d'autant d'ouvriers (1), (1) Une commission, composée de quatre membres, se réunit pour préparer le (ravail du conseil, trancher les ques- tions secondaires, et décider, lorsque cela est nécessaire, les convocations extraordinaires. Deux secrétaires salaries tien- nent la minute des séances du conseil, Tun pour TAssociation des maîtres, l'autre pour le compte des Unions. REMÈDES AUX GRÈVES. 281 choisit naturellement pour président M. Mun- della, qui, depuis huit ans, a occupé ce poste avec une rare impartialité. Durant ce temps, son système a fini par triompher de Thosti- lité ouverte ou cachée qu'avaient rencontrée ses premiers efforts. Quarante-deux maîtres sur quarante-cinq ont recoimu F autorité du conseil et formé une société pour la soutenir ; et les dix délégués ouvriers, élus aujourd'hui par la totalité de leurs camarades, repré- sentent plus de vingt mille personnes. Le conseil règle par un tarif les salaires qui sont tous payés à la tâche : ce tarif demeure en vigueur tant que F état du marché le permet, et, si quelque variation des prix en exige la modification , la partie qui la réclame doit notifier sa prétention au conseil un mois d'a- vance. Ces changements se font d'ailleurs toujours à l'amiable ; car, lorsque maîtres et ouvriers se trouvent assis, sans ordre, sans distinction, autour d'une même table, pour discuter leurs intérêts respectifs, dans une industrie qui les fait vivre les uns et les autres, ils ne tardent pas à s'apercevoir que ces inté* 16. 282 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. rets sont solidaires. Plus d'une fois les ouvriers ont renoncé à une augmentation de salaire qu'ils croyaient légitime, lorsque les maîtres leur ont prouvé, les chiffres à la main, que, pressés par la concurrence étrangère, ils ne pouvaient la leur accorder sans perdre les débouchés de lem*s produits. Les maîtres, pour les mieux convaincre, ont même envoyé quelques-uns de leurs collègues ouvriers vi- siter la France et TAllemagne. D'autre part, ils ont aussi appris, en discutant avec les ou- vriers, à mieux apprécier les saines conditions du travail : ainsi, sur les représentations de ceux-ci, ils se sont décidés à ne jamais leur demander plus de dix heures d'ouvrage par jour, même dans les moments de la plus grande activité. L'harmonie s'est établie entre eux d'une manière si complète, que, depuis quatre ans, aucune résolution du conseil n'a eu besoin d'être mise aux voix. Les uns et les autres trouvent dans les décisions de ce conseil une garantie également précieuse. Chaque maître étant désormais assuré qu'aucune maison rivale ne pourra REMÈDES Al}X GRÈVES. 283 fabriquer à meilleur marché que lui en abais- sant indiiment les salaires, peut se livrer à une production plus constajite et plus régu- lière. Les ouvriers, au lieu d'adresser direc- tement aux patrons toutes les demandes relatives aux salaires, avec la perspective d'avoir à les appuyer par une grève ruineuse, en appellent au conseil, assurés d'obtenir toujours une décision équitable. Aussi, quoique ces décisions ne puissent, comme celles des arbitres établis par M. Kettle, être invoquées devant les tribu- naux, n'en ont-elles pas moins une souve- raine autorité. Si quelques ouvriers, comme cela est arrivé une ou deux fois, veulent y résister, mis au ban de l'Union, qui leur refuse tout secours, ils ne peuvent longtemps sou- tenir leurs prétentions. Les maîtres qui n'ont pas ouvertement reconnu le conseil n'en sont pas moins obligés, dans la pratique, à se conformer à ses arrêts. Car, si quelqu'un d'entre eux veut donner à ses ouvriers un salaire inférieur à celui du tarif accepté par les autres fabricants, ceux-ci, loin de Taider 284 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. OU de se croire, comme ailleurs, obligés de l'imiter, le réduisent à Timpuissance en se liguant avec les travailleurs, et en donnant eux-mêmes de Touvrage à ceux qui l'ont quitté, pour résister à cet abaissement intem- pestif. De la sorte, maîtres et ouvriers, réunis par des intérêts communs, forment, en fail, une seule association, éclairée par les discus- sions du conseil et gouvernée par ses déci- sions. La classe ouvrière lui est redevable des améliorations les plus heureuses dans sa con- dition. Elle lui doit en grande partie la stricte observation de la loi, ouvertement éludée auparavant, qui interdit les Truck-shops, avec tout leur cortège d'abus. Elle lui doit aussi de ne plus être imbue de certains préj ugés, tels que l'hostilité contre les machines, qui avait mis les armes aux mains des Luddites, et dont les funestes suites retombaient particulière- ment sur elle. Aussi les Unions d'ouvriers, qui, dans cette industrie, n'étaient que des Trade-SocietieSj et n'ont jamais eu de fonds de secours, en sont-elles arrivées à ne plus faire presque aucune dépense. Tout en con- REMÈDES AUX GRÈVES. 285 servant leur puissance et leur organisation, elles ne sont plus à charge, grâce à l'absence de grèves, à la bourse de leurs membres, et ne leur demandent qu'une souscription in- signifiante, de 1 shilling par an (moins de 2 J centimes par semaine). Les luttes stériles entre le capital et le travail, dont le public finit toujours par payer les frais, ont ainsi disparu de Tun de leurs foyers les plus actifs, sans que cet heureux changement porte aucune atteinte à la saine concurrence, la seule vraiment profitable au consommateur. Un pareil exemple ne pouvait rester sans imitateurs. En juin 1868, un conseil fut établi dans l'industrie des dentelles de Not- tingham, sur la demande des ouvriers. Le lendemain même du jour où la Commission s'était occupée de cette question, Tun de ses membres. Lord Elcho, réunit chez lui deux adversaires jusque-là irréconciliables, M. Lan- caster, qui représentait plusieurs proprié- taires de houillères du South Lancashire, et M. Pickard, chef des Unions de mineurs de ce district, et, assistés de Texpérience de 286 LES ASSOCIATIONS 013VRIÈRES EN ANGLETERRE. M. Mnndella, ils jetèrent entre eux les bases d'un conseil analogue à celui de Nottingham. Les districts miniers du StafFordshire, de Middlesborough et de Cleveland, même les ouvriers en bâtiments de Bradford, jusqu'à présent si intraitables, ont demandé à M. Mun- della de venir les doter du système qui a si bien réussi sous ses auspices. Enfin, chose plus remarquable encore, la même invita- tion lui est venue de cette industrie des limes de Sheffield, dans laquelle nous avons vu les Unions établir leur domination par les moyens les plus violents. II. LA COOPÉRATION. Nous en avons dit assez pour montrer que les conseils d'arbitres ont apaisé bien des passions hostiles. Mais ils ne peuvent suffire à les éteindre complètement, à reléguer dans le domaine du passé les luttes funestes qu'elles engendrent. Il faut plus que cela pour porter le remède jusqu'à la racine du mal, et con- REMÈDES AUX GRÈVES. 287 fondre à jamais les intérêts de deux classes trop longtemps divisées. Les sociétés coopératives semblent des- tinées à devenir le principal instrument de cette révolution salutaire. Tandis que bien des institutions diverses, en encourageant Tépargne, améliorent la situation de Ton- vrier, la société coopérative, dite de pro- duction, le transforme directement en capi- taliste, par la part qu'elle lui assure dans les bénéfices de l'entreprise à laquelle il apporte le service de ses bras. Les malheurs arrivés à quelques-unes de ces associations ont jeté sur le système tout entier une défaveur qui nous semble imméritée. Aussi croyons-nous intéressant de faire connaître les succès que, grâce à une direction judicieuse, elles ont obtenus sur le terrain même où elles devaient rencontrer les plus grands obstacles. Nous choisissons deux exemples, fournis, Tun par les recherches de la Commission royale, Vautre par un rapport sur les populations agricoles, présenté Tannée dernière au Parle- ment. Le premier nous montrera le système 288 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. coopératif appliqué à Tune des industries qui exigent les plus grands capitaux, Texploi- tation d'une houillère ; et l'autre son intro- duction dans l'agriculture . 1° La houillère de Briggs and C> . Pour faire valoir une houillère, il faut un capital de roulement égal à autant de fois 100 livres sterl. (2500 fr.) qu'il y a d'ouvriers employés. Il est donc impossible qu'une entre- prise de ce genre soit l'œuvre exclusive des mineurs associés : ils ne pourraient trouver entre eux un capital aussi considérable. Combien d'années leur faudrait-il pour amasser 100 livres sterl. chacun? Et même alors comment pourraient-ils renoncer au salaire régulier qui seul encore leur assure leur pain quotidien, pour toucher un simple dividende, qui, dans une industrie aussi va- riable, après avoir été considérable une année, se trouve être nul l'année suivante? Ce sont ces difficultés, insurmontables en apparence, qui ont été tournées de la façon REMÈDES AUX GRÈVES. 28d la plus heureuse par le système adopté dans les houillères de M. Briggs. Frappée de ses avantages, la Commission a interrogé, non- seulement les fondateurs de l'entreprise, mais aussi plusieurs ouvriers, autrefois leurs ad- versaires acharnés, devenus aujourd'hui leurs associés et leurs auxiliaires les plus actifs. Les houillères de JVhitwood and Methley JuncHon sont situées dans le South Yorkshire, où, comme nous l'avons vu, la guerre des grèves et des lock ont s'est poursuivie, dans ces dernières années, presque sans inter- ruption et avec ime animosité extrême. Elles en avaient souffert plus que toutes les autres peut-être. L'un des ouvriers actionnaires de la société actuelle, M. Joft, raconte lui-même à la Commission qu'en 1863, dans l'un de ces meetings où les orateurs de l'Union échauffaient les passions d'un auditoire déjà exaspéré contre les maîtres, il s'est écrié que «si M. Briggs avait des cornes, il serait le » diable en personne! » On peut croire que M. Briggs, de son côté, n'avait guère meilleure opinion de ces chefs populaires; 17 290 LÈS ASSOCIATIONS OCVRIÉRËS EN ANGLETERRE. car il présidait T association des maîtres^ for- mée uniquement pour combattre les Unions. C'est au milieu de ces luttes qu'il résolut de tenter une grande expérience, et de cher- cher, non plus à détruire ces sociétés en les attaquant de front, mais à les rendre inutiles en offrant aux ouvriers des avantages plus considérables que ceux qu'elles avaient ja- mais pu leur promettre. La propriété des houillères, estimée à une valeur d'environ 90 000 livres sterling (2 250 000 fr.), fut cédée à une société en commandite, formée, à cet effet, de 9000 actions de 10 livres sterL (250 fr.) chacune (1). Les anciens proprié- taires s'en réservèrent les deux tiers pour demeurer maîtres de l'administration, les 3000 actions restantes furent offertes aux mineurs, aux clients et au public. Une porte fut ainsi ouverte aux ouvriers pour entrer dans les rangs des propriétaires. Mais ils n'auraient pu en profiter, si l'on n'eût joint à cette offre les moyens d'amasser ce capital de (1) Un peu plus tard une nouvelle émission a porté le hOmbre des actions à 10 000. HËMÈDËS AtlX GRÈVES. 291 250 francs, et ajouté au mince dividende qu'il pouvait leur donner un stimulant plus puissant. Pour cela, renonçant au secret que la plu- part des industriels aiment à garder sur leurs bénéfices, M. Briggs résolut de les partager avec les ouvriers, afin de les intéresser à les accroître autant qu'il était possible. Le fonds social fut considéré comme se composant de deux éléments : d'une part, le capital fictif représenté par le travail des mineurs, et, d'autre part, l'argent des actionnaires. Les salaires payés au même taux que dans les houillères voisines, devinrent l'intérêt assuré aux ouvriers pour le premier de ces deux capitaux ; et pour le second, il fut réglé que les actionnaires auraient sur les recettes un intérêt de 10 pour 100, chiffre qui paraîtra modéré, si l'on songe qu'il doit couvrir les déficits des mauvaises années, où le capitaliste ne touche rien, tandis qu'il n'y a jamais d'in* terruption dans les salaires. Tous les bénéfices faits après ce double prélèvement furent désormais considérés comme des gains com- 292 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. muns de la société entière, et partagés entre les deux éléments à la coopération desquels ils étaient dus. Si, par exemple, au l)Out de Tannée, le bénéfice net représente 1 4 pour 1 00 du capital en actions, on attribue à ce capital 10 pour 100 à titre d'intérêts, et 2 pour 100 à titre de profit (6onM5), et les 2 pour 100 restants reviennent aux ouvriers. La somme des salaires touchés par chacun d'eux dans le courant de Tannée sert de base à la distri- bution qui leur est faite de cette part de bénéfice qui leur revient (1). Toutefois, jusqu'à présent, afin de les encourager à devenir membres de la société, un avantage a été fait, dans le partage du profit, en faveur des ouvriers qui possèdent des actions. Ainsi, en 1866, la part de ceux-ci s'est élevée à 10 pour 100 de la somme annuelle de leurs (1) En considérant ce total annuel des salaires d*un ouvrier comme Tintérêt du capital fictif qu'il apporte par son travail, on peut en déduire le chiffre -de ce capital. Ainsi un ouvrier a gagné 50 livres sterl. (1250 fr.) dans Tannée : en calculant, comme pour le capital en actions, sur un intérêt de 10 pour 100, le capital représenté par son travail sera de 500 livres sterl. (12 500 fr.) REMÈDES AUX GRÈVES. 293 salaires, tandis que les autres n'ont été ap- pelés à toucher que 5 pour 100. Cette diffé- rence fut réduite en 1867, et la répartition des bénéfices fut faite de telle sorte que le dividende des premiers représenta les douze centièmes et celui des seconds les huit cen tièmes de leurs salaires. C'est en juillet 1865 que ce système fut mis en vigueur. La plupart des chefs des Unions avaient promis à M. Briggs de le soutenir dans cette tentative; mais ils n'avaient pu vaincre la défiance des ouvriers. Le pres- tige exercé sur leur esprit par le seul mot d'Union était tel, qu'ils n'écoutaient pas ceux qui leur conseillaient de renoncer à cette institution en échange d'une autre, préfé- rable à tous égards. Leur défiance était si grande, que, M. Briggs ayant prescrit que, pour toucher sa part de bénéfice, chacun devrait acheter, moyennant 1 penny (10 cen- times), un livret où, toutes les semaines, on écrirait sa paye, un tiers seulement d'entre eux fit cette dépense insignifiante : tant ils croyaient que cet avantage qu'on leur offrait 394 LES ASSOCIATIONS OCYRIÈBES EN ANGLETERRE. ne serait qu'un leurre. Inutile de dire que, le 1*' janvier 1867, lorsque ceux qui avaient un livret reçurent 5 pour 1 00 de plus que les autres, ces préventions s'évanouirent sans retour. Cependant, par Teffet de Tincurable indiflférence que tant de gens montrent pour leurs propres intérêts, un dixième des ouvriers néglige encore aujourd'hui cette simple for- malité. Rien ne prouve mieux que les chifl&»es soumis à la Commission par M. Briggs et son frère le succès de leur œuvre. Dans Tannée 1 867, ils ont fait un bénéfice net de 20 41 7 li- vres sterl. (510 425 fr.), tous frais et amor- tissements payés. Une partie seulement de cette somme a été partagée en dividendes et profits, car 8000 livres sterl. (200000 fr.) ont été mises de côté pour fissurer une répar- tition aux ouvriers dans les années mauvaises qui pourront survenir. Quoique, à cette époque, l'exploitation de la houille ait été particulièrement lucrative, ce résultat n'en est pas moins remarquable : au dire de MM. Briggs, l'ancien système ne leur aurait HEMÈDKS AUX GRÈVES. 295 pas donné de pareils bénéiiées dans des circonstances analogues. Chose plus remarquable encore, le rende- ment de la mine ne s'est* presque pas ressenti, grâce à la nouvelle organisation de la société, de la période de souflFrance qui a suivi. C'est qu'un autre esprit anime tous ceux qui y travaillent : tous solidaires, tous également intéressés au succès de l'entreprise, ils ont apporté à l'accomplissement de leur tâche, au lieu de l'insouciance du mercenaire, l'ar- deur de l'industriel qui poursuit obstinément la fortune. Depuis lors, plus de grèves : six jours de chômage seulement en trois ans ; quand un abaissement de salaire a été né- cessaire, quelques explications ont suffi pour le faire accepter sans murmures. Un jour, par exemple, les ouvriers d'un puits ayant demandé une augmentation de paye, MM. Briggs consultèrent le reste des mineurs, et ceux-ci décidèrent unanimement qu'il fallait la refuser. Désormais c'est à tous les travailleurs qu'est confiée cette surveillance des moindres détails qui assure l'économie 296 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. et la bonne gestion dans une grande exploi- tation, dans une industrie surtout où les sa- laires représentent 70 pour 1 00 des dépenses totales; et ils s'en acquittent mieux que les inspecteurs les plus scrupuleux. « Quand » dans les galeries, nous dit l'un d'eux, nous » apercevons un clou par terre, nous le » ramassons en disant ce mot passé en » proverbe : Autant de plus pour le profit » de fin d'année. » Les anciens chefs des Unions sont devenus les plus ardents à condamner et à combattre les quelques ouvriers demeurés dans les an- ciens errements. Bien plus, tous actionnaires aujourd'hui, ils sont les principaux défenseurs du partage inégal des bénéfices. Une discus- sion sur ce sujet s'engage devant la Commis- sion entre eux et M. Briggs, et c'est celui-ci qui se trouve être Tavocat de la répartition uniforme entre tous les ouvriers, qu'ils soient actionnaires ou non : il soutient que chacun d'eux, apportant une certaine quantité de travail à l'œuvre commune, a droit à un divi- dende exactement proportionnel au capital REMÈDES AUX CRÈVES. 297 que ce travail représente. Ses interlocuteurs, moins préoccupés de ce droit abstrait que du bon effet pratique de Tinégalité, lui répondent qu'il importe avant tout aujourd'hui d'amener l'ouvrier à devenir capitaliste, et qu'il faut l'encourager de toutes manières à prendre des actions dans la société. Le profit leur en donne à tous les moyens : ceux qui ne le font pas ne soutiennent pas l'entreprise autant que les autres, et par conséquent n'ont pas droit aux mêmes avantages. Cette différence en faveur des possesseurs d'actions est d'autant plus nécessaire que le simple dividende assuré par l'un de ces titres, ne représentant pour un bon ouvrier que le salaire de trois ou quatre jours de travail, ne suffira jamais pour le décider à épargner sou par soûles 10 livres (25000 fr.)nécessairesà Tachât d'une action : il ne s'imposera cetutile sacrifice que s'il lui ga- rantit en même temps une part plus considéra- ble dans les bénéfices attribués à son labeur. Cl 11 a besoin, disent-ils, d'apprendre les avan- ie tages qull y a pour lui à devenir capitaliste ; » il les ignore : eh bien! c'est un moyen très- 17. 298 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. » légitime de lui donner un peu de cette » instruction obligatoire dont on parle tant » aujourd'hui. » L'expérience montrera lequel de ces deux systèmes on doit préférer. Sans nous pro-^ noncer entre eux, nous avons voulu faire voir, en citant cette discussion, combien maî- tres et ouvriers, dépouillant tous préjugés de caste, s'intéressent au succès de leur œuvre commune. Aussi, grâce à cet esprit qui les anime, les idées prévoyantes se développent- elles de plus en plus parmi les ouvriers. Mille d'entre eux touchèrent, à la fin de 1 867, leur part de profit, et trois seulement la dépen- sèrent en boissons : ils furent expulsés, avec l'approbation unanime de leurs camarades. Pour une société aussi nouvelle, le nombre des ouvriers qui en sont devenus membres est considérable : ils sont 144 sur 989 travail- leurs adultes, et ont entre leurs mains 178 actions, équivalant à 1780 livres sterl. (44 500 francs) : capital important, puisqu'il Représente l'épargne faite en trois ans par des hommes étrangers jusque-là à toute REMÈDES AUX GRÈVES. 29d idée d'économie (1). De grandes facilités sont accordées pour acquérir ces titres : tous ceux sur lesquels ils ont payé un à-compte de 3 livres sterl. (75 fr.) leur sont assurés (2), et 230 leur ont été spécialement réservés dans la der-^ nière émission. La prospérité de la société est telle, que les actions font déjà une prime de 4 livres sterl. 10(sliill. (112 fr. 50 c.) : aussi cette réserve de titres est-elle im avantage important pour les ouvriers, car ils leur sont cédés, lorsqu'ils veulent acheter, au taux dé 12 livres sterl. 5 sh., c'est-à-dire à 56 francs au-dessous du cours du marché. En outre, neuf employés possèdent 86 actions ; les cor- respondants de la compagnie, 114; le pu- blic, 1878; et les acheteurs habituels {cuslo-^ (1) Voici le détail de la distribution des ces actions : parmi les 785 ouvriers qui travaillent sous terre, 83 sont action^ naires et possèdent 94 actions ; tandis qu'entre les ouvriers de l'extérieur, sur 204 seulement, il y a 61 actionnaires, pro- priétaires de 84 titres. U s'en trouve un dans chacune de ces deux catégories qui possède 6 actions. (2) Les actions achetées ainsi par à-compte ont toutes été payées intégralement depuis ; pas un ouvrier n'a failli à ses engagements. SCO LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. mers)^ 1068. Ces derniers, intéressés de la sorte à la prospérité de l'entreprise, ont, dans les moments de ralentissement, soutenu par tous les moyens possibles la production de la houillère, et par conséquent ses bénéfices. Quelque remarquables que soient ces ré- sultats, ils ne donnent pas la mesure des pro- grès accomplis sous Finfluence du système que nous venons d'examiner. Les profits ma- tériels que les propriétaires et les ouvriers y ont trouvés sont peu de chose à côté des au- tres avantages qu'il leur a assurés, je veux dire de l'harmonie, de la paix, de la sympa- thie mutuelles qui régnent aujourd'hui là où, tout à l'heure encore, la haine et la défiance aigrissaient tous les cœurs. Comme ils l'avaient espéré, MM. Briggs ont vu l'Union se dissoudre virtuellement, sans qu'ils l'eus- sent attaquée de front. Jamais en effet ils n'ont exclu un ouvrier parce qu'il en faisait partie ; mais ses membres l'ont spontanément abandonnée, reconnaissant qu'elle était dé- formais inutile, si bien que, dans les houil- lères do M. Briggs, où, en 1865, elle comptait REMÈDES AUK GRÈVES. SOI presque autant d'adhérents qu'il y avait d'ouvriers, une quarantaine seulement lui sont demeurés fidèles, et encore sans autre motif que celui de rester en paix avec leurs voisins. Cependant l'œuvre si heureusement inau- gurée n'est pas achevée : il faut espérer que peu à peu tous les ouvriers deviendront actionnaires, et auront une part importante dans la direction même de l'entreprise. Les fondateurs sont désireux de la leur assurer, et ce sont plutôt les ouvriers actionnaires qui croient qu'une certaine expérience leur est encore nécessaire pour acquérir les apti- tudes indispensables à Taccomplissemènt de ce mandat (1). 2° La Société agricole d'Assington. Le second exemple que nous nous propo- (1) MM. Briggs n*ont pas été seuls à adopter ce système. On cite la fabrique d'objets de fer de Greening, à Middles- borough, et les forges de Fox and Head, à Salford, où le même principe a été adopté. Mais, par suite de circonstances adverses, on n'a pu encore, dans ces deux établissements, distribuer de dividendes aux ouvriers. d02 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. sons de citer est celui d'une véritable société coopérative appliquée à Tagriculture. Il est peu connu, et mériterait cependant de l'être ; car il a pour nous l'autorité d'une épreuve soutenue pendant trente-huit ans, avec un constant succès, au milieu de toutes les dif- ficultés et de tous les hasards d'une exploita- tion agricole. Le fondateur de cette société est M • Gurdon , propriétaire aux environs du village d'As- sington, dans le Norfolk. En 1 830, il afferma 60 acres (27 hectares environ) de terres mé- diocres à ime association de quinze labou- reurs, qui prit le nom de Société coopérative agricole à! Assington. Chacun apporta au fonds commun la modeste somme de 3 livres sterl. (75 fr.), et une avance de 400 livres sterl. (10 000 fr.), faite par M. Gurdon, compléta le capital social. Les habitants de la paroisse peuvent seuls être actionnaires, et, s'ils la quittent, ils sont obligés de vendre leur part. La ferme, n'offrant de travail régulier qu'à cinq hommes et deux ou trois jeunes garçons, ne peut occuper tous les actionnaires, mais i| REMÈDES AUX GRÈVES. ^Oà est de règle que ceux-ci doivent seuls y être employés : on n'aurait recours à des étran- gers que s'il fallait un plus grand nombre de bras. L'exploitation de la ferme est confiée à l'un des ouvriers, qui, à titre d'agent, reçoit, en sus de son salaire ordinaire, le mince trai- tement d'un shilling (1 fr. 25 c.) par semaine. L'administration financière est surveillée par un comité de quatre membres, renouvelé annuellement par moitié. Quoique le capital social n'atteignit pas le chiffre que les fer- miers anglais jugent nécessaire pour faire valoir la terre, l'association prospéra: elle augmenta sa ferme de 130 acres (60 hec- tares environ), et, pour faire face à ses nou- velles dépenses (le prix de son fermage est de 200 livres sterl. ou 5000 fr.), elle s'adjoignit six actionnaires. L'emprunt fait à M. Gurdon fut remboursé; elle devint propriétaire de tout le matériel de la ferme, comprenant six chevaux, quatre vaches, cent dix moutons et une trentaine de porcs; elle assura ses bâtiments pour 500 livres (12 500 fr.); et elle vit enfin ses actions^ émises au capital S04 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. de 3 livres sterl (75 fr.), atteindre le cours extraordinaire de 50 livres sterl. (1250 fr.), ou plus de seize fois leur valeur première. Un aussi bon exemple a été suivi, et, en 1854, une société analogue s'est fondée dans le voisiniage, sur une échelle un peu plus con- sidérable : elle promet d'aussi heureux résul- tats (1). Cette application à l'agriculture du système de l'association des travailleurs nous a paru digne d'être remarquée. Son succès prouve combien elle est efficace et féconde, lorsqu'elle est faite avec discernement ; et cet exemple peut contribuer à affaiblir la distinc- tion artificielle par laquelle on sépare trop souvent chez nous l'ouvrier des campagnes de celui des villes. Quoique la situation du premier soit bien précaire et parfois bien difficile en Angleterre, on voit qu'il a su mettre en pratique une institution qui avait (1) Il existe en Amérique beaucoup de sociétés coopératives dans les industries qui exigent un capital considérable. On en a cité plusieurs devant la Commission, entre autres une qui exploite une houillère dans Tlllinois, et une fonderie coopé- rative à Troy, dans l'État de New-York, qui donne, à ce qu*il paraît, d'assez beaux profits. REMÈDES AUX GRÈVES. 305 été maintes fois traitée d'utopie. L'agriculture est bien plus encore chez nous que de Vautre côté du détroit la première des industries na- tionales. Les différences créées entre Tarlisan et le laboureur par les conditions diverses de leur vie ne les empêchent pas d'être solidaires l'un de l'autre. Si Tun a plus d'occasions de s'instruire, plus de facilités pour s'associer, si le séjour au milieu des grandes villes éveille plus aisément dans son âme aussi bien les passions généreuses que les entraînemenls irréfléchis, il peut, par là même, offrir à l'autre des exemples dignes d'être suivis, et lui montrer les rudes épreuves que l'expé- rience aide à éviter. L'artisan, en revanche, peut aussi parfois demander d'utiles enseigne- ments à l'homme qui, depuis tant de généra- tions, féconde par son travail journalier notre vieux sol gaulois. Ils se complètent réciproquement. C'est leur ensemble qui fait, en très-grande partie, le peuple français, ce peuple laborieux et industrieux, également apte aux mâles tra- vaujc des champs et aux inventions raffinées 306 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. de la science moderne : son caractère na- tional s'est formé de ces deux éléments. Ar- dent à embrasser toutes les nobles causes, et cependant toujours fier, souvent même exclusif, dans son patriotisme; retrouvant, pour défendre son honneur, toute son éner- gie, même après les plus amères déceptions et les plus grands découragements; prêt à tous les sacrifices, lorsque^ au lieu d'être dirigé à l'aveugle et traité comme un dange- reux instrument, il se sent le libre champion des idées libérales : il trouve, dans ses apti- tudes si diverses, les ressources nécessaires pour aborder avec confiance et s'efforcer de vider les graves questions que nous venons d'indiquer, pour chercher la solution pratique de quelques-uns des problèmes les plus im- portants que l'avenir nous réserve. CHAPITRE X L'AVENIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. Nous sommes loin des tristes scènes de Sheffield. On comprendra maintenant que nous n'ayons pas craint, au début de cette étude, de les exposer dans toute leur horreur. C'était le meilleur moyen de dégager d'une aussi funeste solidarité les puissantes associa- tions ouvrières. On a vu qu'après les grandes luttes industriielles qu'elles ont soutenues contre les maîtres, elles ont, plus d'une fois, contribué à rétablir l'accord entre les patrons et les ouvriers, soit en se portant garantes 308 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. d'un véritable traité de paix conclu entre eux^ soit en cédant la place à de nouvelles asso- ciations d'une forme meilleure. Mais leur tâche ne doit pas se borner là, et leurs chefs, plaidant pour elles devant la Commission royale, lui ont montré le rôle nouveau qu'ils entrevoient dans l'avenir pour les sociétés qu'ils représentent. Le jour où la législation leur permettra de posséder comme personnes morales , où les conseils d'arbitres, rendant presque toutes les grèves inutiles, laisseront sans emploi les fonds jusqu'à présent absorbés par ces stériles dépenses, elles auront mieux à faire que de se dissoudre : elles pourront elles-mêmes devenir le noyau de ces socié- tés coopératives, dont l'action pacifique doit remplacer leur règne agité. En effet, ces grandes Unions qui s'étendent sur toute l'An- gleterre, qui alignent tous les ans des millions dans leurs budgets, auront alors à leur dispo- sition les deux éléments indispensables au succès de telles entreprises : une forte orga- nisation, et un capital capable d'assurer leur ci^dit, C'est à l'abseqce (Je ces deu:?^ éléments L*ÂV£NIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 309 qu'il faut attribuer la ruine de la plupart des sociétés coopératives, et Ton peut espérer que les Unions sauront un jour employer leurs vastes ressources à reprendre leur tâche dans des conditions bien plus favorables que celles où se sont trouvés leurs devanciers. Laissons, si Ton veut, cette hypothèse de côté : nous n'en avons pas besoin. En effet, une sérieuse expérience a déjà donné sa sanc- tion aux remèdes que nous avons vu appli- quer avec tant de succès à Tantagonisme des maîtres et des ouvriers, cause de si grandes souffrances. Mais, de tous ces remèdes, faut-il dire celui que nous regardons comme le plus puissant et le plus indispensable, celui sur lequel nous voudrions particulièrement appeler l'atten- tion? 11 n'est pas une seule fois mentionné dans les dix volumes publiés par la Commis- sion, mais il est familier à toutes les person- nes qui y figurent, et l'on ne peut lire deux lignes de ce vaste recueil sans y découvrir son influence. Dans tout le cours de cette étude, nous n'javons pas cité un seul fait qui. àiO tkS ÀSâOClATlOMS OQVRlÈRiBS EÎf ANGLËTÈRtlË. outre rinférêt particulier qu'il peut offrir, ne prouve combien cette influence est efficace et nécessaire. Il ne reste donc plus qu'à nommer ce spécifique, ou plutôt chacun Ta déjà deviné : c'est cette liberté d'écrire et d'imprimer, dont jouit r Angleterre , cette large publicité qui répand sur toutes les questions une lumière d'autant plus vive, que la solution en parait plus difficile. On a vu qu'il a suffi à la Com- mission d'ouvrir les portes de sa salle de séance pour provoquer une discussion à la fois si franche et si utile, que les adversaires de la veille en sont plus d'une fois sortis réconci* liés. Une presse parfaitement libre, affranchie des lourds impôts qui, faisant chez nous des journaux politiques un objet de hixe réservé à un petit nombre, ne peuvent que contribuer à l'abaissement des intelligences; une presse à qui, par conséquent, il est possible de donner â bas prix des publications considérables, ou rien n'est omis de ce qui intéresse le pays : telle est celle qui, chez les Anglais, éclaire les masses, en discutant sérieusement et con- stamment les affaires publiques. L'AVENIR DÉS UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 311 Le droit de réunion, exercé aussi naturel- lement, aussi complètement, que le droit d'aller et de venir sur la voie publique, per- met à toutes les idées, à toutes les aspirations, de se montrer au grand jour, de s'exprimer sans déguisement, et en même temps les soumet toutes à l'examen et aux critiques de l'opinion publique. Ainsi voyons-nous les Unions s'assembler à tout propos; mais, in- struites par l'expérience, elles ne discutent guère de questions abstraites : quand elles se réunissent^ c'est pour s'occuper de leurs affaires. Dans ces discussions pratiques, elles oflBrent aux hommes les plus dignes de les diriger Toccasion de se montrer. Elles appel- lent le public à leurs délibérations, pour l'y intéresser et dissiper ses défiances. Personne ne leur conteste ce droite même lorsqu'elles en usent avec les apparences les plus mena- çantes, comme ce jour où l'on vit plus de vingt mille membres des Unions s'assembler sotis leurs bannières, et, marchant en rangs serrés^ prendre part à une grande démonstration po- litique. La police ne s'en émut que pour ré^ 312 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. gler la circulation des voitures, de manière à ne pas troubler cette longue procession (1). Cette liberté a favorisé, sans doute, la for- mation et la croissance des Unions; mais quel est Tesprit timoré qui oserait s'en plain- dre, puisqu'elle a ainsi fait disparaître du sol de l'Angleterre les sociétés secrètes, qui y ont existé comme sur le continent? Elle les a rendues inutiles en permettant à chacun de réclamer ouvertement tous les avantages que leurs membres pouvaient se proposer d'obtenir par des menées occultes. Les théories les plus contraires à Tordre social actuel pourraient tous les jours se produire impunément, s'il y avait un public désireux de les entendre exposer; mais aussi les plus ardents réformateurs ne comptent-ils, pour leur triomphe, que sur l'em- ploi des moyens légaux. Les libres institutions qui régissent nos voisins leur permettent d'at- tendre de leur propre persévérance et de l'équité nationale le redressement de tous les (1) La destruction des grilles de Hyde-Park, qui eut lieu quelque temps après, fut l'œuvre des roughs de Londres, l^es unionistes y demeurèrent complètement étrangers. L'AVENIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 313 griefs qu'ils croient fondés, et ils savent que les conquêtes ainsi lentement accomplies au- ront bien plus de durée que celles qui seraient l'œuvre de la force. Au congrès de Lausanne, on a vu un exemple remarquable de ce res- pect de la légalité : il n'est pas étranger à notre sujet. Les délégués anglais s'étant plaints amèrement de la jurisprudence qui venait, quelques mois auparavant, de priver les fonds des Unions de toute protection légale, le con- grès voulut aussitôt procéder à un vote de cen- sure contre les juges qui avaient prononcé la sentence : les Anglais s'y opposèrent, décla- rant que la loi était inique, qu'ils feraient tous leurs efforts pour en amener le change- ment, mais que, tant qu'elle était la loi, ils respecteraient les juges qui l'appliquaient. En observant le spectacle que vient de nous donner, en Angleterre, l'enquête de la Commission royale, nous avons voulu mon- trer une fois de plus que le progrès social des classes ouvrières et la solution paci- fique des grandes questions qui s'y ratta- chent sont, dans tous les pays, indissoluble- 18 314 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. ment liés à la liberté politique. De tout temps les pouvoirs qui ont restreint la liberté se sont flattés d'étoufler ces questions, pu d'exploiter à leur profit les passions qu'elles font naître. Ils ont prétendu protéger par le silence les classes riches contre les égarements popu- laires, et, par Tinitiative de leur autorité, ser- vir les intérêts de la classe laborieuse mieux qu'elle ne saurait le faire elle-même : double et fatale erreur qui prépare de cruelles sur- prises aux peuples qui peuvent se laisser bercer par une pareille illusion! L'absence de publi- cité, de libre discussion, envenime, sans les résoudre, les questions sur lesquelles elle jette, pour quelque temps, un voile trompeur, et laisse se creuser un abîme entre les diffé- rentes classes d'hommes qui composent une seule et même nation» De pareilles questions doivent être traitées comme ces mines de houille dont nous avons parlé, où le plus subtil poison est mêlé à des trésors inépui- sables : si Tair en est exclu, le gaz mortel s'y accumule rapidement; si, au contraire, elles sont bien ventilées, on peut en extraire sans 1,'AVENm DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 315 danger le puissant moteur de notre industrie moderne. Ceux qui ont le plus à craindre T explosion des passions populaires sont les plus intéressés à les empêcher de fermenter dans Tombre. Ils ne doivent pas moins redouter la demi- liberté, qui ne leur permet de répondre à des théories que par des théories, à des rêves chimériques que par des dissertations inop- portunes sur des droits abstraits, qui, ne lais- sant à tous un droit inutile de parole que pour leur refuser la pratique journalière de leurs affaires, empêche ce contact incessant où toutes les idées s'adoucissent et s'épurent. Elle ne favorise ainsi que le développement des opinions extrêmes. Ce demi-jour est d'au- tant plus dangereux, qu'il fait bientôt illusion aux yeux affaiblis qui s'y habituent, comme font illusion, si je puis ici me permettre cette comparaison, les verres colorés à travers les- quels nous nous amusons parfois à regar- der la campagne . La pleine et libre expres- sion de l'opinion publique, sous toutes ses formes, peut seule répandre sur les ques- 316 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. lions politiques et sociales cette lumière, écla- tante comme celle du soleil, et composée comme elle de mille nuances diverses, sans laquelle on ne saurait les juger sainement. La liberté politique n'est pas moins néces- saire aux classes ouvrières. Sans son aide, comment apprécieraient-elles leurs véritables intérêts? Comment, dans les paroles de ceux qui briguent leur faveur, discerneraient- elles le vrai dufaux, le possible de l'impossible? Comment exerceraient-elles sur J'opinion pu- blique la juste influence à laquelle elles ont droit ? Quelle garantie auraient-elles enfin de pouvoir jouir avec sécurité des légitimes améliorations qu'elles ont obtenues ou qu'elles réclament encore? Cette liberté, en effet, est la sanction de toutes les autres, et elle seule donne la force et la vie au principe de l'asso- ciation, plante vigoureuse qui veut le grand air et ne peut vivre et fructifier sous cloche. Sans toutes les libertés diverses dont elles ont fait un si large usage, les Trades-Unions se- raient éternellement restées de simples ma- chines de guerre, capables de prolonger des L'AVENIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 317 luttes funestes pour les ouvriers eux-mêmes, mais inhabiles à leur assurer le moindre a vantage durable . Quoique les ouvriers j ouïssent paisiblement de toutes ces libertés, car elles sont en Angleterre T apanage de tous les ci- toyens, toutefois ils ne demeurent pas plus étrangers aux questions politiques que les autres classes de la société. Si aujourd'hui ils s'occupent spécialement d'obtenir l'aboli- tion des derniers articles de loi qui entravent pour eux, dans certains cas, le droit d'associa- tion, hier encore, lorsqu'il s'est agi d'étendre les privilèges électoraux, ils ont montré tout le prix qu'ils attachaient à cette grande ré- forme. Ils savent d'ailleurs que, si les libéraux comprennent souvent mieux leurs sentiments et connaissent mieux leurs besoins, dans tous les partis cependant ils trouveront des hom- mes d'Etat, dignes de ce nom, toujours prêts à les écouter et à se vouer à la défense de leurs intérêts. C'est malheureusement aux époques de grandes crises politiques que ces questions sociales ont toujours été soulevées chez nous, 18. 3i8 LES ASSOCIATIONS OOVRIÈRES EN ANGLETERRE. au moment le moins propice pour les résou- dre, lorsque les esprits sont troublés, les passions enflammées, et la prospérité maté- rielle fortement ébranlée. Mais de pareilles questions touchent de trop près aux sources mêmes de la grandeur nationale pour pou- voir être longtemps privées de la lumière que répand sur elles la liberté politique ; et cela sur- tout dans un pays dont les institutions ont pour base le suffrage universel, ce juge souverain qui peut toujours réformer ses propres arrêts. En France, où il est l'organe reconnu de la volonté populaire, où personne n'a le droit de récuser son autorité, mais où toutes les causes dignes de prévaloir dans les conseils de la nation, où tous les griefs légitimes comptent en appeler de ses jugements passés à ses jugements futurs, de pareilles questions ne peuvent manquer de T émouvoir profondé- ment, et le jour doit venir où il fera usage de sa puissance pour en chercher la solution. La liberté et la publicité, ces garanties tutélaires de la justice, dont, comme tout autre tribu- nal, il ne saurait se passer, peuvent seules L'AVENIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 31 Ô effacer les traces des terribles malentendus qui ont éveillé chez les uns tant d'alarmes, chez les autres tant de vaines illusions, qui ont fait couler tant de sang et laissé dans les cœurs ces funestes conséquences de la guerre civile, les pusillanimes défaillances et les haines concentrées. Elles seules sauraient prévenir, si jamais on pouvait le craindre, le retour de pareils malheurs. Aussi, en montrant l'influence de la liberté politique sur les questions sociales en Angle- terre, croyons-nous avoir cité un exemple encourageant pour ceux qui se préoccupent, de l'avenir de ces mêmes questions en France^ Faudrait-il négliger un pareil enseignement sous prétexte que les caractères particuliers de la constitution britannique ne nous per- mettent pas de profiter des expériences faites sous son égide ? Nous ne le croyons pas, car ce serait exagérer l'importance des rouages anciens et compliqués qui la composent. En efiet, malgré tous les artifices de rédaction, les constitutions n'obéissent jamais qu'à un seul moteur ; celle où se battinceraient des 820 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES EN ANGLETERRE. pouvoirs réellement indépendants serait brisée par leur choc, comme une machine soumise à des forces contraires. Ce n'est pas telle ou telle pièce, inconnue ailleurs, qui a soutenu la constitution anglaise au milieu de toutes les transformations politiques et sociales de notre siècle : c'est ce moteur destiné à exercer dans tous les pays libres la même autorité sou- veraine, et qui s'appelle l'opinion publi- que. Quelque diverses que soient, dans tous ces pays, les institutions par lesquelles agit la puissance de l'opinion, elles peuvent toujours se comparer aux traductions en langages variés d'une seule et même pensée. Pas plus que d'autres nous ne sommes exclus de ce qui appartient à tous les temps, à toutes les races, à toutes les contrées. Le remède que la liberté politique apporte aux dangers sou- levés par les questions sociales est également efficace chez tous les peuples qui savent l'ap- pliquer ; et il n'est plus maintenant une seule nation, jalouse de conserver son rang dans le monde , qui puisse traiter cette liberté , L'AVENIR DES UNIONS ET LA LIBERTÉ POLITIQUE. 321 attribut suprême de Thomme civilisé, comme un simple objet de luxe, dont on se pare un jour et que le lendemain on dédaigne impu- nément. APPENDICE (Voy. page 66) Voici les calculs de M. Finlaison sur la solvabilité des deux sociétés dont les budgets ont été soumis à son examen : Dans les sociétés ordinaires de secours, 100000 hommes reçus à 18 ans seront, lorsqu'ils auront atteint 60 ans, réduits, par la mortalité seulement, au nombre de 52489. Mais la sécession, combinée avec la mortalité, les réduira à celui de 29297. On voit donc rimportance de cet élément dans tous les calculs. L'Âge moyen des membres de la Société des méca-« tiicîens est évalué, en ce moment, à environ 35 ans. C'est à partir de 60 ans qu^on a droit à la pension de vieillesse^ et c'est naturellement à la môme date que cessent, d'une part, les secours touchés en cas de maladie, et, d'autre part^ les contributions des hommes valides. Ces contributions sont donc une annuité s0 terminant à 60 ans. La Société compte 32 720 membres actifs, c'est-à-dire payant leur cotisation. La Société garantit à chaque membre 10 shillings 324 APPENDICE. (12 fr. 50 c.) par semaine de maladie, la réduction au bout de vingt-six semaines étant compensée par les assurances contre les accidents, soit 16360 livres sterl. (^oa 000 fr.) par semaine pour tous les membres. La moyenne de la pension des vieillards est de 20 livres sterl . 1 6 sh. (520 fr.) paran : par conséquent,680 576 livres sterl. (17 01(i ^00 fr.) sont assurées par an au corps en- tier; et 12 livres sterl. (300 fr.), dues à la mort de cha- que membre, donnent 392 640 livres sterl. (9 816 000 fr.) à payer une fois, tôt ou tard. Enfin, la caisse est déjà grevée de retraites annuelles, en cours de payement, pour la somme de 5232 livres sterling (130 800 fr.). Si Ton capitalise ces différentes charges avec Taide des tables de mortalité et de maladie employées dans les sociétés de secours mutuels, on trouvera que la situation actuelle de la Société peut être représentée par Tétat suivant : . PASSIF. 16 360 £f par semaine en cas de maladie, jus- qu'à 60 ans, sont assurées par un capital de 355 339 jB 680 576 £ pensions annuelles^ au-dessus de 60 ans, sont assurées par un ca- pital de 1985512 392 640 £ frais funéraires, à payer une fois^ sont assurées pour Tavenir par un capital de 168 167 5 232 £ pensions en cours de payement, par ^ un capital de A^ 697 Total 2 553715 £ (63 842875 fr.) APPENDICE. 325 ACTIF. 85 072 JB contributions annuelles, jusqu'à 60 ans, représentent un capital de 1 254 395 £ 1 636 £ contributions suspendues en temps de maladie, le réduisent à 35 534 Reste (différence) 1 218 861 £ Encaisse avec intérêts . 1 38 1 1 3 £ Arriéré dû 10 068 148 18i £ 168 181 £ Total 1367 042 £ (34 176 050 fr.) CAPITALISÉS. Passif 2 553 715 £ = 63 842 875 fr. Actif 1 367 042 = 34 176 050 Déficit 1 186 673 £ = 29 666 825 fr. Mais, peu à peu, M. Finlaison réduit ce déficit à sa juste valeur : il y introduit d'abord le calcul des ex- clusions (ou sécessions). En tenant compte de ces exclusions selon la même proportion que dans les sociétés de secours mutuels, et déduction faite des chances ordinaires de maladies, durant lesquelles les cotisations ne sont pas payées, pour «composer la contribution annuelle de 2 livres sterl. 12 •^•, on trouve qu'elle est représentée par un capital de 33 livres sterl. 18»*»* 9<^- J, et, en multipliant cette somme par 32 720, nombre des membres actifs, 19 326 APPENDICE. que le capital social équivaut à 1 110 i!i68 livres sterl. (27 761 700 fr.). En estimant de môme la diminution que les exclusions doivent amener dans les dépenses, on arrive à réduire l'actif et le passif aux chiffres sui- vants : PASSIF. Capital représentant les secours pour n|aladies. . 322 612 £ — pensions des TÎeillards. . 1 633 586 — frais d'enterrements ... 151 330 — pensions en cours de payement àH 688 Total 2 152 216 f (53 805 400 fr.) ACTIF. Capital social actuel i;ilO 468 £ Encaisse et arriérés 148 181 Total 1258 649 £ (31 466 225 fr.) CAPITALISÉS. Passif 2 152 216 £ = 53 805 400 fr. Actif 1 258 649 = 31 466 225 Déficit 893 567 £ = 22 339 175 fr. Observation. — Nous ignorons pourquoi M. Finlaison donne ici pour les pensions le chiffre de 44 688 livres sterl. , et plus haut celui de 44 697 livres sterl. APPENDICE. 327 Les trois premiers articles du passif du premier état donnent une somme de. . . 2 509 018 £ Les trois premiers mêmes articles du pas- sif du second état donnent 4 107 528 La réduction du passif obtenue en tenant compte de la sécession a donc été de ftOl A90 £ (10 036 250 fr.) Mais M. Finlaison reconnatt que le chiffre moyen des sécessions, dans les sociétés ordinaires de secours, sur lequel il a fondé ce calcul, ne représente que les deux cinquièmes de la moyenne des sécessions fournie par les tables statistiques de la société. Pour obtenir la réduction réelle produite dans le passif par la séces- sion, il faudra donc augmenter le chiffre 401 490 li vres sterl. (10 036250 fr.) dans la même proportion, ce qui donne : 1 003725 livres sterl. (25093125 fr.) ilOl.AQO y 5 (401 490 : a; :: 2 : 5, ' ^ = 1 003 725), ce qui est Tobjet de la dernière rectification. En eff'et : Le premier passif était de 2 553 715 £ La sécession doit le réduire de 1 003 725 Reste (différence) 1 549 990 £ (38 749 750 fr.) Mais cet accroissement de la sécession réduit le capitel social à 947 879 £ Sans toucher à l'encaisse ni aux arriérés . 148 181 L'actif est donc ramené à 1 096 060 £ (27 401 500 fc.) 328 APPENDICE. Différence 1 549 990 f = 38 749 750 fr. Actif 1 096 060 = 27 401 500 Le déficit n'est plus que de. 453 930 £ = ii 348 250 fr. C'est ce déficit qu'un accroissement de 6 pence (62 centimes) dans la cotisation hebdomadaire suffirait à couvrir, car le capital social serait alors repré- senté par un chiffre de 50 pour 100 plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui, et l'actif se composerait ainsi : Capital social pour 1 shilling par semaine 947 879 £ — pour 6<1 en sus par semaine 473 940 Encaisse et arriérés 148 181 Actif 1 570 000 £ = 39 250 000 fr. Le passif était 1 549 990 £ = 38 749 750 fr „^.^^^^_^.^_^^ • Excédant 20 010 £ =» 500 250fr. Dans ce calcul, M. Finlaison a supposé que la so- ciété aurait consacré toutes ses ressources aux se- cours mutuels. Les dépenses de chômage vont troubler encore l'équilibre de ce nouveau budget; mais, après avoir accepté l'estimation qu'il en fait, loin de nous borner comme lui à exprimer le vœu, impossible à réaliser, que les Unions renoncent aux grèves^ en vue desquelles elles ont été spécialement formées^ nous chercherons à calculer, au moyen des chiffres mômes qu'il a donnés, de quelle manière elles pourraient, sans danger pour Tavenir, faire face à cette importante dépense. Prenant toutes les moyennes fournies par leur sta- APPENDICE. 329 tistique, il croit pouvoir Testimer au double des se- cours donnés aux malades. Or, ces secours^ qui, dans le second calcul, étaient représentés par un capital de 322612 livres sterl., se trouvent réduits, par Taccrois- sèment proportionnel de 2 à 5 dans le calcul de la sécession, à un capital de 273 521 livres sterl. ^ dont le double, ou 5^7 0^2 livres sterl. (13 676 050 fr.), ex- primera en gros le capital représentant la moyenne des frais de grève pendant une période de seize années, marquée par de nombreuses et longues luttes de ce genre. Ce chiflfre, moins l'excédant précédent, marque le déficit que l'Union aurait à combler après avoir porté ses cotisations à 1«^- 6^- (1 fr. 87 c.) par semaine, si^ comme on ne peut en douter, elle persistait à ins- crire les frais de grève en tète de ses budgets. Il est de 527 032 livressterl. (13 175 800 fr.) On pourrait y faire face de plusieurs manières : I. — Par un nouvel accroissement de 6<^| (70 c.) dans les souscriptions hebdomadaires, qui les porte- rait à 2"^. Od. f. (2fr. 57 c.). Le déficit étont de 527 032 £ Et raccroissement représenté par. . . A24 181 capital calculé sur le même cbifFre que Le déficit ne serait plus que de. 2 851 £ *«» précédents. (71 275 fr.) II. — Si, comme il est probable, cette contribution, qui représente 5 livres sterl. 7»^- 3^- (133 fr. 05 c.)paran, était trop forte pour la bourse modique de l'ouvrier, on pourrait, en laissant la cotisation à l»^- 6^- , diminuer 19. 330 APPENDICE. le tarif des secours donnés par la société, moyen plus simple, plus pratique et plus logique. Les charges imposées à la société par les secours mutuels étaient, en dernier lieu^ représentées par: Un capital de 1 549 990JB Celles des ^èves par 547 042 Total 2 097 032£ (52 425 790 fr.) En réduisant tous ces secours et allocations d'un quart, on obtiendra une économie à peu près égale à l'accroissement indiqué ci-dessus^ soit : Déflcil 527 0S2f Un quart retranché des charges. • . . 524 258 Déficit rédoità 2 774£ (69 350 fr.) m. — Il serait encore mieux peut-être de combiner les deux systèmes, afin d'en atténuer les effets en les compensant : En augmentant les souscriptions de 3<1- ^ (soit i*^- 9<1* ^, on augmenterait les recettes de 256 717 £ En diminuant les charges d*uu huitième, on économiserait 262 129 518 846 £ (12 971 150 fr.) APPENDICE. 331 Déficit 527 032 JB Accroissement et économie 518 846 Le déficit serait réduit à 8 186 £ (204 650 fr.) Et si les frais d'enterrements sont seuls réduits d'un autre huitième, c^est-à-dire ramenés de 12 à 9 livres sterl., une nouvelle économie sera faite de 12 79(i livres qui assurera un excédant de ^608 livres sterling. FIM TABLE DES MATIÈRES Ayant-propos , . . . y Chapitre I. — Les crimes de Sbeffleld 1 Chapitre II. U — L'origine des Trades-Unions ^7 2. — La situation légale des Trades-Unions 34 Chapitre III. — L*organisation des Trades-Unions A5 Chapitre IV. — L'industrie des bâtiments 71 Chapitre Y, — La fabrication du fer 108 Chapitre VI. — L'exploitation de la houille 152 Chapitre Vil. 1. — La construction des navires de fer 194 2. — Les machines 209 Chapitre VIII. — Industries diverses 224 1. — Les tailleurs 226 2. ^- Les verriers 233 3* — Les typographes 238 4« — Les fîlateura de coton 247